FABLE X V. Les Lapins. DISCOURS AM. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULT, JE me fuis fouvent dit, voyant de quelle forte L'homme agit, & qu'il fe comporte En mille occafions comme les animaux, A mis dans chaque créature Quelque grain d'une masse où puifent les efprits, A l'heure de l'affut, foit lorfque la lumiere Un Lapin qui n'y penfoit guere. Je vois fuir auffi-tôt toute la nation Des Lapins, qui fur la bruyere, S'égayoient, & de thim parfumoient leur banquet. Le bruit du coup fait que la bande S'en va chercher fa.fûreté Dans la fouterraine cité : Mais le danger s'oublie ; & cette peur fi grande A peine ils touchent le port, Vrais Lapins on les revoit Sous les mains de la fortune. Joignons à cet exemple une chose commune. Quand des Chiens étrangers passent par quelque endroit Qui n'eft pas de leur détroit, Je laiffe à penser quelle fête. Les Chiens du lieu n'ayant en tête Jufqu'aux confins du territoire. Un intérêt de biens, de grandeur & de gloire, A gens de tous métiers, en fait tout autant faire. On nous voit tous pour l'ordinaire, Piller le furvenant, nous jetter fur la peau. La coquette & l'auteur font de ce caractere: Malheur à l'Ecrivain nouveau. Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâ teau, C'est le droit du jeu, c'eft l'affaire. Cent exemples pourroient appuyer mon discours: Mais les ouvrages les plus courts Sont toujours les meilleurs. En cela j'ai pour guide Tous les maîtres de l'art,& tiens qu'il faut laiffer Dans les plus beaux fujets quelque chofe à Vous qui m'avez donné ce qu'il a de folide, La plus jufte, & la mieux acquise, vrages, Comme un nom qui des ans & des peuples connu, Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde Qu'aucun climat de l'Univers, Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde, Que vous m'avez donné le sujet de ces Vers. FABLE XVI. Le Marchand, le Gentilhomme, le Pátre & le fils de Roi. QUATRI UATRE chercheurs de nouveaux Mondes, Prefque nuds, échappés à la fureur des ondes, Un Trafiquant, un Noble, un Pâtre, un fils de Roi, Réduits au fort de Bélifaire, De raconter quel fort les avoit affemblés nés, C'eft un récit de longue haleine. Ils s'affirent enfin au bord d'une fon aine. Tome II. M Le Pâtre fut d'avis, qu'éloignant la pensée Chacun fît de fon mieux, & s'appliquât au foin De pourvoir au commun befoin. La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle fon homme? Travaillons c'eft dequoi nous mener jufqu'à Rome. Un Pâtre ainfi parler! Ainfi parler? Croit-on Que le Ciel n'ait donné qu'aux têtes couronnées De l'efprit & de la raison; Et que de tout Berger comme de tout Mouton, L'avis de celui-ci fut d'abord trouvé bon que, A tant par mois, dit-il, j'en donnerai leçon. Reprit le fils de Roi. Le Noble poursuivit, La fotte vanité de ce jargon frivole. Le Pâtre dit: Amis, vous parlez bien : mais quoi ? Le mois a trente jours, jufqu'à cette échéance Jeûnerons-nous par votre foi ? |