Page images
PDF
EPUB

Le Roi lui-même y court; & dit pour l'attirer: Ami, reviens chez moi que nous fert de pleurer ?

Haîne, vengeance & deuil, laiffons tout à la porte.

Je fuis contraint de déclarer,

Encor que ma douleur foit forte,

Que le tort vient de nous : mon fils fut l'agreffeur.

Mon fils! Non c'eft le Sort qui dù coup fat

l'auteur.

La Parque avoit écrit de tout temps en fon livre, Que l'un de nos enfans devoit ceffer de vivre,

L'autre de voir, par ce malheur. Confolons-nous tous deux, & reviens dans ta cage.

Le Perroquet dit: Sire Roi,
Crois-tu qu'après un tel outrage
Je me doive fier à toi ?

Tu m'allegues le Sort, prétens-tu par ta foi
Me leurer de l'appât d'un profane langage?
Mais que la Providence, ou bien que le Destin
Regle les affaires du monde,

Il est écrit là-haut qu'au faîte de ce Pin,
Ou dans quelque forêt profonde,

J'acheverai mes jours loin du fatal objet
Qui doit t'être un jufte fujet

De haîne & de fureur. Je fai que la vengeance

E un morceau de Roi, car vous vivez en Dieux.

Tu veux oublier cette offense:

Je le crois cependant il me faut, pour le mieux, Eviter ta main & tes yeux.

Sire Roi, mon ami, va t'en, tu perds ta peine,
Ne me parle point de retour:

L'absence eft auffi bien un remede à la haine,
Qu'un appareil contre l'amour.

FABLE XIII.

La Lionne & l'Ourfe. M&R E Lionne avoit perdu son Fan:

Un Chaffeur l'avoit pris. La pauvre infortunée
Pouffoit un tel rugiffement,

Que toute la Forêt étoit importunée.
La nuit, ni fon obfcurité,

Son filence & fes autres charmes,

De la Reine des Bois n'arrêtoit les vacarmes.
Nul animal n'étoit du fommeil vifité.

L'Ours enfin lui dit: Ma commere,
Un mot fans plus tous les enfans
Qui font paflés entre vos dents
N'avoient-ils ni pere ni mere?

Ils en avoient. S'il eft ainsi,

Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rom

pues,

Si tant de meres fe font tues,

Que ne vous taifez-vous auffi ?

Moi me taire? Moj malheureuse!

Ah, j'ai perdu mon fils! Il me faudra traîner
Une vicilleffe douloureuse.

Dites-moi, qui vous force à vous y condamner?
Hélas! C'est le Deftin qui me hait. Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.

Miférables humains, ceci s'adreffe à vous.
Je n'entends refonner que des plaintes frivoles.
Quiconque, en pareil cas, fe croit haï des
Cieux ;

Qu'il confidere Hécube, il rendra grace aux
Dieux.

FABLE XIV.

Les deux Aventuriers & le Talifman. AUCUN

UCUN chemin de fleurs ne conduit à la gloire. Je n'en veux pour témoin qu'Hercule & fes

.

travaux.

Ce Dieu n'a guere de rivaux:

J'en vois peu dans la Fable, encor moins dans l'Hiftoire.

En voici pourtant un, que de vieux Talifmans
Firent chercher fortune au pays des Romans.
Il voyageoit de compagnie :

Son camarade & lui trouverent un poteau,
Ayant au haut cet écriteau :

Seigneur Aventurier, s'il te prend quelque envie
De voir ce que n'a vu nul Chevalier errant,
Tu n'as qu'à paffer ce torrent,

Puis prenant dans tes bras un Eléphant de pierre,
Que tu verras couché par terre,

Le porter d'une baleine au fommet de ce mont
Qui menace les Cieux de fon fuperbe front.
L'un des deux Chevaliers faigna du nez. Si l'onde
Eft rapide autant que profonde,
Dit-il, & fuppofé qu'on la puisse paffer,
Pourquoi de l'Eléphant s'aller embarraffer?
Quelle ridicule entreprise !

Le fage l'aura fait par tel art & de guise,
Qu'on le pourra porter peut-être quatre pas :
Mais jufqu'au haut du mont, d'une haleine, il

n'eft pas

Au pouvoir d'un mortel, à moins que la figure
Ne foit d'un Eléphant nain, pigmée, avorton,
Propre à mettre au bout d'un bâton:
Auquel cas, où l'honneur d'une telle aventure?
On nous veut attraper dedans cette écriture:
Ce fera quelque énigme à tromper un enfant.
C'est pourquoi je vous laisse avec votre Eléphant.
Le raisonneur parti, l'Aventurier fe lance,

Les yeux clos, à travers cette eau.
Ni profondeur, ni violence

Ne purent l'arrêter; & felon l'écriteau,

Il vit fon Eléphant couché fur l'autre rive.

Il le prend, il l'emporte, au haut du mont arrive,

Rencontre une esplanade, & puis une cité.
Un cri par l'Eléphant auffi-tôt eft jetté.

Le peuple auffi-tôt fort en armes.

Tout autre Aventurier, au bruit de ces alarmes,
Auroit fui. Celui-ci, loin de tourner le dos,
Veut vendre au moins fa vie, & mourir en Héros.
Il fut tout étonné d'oüir cette cohorte,
Le proclamer Monarque au lieu de fon Roi mort.
Il ne fe fit prier que de la bonne forte.

Encor que le fardeau fût, dit-il, un peu fort. Sixte en difoit autant quand on le fit faint Pere, (Seroit-ce bien une mifere,

Que d'être Pape ou d'être Roi ?)

On reconnut bientôt fon peu de bonne- foi.

Fortune aveugle fuit aveugle hardieffe.
Le fage quelquefois fait bien d'exécuter,
Avant que de donner le temps à la fageffe
D'envisager le fait, & fans la confulter.

« PreviousContinue »