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FABLE VII.

L'Araignée & l'Hirondelle.

JUPITER, qui fus de ton cerveau,
Par un fecret d'accouchement nouveau,
Tirer Pallas, jadis mon ennemie,
Entends ma plainte une fois en ta vie.
Progné me vient enlever les morceaux;
Caracolant, frisant l'air & les eaux,
Elle me prend mes mouches à ma porte ;
Miennes je puis les dire, & mon réseau
En feroit plein fans ce maudit oiseau,
Je l'ai tiffu de matiere affez forte.
Ainfi, d'un difcours infolent,
Se plaignoit l'Araignée autrefois tapiffiere,
Et qui lors étant filandiere,

Prétendoit enlacer tout infecte volant.
La fœur de Philomele, attentive à fa proie,
Malgré le beftion happoit mouches dans l'air,
Pour les petits, pour elle, impitoyable joie,
Que les enfans gloutons, d'un bec toujours ou-
vert,

D'un ton demi-formé, bégayante couvée,
Demandoient par des cris encor mal entendus.
La pauvre Aragne n'ayant plus

Que la tête & les pieds, artisans fuperflus,

Se vit elle-même enlevée.

L'Hirondelle en paffant emporta toile & tout, Et l'animal pendant au bout.

Jupin pour chaque état mit deux tables au monde.
L'adroit, le vigilant & le fort (ont affis

A la premiere; & les petits
Mangent leurs reftes à la feconde.

PARMI

FABLE VIII.

La Perdrix & les Coqs.

ARMI de certains Coqs incivils, peu galans,
Toujours en noise & turbulens,

Une Perdrix étoit nourrie.

Son fexe & l'hospitalité,

De la part de ces Coqs, peuple à l'amour porté,
Lui faifoient espérer beaucoup d'honnêteté :
Ils feroient les honneurs de la ménagerie.
Ce peuple cependant fort souvent en furie,
Pour la Dame étrangere ayant peu de respect,
Lui donnoit fort fouvent d'horribles coups debec.
D'abord elle en fut affligée :

Mais fitôt qu'elle eut vu cette troupe enragée

S'entrebattre elle-même, & fe percer les flancs,
Elle fe confola. Ce font leurs mœurs, dit-elle:
Ne les accufons point: plaignons plutôt ces gens.
Jupiter fur un feul modele

N'a pas formé tous les efprits.
Il est des naturels de Coqs & de Perdrix.
S'il dépend de moi, je pafferois ma vie
En plus honnête compagnie.

Le Maître de ces lieux en ordonne autrement.
Il nous prend avec des tonnelles,

Nous loge avec des Cocqs, & nous coupe les aîles:
C'eft de l'homme qu'il faut se plaindre feulement.

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Le Chien à qui on a coupé les oreilles.

QU'AL-JE

U'AI-JE fait pour me voir ainfi

Mutilé par mon propre Maître ?

Le bel état où me voici !

Devant les autres Chiens oferai-je paroître ?
O Rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,
Qui vous feroit chofes pareilles ?
Ainfi crioit Mouflar, jeune dogue ; & les gens
Peu touchés de fes cris douloureux & perçans,
Venoient de lui couper fans pitié les oreilles.

j

Mouflar y croyoit perdre. Il vit avec le temps
Qu'il y gagnoit beaucoup : car étant de nature
A piller fes pareils; mainte méfaventure
L'auroit fait retourner chez lui

Avec cette partie en cent lieux altérée :
Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée.

Le moins qu'on peut laiffer de prife aux dents d'autrui,

C'eft le mieux. Quand on n'a qu'un endroit à défendre,

On le munit de peur d'efclandre:

Témoin maître Mouflar, armé d'un gorgerin, Du reste ayant d'oreille autant que fur ma main; Un Loup n'eût fu par où le prendre.

FABLE X.

Le Berger & le Roi.

Deux démons, à leur gré partagent notre vie,

EUX

Et de fon patrimoine ont chaffé la raison.
Je ne vois point de cœurs qui ne leur facrifice,
Si vous me demandez leur état & leur nom,
J'appelle l'un, Amour ; & l'autre, Ambition.
Cette derniere étend le plus loin fon empire:

Car même elle entre dans l'amour.

Je le ferois bien voir; mais mon but eft de dire
Comme un Roi fit venir un Berger à fa Cour.
Le conte eft du bon temps, non du fiecle où nous

fommes.

Ce Roi vit un troupeau qui couvroit tous les champs,

Bien broutant, en bon corps, rapportant tous

les ans,

Grace aux foins du Berger, de très - notables

sommes:

Le Berger plut au Roi par fes foins diligens.
Tu mérites, dit-il, d'être pafteur de gens :
Laiffe- là tes moutons, viens conduire des

hommes.

Je te fais Juge fouverain.

Voilà notre Berger la balance à la main.

Quoiqu'il n'eût guere vu d'autres gens qu'un Hermite,

Son troupeau, fes mâtins, le loup, & puis c'eft

tout,

Il avoit du bon fens : le refte vient enfuite.

Bref, il en vint fort bien à bout.

L'Hermite, fon voisin, accourut pour lui dire : Veillai-je, n'est-ce point un fonge que je vois ? Vous favori! Vous grand ! Défiez-vous des Rois. Leur faveur eft gliffante, on s'y trompe, & le pire,

C'eft qu'il en coûte cher: de pareilles erreurs

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