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Et que pour en venir aux exemples divers,
Que j'ai mis au jour dans ces vers,
L'animal n'a befoin que d'elle.

L'objet, lorsqu'il revient, va dans fon magasin
Chercher par le même chemin

L'image auparavant tracée,

Qui fur les mêmes pas revient parcillement,
Sans le fecours de la penfée,
Caufer un même événement.
Nous agiffons tout autrement.
La volonté nous détermine,

Non l'objet ni l'inftinct. Je parle, je chemine:
Je fens en moi certain agent:

Tout obéit dans ma machine

A ce principe intelligent.

Il eft diftinct du corps, fe conçoit nettement ;
Se conçoit mieux que le corps mêne :
De tous nos mouvemens c'est l'arbitre fuprême.
Mais comment le corps l'entend-il ?

C'eft-là le point je vois l'outil

Obéir à la main; mais la main, qui la guide?
Eh! qui guide les Cieux, & leur courfe rapide?
Quelque Ange est attaché peut-être à ces grands
corps.

Un efprit vit en nous, & meut tous nos refforts:
L'impreffion fe fait ; le moyen, je l'ignore.
On ne l'apprend qu'au fein de la Divinité
Et s'il faut en parler avec fincérité,

Delcartes l'ignoroit encore.

Nous & lui, là - deffus, nous fommes tous

égaux.

Ce que je fais, Iris, c'est qu'en ces animaux Dont je viens de citer l'exemple,

Cet efprit n'agit pas, l'homme feul eft fon temple.

Auffi faut-il donner à l'animal un point,

Que la Plante après tout n'a point.
Cependant la Plante refpire:

Mais que répondra-t-on à ce que je vais dire?
Deux Rats cherchoient leur vie, ils trouverent

un œuf.

Le dîné fuffifoit à gens de cette espece :
Il n'étoit pas befoin qu'ils trouvaffent un Bœuf.
Pleins d'appétit & d'allégreffe,

Ils alloient de leur ceuf manger chacun fa part,
Quand un Quidam parut. C'étoit maître Renard:
Rencontre incommode & fâcheufe.

Car comment fauver l'œuf? Le bien empaqueter, Puis des pieds de devant enfemble le porter, Ou le rouler, ou le traîner,

C'étoit chofe impoffible autant que hasardeuss Néceffité l'ingénieufe

Leur fournit une invention.

Comme ils pouvoient gagner leur habitation,
L'écornifleur étant à demi-quart de lieue,
L'un 'fe mit fur le dos, prit l'oeuf entre fes bras,
Puis, malgré quelques heurts & quelques mau-
vais pas,

L'autre le traîna par la queue.
Qu'on m'aille foutenir, après un tel récit,
Que les Bêtes n'ont point d'efprit.

Pour moi, fi j'en étois le maître,

Je leur en donnerois auffi bien qu'aux enfans.
Ceux ci penfent-ils pas dès leurs plus jeunes ans?
Quelqu'un peut donc penfer ne se pouvant
connoître.

Par un exemple tout égal,
J'attribuerois à l'animal,

Non point une raifon felon notre maniere:
Mais beaucoup plus aufli qu'un aveugle reffort.
Je fubtiliferois un morceau de matiere,
Que l'on ne pourroit plus concevoir fans effort,
Quinteffence d'atôme, extrait de la lumiere,
Je ne fais quoi plus vif, & plus mobile encor
Que le feu: car enfin, fi le bois fait la flamme,
La flamme, en s'épurant, peut-elle pas de l'ame
Nous donner quelque idée, & fort-il pas de l'or
Des entrailles du plomb? Je rendrois mon ouvrage
Capable de fentir, juger, rien davantage,
Et juger imparfaitement,

Sans qu'un Singe jamais fît le moindre argument,
A l'égard de nous autres hommes,

Je ferois notre lot infiniment plus fort:
Nous aurions un double tréfor;

L'un, cette ame pareille en tous tant que nous fommes,

Sages fous, enfans, idiots,

Hôtes de l'Univers, fous le nom d'animaux : L'autre, encore une autre ame entre nous & les Anges,

Commune en un certain degré ;

Et ce tréfor à part créé,

Suivroit parmi les airs les célestes phalanges, Entreroit dans un point fans en être preffé, Ne finiroit jamais quoi qu'ayant commencé :] Chofes réelles quoiqu'étranges.

Tant que l'enfance dureroit,

Cette fille du Ciel en nous ne paroîtroit
Qu'une tendre & foible lumiere :
L'organe étant plus fort, la raison perceroit
Les ténebres de la matiere,

Qui toujours envelopperoit

L'autre ame imparfaite & groffiere.

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FABLE II.

L'Homme & la Couleuvre.

Un homme vit une couleuvre :

Ah! Méchante, dit-il, je m'en vais faire une

œuvre

Agréable à tout l'Univers.

A ces mots, l'animal pervers

(C'est le Serpent que je veux dire,

Et non l'homme, on pourroit aisément s'y tromper )

A ces mots, le Serpent se laiffant attraper,
Eft pris, mis en un fac, & ce qui fut le pire,
On réfolut fa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison,

L'autre lui fit cette harangue.

Symbole des ingrats, être bon aux méchans ;
C'est être fot, meurs donc : ta colere & tes dents
Ne me nuiront jamais. Le Serpent, en sa langue,
Reprit du mieux qu'il put: S'il falloit condamner
Tous les ingrats qui font au monde,
A qui pourroit-on pardonner?

Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde
Sur tes propres leçons : jette les yeux fur toi.
Mes jours font en tes mains: tranche-les, ta justice
C'est ton utilité, ton plaifir, ton caprice :
Selon ces loix condamne-moi :

Mais trouve bon qu'avec franchise

En mourant au moins je te dife,
Que le fymbole des ingrats

Ce n'est point le Serpent, c'est l'homme. Ces pa< roles

Firent artêter l'autre : il recula d'un pas.
Enfin il repartit: tes raisons font frivoles ;
Je pourrois décider, car ce droit m'appartient:
Mais rapportons-nous-en. Soit fait, dit le reptile,

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