Page images
PDF
EPUB

1500.

CHAP. XCIX. moient seuls presque toute l'infanterie; et prêts à combattre les uns contre les autres, ils recommencèrent à se réunir aux avant-postes, à tenir entre eux des conférences, et à resserrer les liens d'amitié ou de parenté qui les unissoient les uns aux autres. Ceux qui servoient dans l'armée française, avoient été fournis avec l'agrément exprès de la confédération, et ils marchoient sous les bannières de leurs cantons : ceux du duc au contraire s'étoient engagés individuellement à sa solde, et ils n'étoient point reconnus par leurs gouvernemens. Les uns et les autres reçurent en même temps un ordre de la diète, qui les rappeloit dans leur patrie, et leur interdisoit de verser réciproquement le sang de leurs frères. Les Suisses du duc, séduits par les intrigues de leurs compatriotes, et probablement aussi par l'argent de la France, se regardèrent comme plus particulièrement obligés à obéir. Ils déclarèrent qu'en combattant contre les bannières de leurs cantons, ils se rendoient coupables de rébellion, et s'exposoient à un châtiment capital. Cependant ils cherchoient un prétexte pour abandonner le prince qu'ils servoient, et ils demandèrent à Sforza, avec des cris menaçans et tumultueux, de leur payer leur solde arriérée. Le duc courut aussitôt au milieu de leurs rangs, il se recommanda à leur générosité, il leur distribua ioute son argenterie, et

tout ce qu'il avoit d'effets précieux; il leur jura qu'il avoit fait demander de l'argent à Milan, et il les supplia d'attendre avec patience, seulement jusqu'à ce que cet argent fût arrivé. Il parvint ainsi à les calmer momentanément; puis il écrivit à son frère, pour le presser de lui amener quatre cents chevaux, et huit mille fantassins italiens qu'il avoit rassemblés, afin de lui servir de sauvegarde, au milieu de cette soldatesque barbare (1).

Cependant les Français s'avançoient entre le Tésin et Novarre; si Louis Sforza vouloit tenir ouverte sa communication avec Milan, il falloit qu'il leur livrât bataille; il s'y résolut : il fit sortir le 10 avril son armée des murs, et il engagea le combat avec sa cavalerie légère et ses gendarmes bourguignons. Mais les Suisses, déjà rangés en bataille, déclarèrent qu'ils ne combattroient point contre leurs compatriotes, et qu'ils vouloient retourner immédiatement dans leur patrie. En même temps ils rentrèrent tumultueusement dans la ville, et tout le reste de l'armée se voyant abandonné par eux, fut obligé de les suivre. Sforza, désespérant de les conduire au combat, ou de remporter la victoire avec des troupes aussi mal disposées, demanda du moins,

[ocr errors]

Josephi Ripamoniii

(1) Fr. Guicciardini. Lib. IV, p. 250. hist. urbis Mediol. Lib. VII, p. 672. — Barth. Senaregæ de reb. Genuens, p. 572.

CHAP. XCIX.

1500.

CHAP. XCIX. avec les instances les plus touchantes, que les 1500. troupes qui vouloient se retirer, pourvussent

auparavant à sa sûreté, ou l'emmenassent avec elles. C'étoit le devoir étroit des Suisses; l'honneur de leur nation y étoit tellement intéressé que leurs compatriotes, dans l'armée ennemie l'auroient senti, et qu'il n'auroit pas été difficile de faire de la retraite de Sforza une condition expresse de leur capitulation: les Suisses le refusèrent durement; seulement ils offrirent à Sforza, et à ceux de ses généraux qui pouvoient craindre d'être personnellement maltraités, de les cacher sous leurs habits et dans leurs rangs. Sforza, déjà vieux, basané, et d'une taille grêle, ne pouvoit passer pour un de ces vigoureux montagnards. Il s'habilla en cordelier, et monté sur un méchant cheval, il essaya de se donner pour leur chapelain. Galéazzo de San-Sévérino, Fracasca et Anton Maria, ses frères, revêtirent des habits de soldats suisses; ils défilèrent ainsi entre les rangs de l'armée française; mais tous quatre furent reconnus et arrêtés, sans que leurs prétendus frères d'armes fissent un mouvement pour les défendre. Des traîtres parmi eux avoient ajouté à la honte des Suisses, en désignant ces quatre victimes à leurs ennemis (1).

(1) Mémoires de Louis de la Trémouille. T. XIV, Chap. X, p. 162. L'auteur déclare avoir reconnu lui-même et arrêté Louis Sforza en habit de cordelier. Les autres parlent de son déguise

1500.

Les Suisses, après s'être souillés par cette tra- CHAP. XCIX. hison, reprirent le chemin de leurs montagnes. Cependant, à leur passage à Bellinzona, ceux d'entre eux, qui étoient sortis des quatre cantons riverains du lac, s'emparèrent de cette ville, qui devenoit pour eux la clef de la Lombardie, et ils profitèrent de la multiplicité des occupations de Louis XII, pour s'affermir dans une conquête qu'ils avoient faite en pleine paix (1).

Les troupes italiennes, abandonnées à Novarre par les Suisses, furent dévalisées. Le cardinal Ascagne, ne pouvant se défendre à Milan avec le de soldats qui lui restoient, s'enfuit avec les principaux chefs de la noblesse gibeline. Il prit la route de l'état de Plaisance, pour gagner ensuite le royaume de Naples; mais arrivé à Ri

peu

ment en soldat suisse. Jean d'Auton, histoire de Louis XII, p. 110.- - Mémoires pour l'histoire de France. T. XIV, p. 292.

[ocr errors]

Ro

Saint-Gelais', hist. de Louis XII, publiée par Théod. Godefroi. Paris, 1622, 4, p. 159.. Garnier, hist. de France. T. XI, p. 125, édit. 4to. Chron. Veneta. T. XXIV, p. 151. dolphe de Salis, surnommé le Long, Grison; et Gaspard Silen d'Ury, qui tous deux servoient dans l'armée de Louis-le-Maure, sont accusés de l'avoir fait connoître aux Français, par Giovio, et d'après lui par Beaucaire. Comment. Rer. Gallic. L. VIII, P. 240.

(1) Fr. Guicciardini. Lib. IV, p. 250. Jacopo Nardi hist. Fior. L. IV, p. 110. Petri Bembi hist. Ven. L. V, p. 100. — Barthol. Senarega de rebus Genuens. T. XXIV, p. 572. Jos. Ripamontii hist. Urbis Med. L. VII, p. 673.

[blocks in formation]

CHAP. XCIX.

gen

volta, chez Conrad Lando, gentilhomme, son 1500. parent et son ancien ami, il lui demanda l'hospitalité, pour se reposer une nuit de son extrême fatigue. Conrad lui promit toute sûreté, tandis qu'il fit avertir à Plaisance des capitaines vénitiens, qui, pendant la nuit, entourèrent sa maison, et arrêtèrent Ascagne avec tous les tilshommes qui l'accompagnoient. Louis XII, averti que ces prisonniers avoient été conduits à Venise, les fit redemander au sénat. Il ne vouloit pas laisser entre les mains d'un peuple voisin, des prétendans à l'état qu'il venoit de conquérir, et il pressa ses demandes avec tant de hauteur et tant de menaces, que non-seulement le cardinal Ascagne et ceux qui avoient été arrêtés avec lui furent livrés à la France, mais que le sénat abandonna de même des gentilshommes milanois, auxquels il avoit accordé une sauvegarde formelle (1).

François Sforza avoit fondé sa souveraineté par ses talens militaires, et il avoit dû croire sa dynastie solidement établie; Louis XII, au contraire, qui se regardoit comme héritier légitime du duché de Milan, nourrissoit autant d'envie que de haine contre celui qu'il appeloit l'usur

(1) Fr. Guicciardini Lib. IV, p. 251. Chronica Veneta. T. XXIV, p. 153, 155, 157. - Jos. Ripamontii hist. Mediol. L. VII, p. 673. Mémoires de messire Louis de La Trémoille.

T. XIV, p. 165.

« PreviousContinue »