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CHAP. CV.

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pouvoit plus espérer d'indépendance, et tous les efforts qu'avoit faits Jules II pour réunir les provinces détachées de l'Église, demeuroient sans utilité.

L'Épirote Constantin Cominatès se trouvoit alors à Rome, envoyé par Maximilien, auprès duquel il jouissoit d'une grande faveur. C'étoit le même homme qui pendant un temps avoit été tuteur des jeunes marquis de Montferrat, et qui, chassé ensuite de cette principauté par les Français, avoit conçu contre eux une haine profonde. Après avoir eu des conférences avec Jules H, il fut chargé par lui de voir secrètement Jean Badoéro envoyé de la république à Rome. Il alla le trouver de nuit, il lui communiqua le traité de Cambrai, dont la connoissance avoit jusque alors été dérobée aux Vénitiens; et en même temps il lui déclara que si le sénat vouloit restituer au pape Faenza et Rimini, celui-ci se détacheroit de la ligue; que le sénat brouilleroit de même Maximilien avec la France, s'il vouloit seconder les projets de cet empereur sur le Milanez. Ces ouvertures furent aussitôt communiquées au conseil des Dix qui, vers le même temps avoit reçu de Milan quelque connoissance du traité (1).

Le conseil des Dix avant de s'engager avec le

(1) Petri Bembi histor. Venetæ. L. VII, p. 158.

pape, voulut tenter si en effet l'empereur pour- CHAP. CV. roit être détaché de l'alliance de France. Il lui 150g. envoya Jean Pierre Stella, secrétaire du sénat, avec les propositions les plus avantageuses. Mais celui-ci ne sut point s'envelopper d'un secret assez profond; l'ambassadeur français informé de son arrivée, empêcha qu'il ne fût admis: un autre négociateur fut également écarté ; une proposition conciliatrice que Jules II fit luimême à George Pisani, second ambassadeur de la république à Rome, fut dédaignée par cet homme morose, et d'un esprit contrariant, qui ne la communiqua pas même à ses chefs (1). Enfin la seigneurie, après avoir délibéré sur les moyens de détacher le pape de la ligue formée contre elle, trouva, d'après le conseil de Dominique Trévisani, que céder à l'Église sans combats ce qu'elle pourroit à peine obtenir par les armes, c'étoit acheter bien cher la neutralité d'un aussi foible ennemi, et donner dès le commencement de la guerre une preuve trop dangereuse de pusillanimité. Le pape, qui avoit tardé jusqu'au dernier jour à donner sa ratification au traité, y accéda enfin, mais sous la condition expresse qu'il n'agiroit à découvert contre les Vénitiens, qu'après que les Français auroient commencé les hostilités (2).

(1) Petri Bembi hist. Ven. Lib. VII, p. 158.

(2) Fr.Guicciardini. L.VIII, p. 414-Fr. Belcarii.L. XI, p. 312.

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guerre,

Leurattaque, il est vrai, ne devoit plus être long1509. temps différée; Louis XII s'étoit rendu à Lyon pour hâter la marche de ses troupes vers l'Italie; le cardinal d'Amboise qui cherchoit avidement un prétexte pour rompre l'antique alliance, avoit fait, en présence de tout le conseil, des reproches sanglans à l'ambassadeur vénitien de ce que ses maîtres faisoient fortifier l'abbaye de Cerréto dans l'état de Crême, contre la teneur d'un traité conclu par la république avec François Sforza, le 29 avril 1454 (1). Louis XII en même temps se faisoit donner pour cette des vaisseaux par les Génois, de l'argent par les Florentins, de l'argent et des soldats par les Milanois, qui regrettoient les provinces de leur état cédées par la France à la république de Venise. A la fin de janvier, la cour de France jeta enfin le masque; elle rappela de Venise son ambassadeur, elle renvoya celui des Vénitiens, aussi-bien que le secrétaire de la république qui résidoit à Milan, et elle publia son manifeste. Ferdinand-le-Catholique, au contraire, fidèle à sa politique astutieuse, fit déclarer à la république, qu'il étoit entré dans la ligue signée à Cambrai contre les Turcs, mais nullement dans celle contre Venise; qu'il ignoroit les motifs de Louis XII pour attaquer la seigneurie, (1) Fr. Guicciardini. Lib. VIII, p. 418. L. XI, p. 314.

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Fr. Belcarii.

et qu'il offroit à celle-ci tous les bons offices CHAP. C, qu'elle avoit droit d'attendre de sa bienveillance

et de sa richesse (1).

Déjà les hostilités avoient commencé sur les bords de l'Adda, entre quelques troupes légères françaises et vénitiennes, lorsque le héraut d'armes de France fut introduit dans le sénat, et dénonça la guerre à Léonard Lorédano, doge de Venise, et à tous les citoyens de cette ville; les qualifiant d'hommes infidèles, qui retenoient injustement les villes du souverain pontife et des rois, après s'en être emparés par violence. Lorédano répondit que la république n'avoit manqué de foi à personne, et que si elle n'avoit pas observé trop scrupuleusement ses engagemens envers la France elle-même, Louis XII n'auroit pas en Italie un lieu à lui où il pût placer son pied. Après ces protestations solennelles, de part et d'autre, on ne songea plus qu'à la guerre (2).

Les Vénitiens, quoique abandonnés sans alliés aux attaques de l'Europe presque entière, ne désespéroient point de leur sort. Pourvu qu'ils ne succombassent pas à la première agression, ils ne doutoient pas que la ligue formée contre eux ne vint à se dissoudre au bout de peu de mois les alliés étoient mis en mouve

:

(1) Petri Bembi hist. Veneto. L. VII, p. 159.

(2) Idem, p. 162. - Fr. Guicciardini. Lib. VIII, p. 421.

150g

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CHAP. CV. ment par des intérêts trop discordans, et le ca1509. ractère du pape et de Maximilien promettoit

trop peu de constance, pour qu'on dût s'attendre à les voir persister long-temps dans une entreprise si contraire à toute saine politique.. Les Vénitiens songèrent donc à se mettre en défense; leurs richesses, qui étoient encore intactes, et la prospérité de leur commerce, que les progrès des Portugais dans les Indes n'avoient pas encore eu le temps d'ébranler, mettoient à leur disposition tous les condottiéri, et leur permettoient de rassembler sous leurs drapeaux la plus brillante armée qui eût encore combattu dans les guerres d'Italie. Cependant ces richesses, qui faisoient toute leur force, furent coup sur coup entamées par des accidens fortuits, comme si le ciel lui-même s'étoit joint à la ligue des nombreux ennemis de la république. Le magasin à poudre de l'arsenal de Venise sauta avec une effroyable détonation, tandis que le conseil étoit assemblé, et cet incendie couvrit la ville entière de cendres et de brandons enflammés. La forteresse de Brescia fut frappée d'un coup de tonnerre, qui entr'ouvrit ses murailles; une barque, qui portoit à Ravenne dix anille ducals, pour la solde des troupes, périt en mer. Les archives enfin de la république, qui contenoient tous ses papiers les plus précieux, furent consumées par le feu: et ces malheurs répé

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