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CHAP. CIV. la Sassetta et Pierre Gambacorti, avoient ras1509. semblé cent cinquante fantassins pisans en Lombardie (1). Une foule d'autres, et parmi eux une branche des Sismondi, se rangèrent sous les mêmes drapeaux. Renouant avec les capitaines français les liens d'hospitalité qu'ils avoient cherché avec tant de soin à établir dès le passage de Charles VIII, et qui avoient à plusieurs reprises déjoué les négociations du cabinet, et sauvé Pise par les armées mêmes qui l'assiégeoient; ils se firent une patrie du camp français; ils remplacèrent la liberté civile par l'indépendance des armées; ils trouvèrent dans la gloire quelque consolation de leur exil, et sans avoir un domicile assuré, ils continuèrent à se sentir chez eux dans toute l'Italie, jusqu'à l'époque où les armées françaises en furent chassées, et où ces familles proscrites vinrent chercher dans les provinces méridionales de France, une image du beau climat de la Toscane auquel elles avoient renoncé (2).

(1) Lettera di N. Capponi et Alam. Salviati, ex castris apud Mezzanam, die 1 junii 1599. Macchiavelli, T. VII, p. 276.

(2) C'est un monument très-remarquable de l'horreur qu'inspiroit aux Pisans ce joug étranger, et de l'émigration qui suivit son établissement, que le registre ouvert en 1566, d'après les ordres du grand-duc Cosme 1er, pour y inscrire tous les individus restés à Pise, qui pourroient prouver que leurs ancêtres participoient, avant 1494, aux honneurs et aux magistratures de la ville. Il comprend tous les mâles de chaque famille, même

CHAPITRE CV.

Ligue de Cambrai, bataille de Vaila ou d'Aignadel, conquête de tout l'état de terre ferme des Vénitiens.

1508, 1509..

CHAP. CV.

LA ligue conclue à Cambrai, entre les grandes puissances de l'Europe, pour attaquer et dé- 1508. pouiller les Vénitiens, fut, depuis les croisades, la première entreprise suivie de concert dans un but commun, par tous les états civilisés. Pour la première fois, les maîtres des nations convinrent de partager entre eux un état indépendant; pour la première fois, ils firent revivre, à l'aide d'une érudition pédantesque, des prétentions surannées; pour la première fois enfin, ils réclamèrent les droits imprescriptibles de leur légitimité. Les croisades avoient montré un accord européen, fondé sur le zèle religieux

les prêtres, qui ne pouvoient cependant ni laisser de descendans, ni exercer de magistratures; il s'étend jusqu'aux professions les plus basses, et néanmoins il ne renferme que sept cent vingt-sept noms; tellement l'émigration, dans le cours d'un demi-siècle, avoit réduit la population d'une ville capable de tenir tête à toute la Toscane, ville dont la longue et valeurense résistance avoit occupé toute l'Europe. Il est imprimé dans les Diplomi Pisani di Flaminio del Borgo, 4to. 1765, p. 435.

TOME XIII.

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CHAP. CV. et l'enthousiasme : on vit, dans la ligue de Cambrai, un nouvel accord européen; mais il n'avoit d'autre principe que l'intérêt personnel et momentané des forts qui dépouilloient le foible, d'autre sanction que les prétentions long-temps abandonnées de ceux qui regardent leurs titres comme impérissables. C'est cependant à cet événement qu'on peut assigner l'origine du droit public qui, depuis trois siècles et jusqu'à nos jours, a gouverné l'Europe. Il commença par la plus criante injustice; et la science diplomatique, qu'on vit naître en quelque sorte avec le seizième siècle, servit dès lors, le plus souvent, à donner des prétextes à la rapacité et à la mauvaise foi.

. Ce n'est point là l'idée qu'on aime à se former du droit public ou international : la société humaine auroit besoin d'une autre garantie; elle auroit besoin d'une législation qui régît les nations dans leurs rapports entre elles, comme le droit civil régit les citoyens dans une même nation. Nos désirs nous persuadent aisément que ce que nous souhaitons a existé. Toutes les fois que nous éprouvons de grands abus de pouvoir, nous comparons avec envie le temps présent où triomphe l'injustice, à ce passé que nous peint l'imagination, où l'on n'avoit recours à la guerre que pour mettre à exécution des droits déjà établis par les traités, et où la

1508.

conquête elle-même ne donnoit point de pré- CHAP. CV. tention à la possession, si elle n'étoit sanctionnée par des titres légitimes. Mais nous chercherions vainement dans l'histoire cette époque où la justice remplaçoit la force, et où la puissance des traités ou des droits imprescriptibles enchaînoit la violence elle-même.

Trois bases absolument différentes sont données au droit public; leurs principes sont directement contradictoires, et jusqu'à ce que le choix entre ces principes ait été fixé de concert par toutes les nations, chaque souverain trouvera toujours moyen d'accommoder sa cause à l'un ou à l'autre système, et il sera toujours aussi impossible qu'il l'a été jusqu'ici de s'entendre sur aucun fait ou sur aucune conséquence. Ces trois bases sont la légitimité imprescriptible, le droit des traités, et les conve-. nances nationales. Pour la première fois, l'occasion de la ligue de Cambrai, ces trois principes furent mis en opposition. L'empereur et le roi de France annoncèrent qu'ils prenoient les armes pour recouvrer leurs droits imprescriptibles, l'un sur les terres d'empire de la Vénétie, l'autre sur le duché de Milan. Les Vénitiens, en se défendant, invoquèrent le droit public des traités qui leur garantissoient toutes leurs possessions de terre ferme. Le pape, après avoir recouvré lui-même ce qu'il

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.1508.

prétendoit être ses droits imprescriptibles; ne fit plus valoir, dans la seconde année de la guerre, que les convenances nationales, l'indépendance de l'Italie, d'où il vouloit chasser les barbares; la souveraineté d'un peuple sur son propre territoire, et l'avantage d'une nation, qui ne peut être enchaînée ni par le contrat primitif et peut-être fabuleux de ses ancêtres avec leurs souverains, ni par les traités que la force lui a imposés.

Chacun de ces systèmes de politique est en lui-même défectueux, et dans son application il est soumis à de grandes difficultés : mais combien ne le deviennent-ils pas davantage lorsqu'on les confond l'un avec l'autre ; lorsque, après avoir réclamé pour soi-même des droits imprescriptibles, on veut limiter ceux des autres par les traités, ou les expliquer par l'intérêt des peuples. Cependant aucune puissance ne s'en est jamais tenue à l'une ou à l'autre de ces bases ruineuses, et n'a avoué toutes les conséquences qui découloient du premier principe: aussi la science du droit public n'a-t-elle été presque jamais qu'une vaine étude de sophismes; avec son aide, on a éveillé les passions des peuples, pour leur faire seconder l'ambition de leurs gouvernemens, et l'on a dissimulé aux yeux des premiers l'injustice des droits prétendus par les seconds.

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