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CHAP. GI.

bin, car le duc régnant, Guid'Ubaldo, son oncle, 1502. n'avoit point d'enfans. La préfetesse étoit restée dans Sinigallia, sous la protection des confédérés de la Magione; elle comprit qu'elle ne pouvoit se défendre sans eux, et elle se retira par mer à Venise; mais ceux à qui elle avoit confié le commandement de sa citadelle, déclarèrent ne vouloir la rendre qu'au duc de Valentinois lui-même, en sorte que Olivérotto et les Orsini l'invitèrent à s'approcher pour en prendre possession (1).

Borgia, qui avoit déjà renvoyé les troupes françaises, pour dissiper les soupçons des ca ́pitaines confédérés, compta davantage encore sur leur confiance, quand il se vit appelé par eux. Il les fit avertir de distribuer leurs soldats dans les villages du territoire de Sinigallia, pour laisser aux siens les logemens dans la ville même, et le 31 décembre il partit de Fano, pour arriver le même jour à cette ville, n'ayant avec lui pas moins de deux mille chevaux et dix mille fantassins. Vitellozzo Vitelli, Paul Orsini, et François Orsini, duc de Gravina, s'avancèrent sans armes pour rencontrer le duc de Valentinois et lui faire honneur. Avant d'arriver

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(1) Macchiavelli, del modo tenuto dal duca Valentino, etc. T. III, p. 148. Fr. Guicciardini. Lib. V, p. 289. Jacopo Nardi hist. Fior. L. IV, p. 142. Joann. Burchardi Diarium Curice Roman. p. 2147.

à lui ils eurent à traverser toute sa cavalerie, qui étoit rangée en haie des deux côtés du chemin. Le duc les salua avec bienveillance, puis les consigna à deux gentilshommes, chargés de leur servir de cortége, et de ne pas les quitter qu'ils ne fussent arrivés au palais. Olivérotto manquoit encore; il tenoit en parade sa compagnie, qui seule étoit demeurée à Sinigallia, pour honorer l'entrée de Valentinois: un des confidens de celui-ci vint l'avertir que s'il ne faisoit pas rentrer ses soldats dans leurs quartiers, on ne pourroit empêcher les troupes arrivantes d'occuper ces logemens. Olivérotto renvoya alors ses gendarmes, et s'avança auprès du duc, qui le reçut avec la même distinction que les trois autres, mais qui, sous le même prétexte de lui faire honneur, le fit garder à vue comme eux. Tous ensemble descendirent de cheval au logis qui avoit été préparé pour le duc; les quatre capitaines n'y furent pas plus tôt entrés, qu'ils furent arrêtés. Aussitôt Valentinois remonta à cheval, et conduisant ses gendarmes à l'attaque des quartiers d'Olivérotto, il fit dévaliser ses soldats. Il donna ordre d'attaquer en même temps ceux des Orsini et de Vitelli, qui étoient logés à cinq ou six milles de distance; mais ceux-ci furent avertis à temps de ce qui se passoit, et se retirèrent en bon ordre. Le même soir, Borgia fit étrangler Vitellozzo et Olivé

CHAP CI.

1502.

1502.

CHAP. C. rotto; il attendit jusqu'au 18 janvier, pour faire subir le même sort à Paul Orsini et au duc de Gravina, parce qu'il vouloit savoir auparavant

son père avoit exécuté les mesures concertées contre les autres membres de la maison Orsini (1).

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(1) Macchiavelli. Legaz. Ia, Lett. XXI, du 1er janvier 1503, p. 67. Idem, del modo tenuto dal duca Valentino, etc. T. III, p. 153. Jacopo Nardi. Lib. IV, p. 143. - Fr. Guicciardini. Lib. V, p. 290. - Burchardi Diar. Curiæ Roman. p. 2148. Istor. di Giov. Cambi, p. 184. - Fr. Belcarii. Lib. IX, p. 260. M. Roscoe avance comme très-probable que Macchiavel fut un des auteurs du complot exécuté à Sinigallia. (Vie et Pontificat de Léon X. Tome I, ch. VI, p. 356 de la trad. note 1.) Ce soupçon, élevé si légèrement contre un homme qui jusqu'ici n'a été accusé d'aucun crime, n'auroit pas même pu se présenter à l'esprit de l'auteur, s'il avoit lu les lettres du secrétaire florentin à la seigneurie pendant cette première légation. Le progrès naïf de ses doutes, de ses craintes, de ses conjectures, à mesure que les événemens avancent, les difficultés qu'il trouve à parler à Valentinois, parce qu'il étoit un homme trop peu important, ses demandes réitérées pour qu'on envoyât à sa place un ambassadeur, chaque ligne enfin de ces vingt-neuf lettres détruisent victorieusement un soupçon aussi injurieux. Le plus grand argument de M. Roscoe, c'est que Macchiavel, dans sa relation séparée de cet événement, n'accompagne son récit d'aucunes réflexions il me semble qu'elles n'étoient pas nécessaires, et que les faits parlent assez d'eux-mêmes. Il peut être vrai que Macchiavel n'avoit ni estime ni compassion pour ces ennemis de son pays, et en effet ils étoient fort peu estimables. Quant au duc de Valentinois, il admiroit son habileté, et il voyoit en lui un grand prince. Mais à cette époque, les noms de prince, d'usurpateur, de tyran étoient tous synonymes; Macchiavel ne fait jamais aucune différence entre eux, et il ne croyoit pas possible d'y asso

:

1503.

La perfidie avec laquelle César Borgia venoit CHAP. CI. de traiter les chefs de bandes rassemblés à Sinigallia, n'indisposoit point les peuples contre lui. Ces capitaines étoient pour la plupart aimés de leurs soldats et détestés de leurs sujets; la peur seule pouvoit contenir ces derniers dans l'obéissance envers un pouvoir purement militaire, et qui n'étoit accompagné d'aucune justice et d'aucune modération; et César Borgia étoit trop habile pour n'avoir pas rendu plus léger son joug sur ses nouveaux sujets. Il voulut profiter sans retard de l'effroi de ses ennemis, assuré que les peuples se déclareroient pour lui; et dès le 1er janvier 1503 il partit par Conrinaldo, Sasso Ferrato et Gualdo, pour s'approcher d'Agobbio, et menacer de là en même temps Pérouse et Città di Castello (1). Dès le 4 du mois, il reçut des ambassadeurs de Città di Castello, qui lui annonçoient que l'évêque de cette ville et tous les Vitelli s'étoient enfuis, et que le reste des habitans s'empressoit de l'assurer de leur obéissance. Giulio Vitelli, demeuré chef de sa famille, après que ses quatre frères aînés, tous distingués dans les armes, avoient successivement péri d'une mort violente, étoit parti pour Venise

cier aucune vertu morale, autre que de la grandeur de courage, du caractère, et de l'habileté.

(1) Macchiavelli. Legaz. Ia, Lett. XXI, XXII, p. 72. Jacopo Nardi. Lib. IV, p. 145.

1505.

CHAT. CI. avec le duc d'Urbin, tandis qu'il avoit envoyé ses neveux à Pitigliano (1). Jean-Paul Baglioni, à la nouvelle du massacre de Sinigallia, s'étoit aussi enfui de Pérouse; les citoyens de cette ville envoyèrent alors à Florence, pour demander à cette république de les aider à maintenir leur liberté; mais les Florentins répondirent qu'en toute occasion ils avoient si peu pu compter sur l'amitié et les bons offices de Pérouse, qu'ils ne vouloient pas pour sauver de tels voisins, courir risque de se brouiller avec un pape aussi puissant. Les Pérugins envoyèrent alors au duc de Valentinois des ambassadeurs qui se présentèrent à lui le 5 janvier, pour lui déclarer que les troupes des Orsini, des Vitelli et des Baglioni, ayant évacué leur ville pour se retirer à Sienne, ils avoient proclamé César Borgia comme leur souverain. Cependant Borgia, soit que tel fût l'ordre de son père, ou qu'il lui convînt de cacher ses vues ultérieures, ne reçut l'hommage de Pérouse et Castello que commegonfalonier de l'Église, et non point en son propre nom. Il déclara qu'il s'étoit proposé de chasser les tyrans de tout l'héritage des pontifes romains et d'y éteindre les factions, mais qu'il ne vouloit point étendre sa propre domination au-delà de son duché de Romagne, et qu'il jugeoit en con

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(1) Macchiavelli. Legaz. Ia, Lett, XXV, p. 76. — Jacope Nardi hist. Fior. Lib. IV, p. 145.

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