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Que je me plains, que je murmure;
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature;

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui seul l'honneur du printemps. »
Junon répondit en colère:

<< Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué (1) de cent sortes de soies;
Qui te panades (2), qui déploies

Une si riche queue et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire?

Est-il quelque oiseau sous les cicux
Plus que toi capable de plaire?

Tout animal n'a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage.
Le faucon est léger; l'aigle, plein de courage;
Le corbeau sert pour le présage;

La corneille avertit des malheurs à venir;

Tous sont contents de leur ramage.

Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir,
Je t'ôterai ton plumage. »

(1) Nuancé.

(2) Qui te panades: le paon se panade lorsqu'il étale sa queue.

Ainsi de l'insecte à l'éléphant, et du bûcheron au roi, tout dans la nature et dans l'humanité semble appartenir au poète. Tout a dans son œuvre un rôle et une parole.

Tout parle dans mes vers, et même les poissons,

dit-il lui-même; le monde entier lui sert de spectacle, amusant et instructif à la fois, et la fable est devenue entre ses mains :

Une ample comédie à cent actes divers,
Et dont la scène est l'univers.

BUT QUE LA FONTAINE S'EST PROPOSÉ EN
ÉCRIVANT DES FABLES.

Mais encore quel a été le but de l'écrivain en peignant tout cela, en faisant jouer devant ses yeux et devant les nôtres ces milliers d'acteurs? Son but

Da été d'abord de s'amuser et de nous amuser.

Il y avait des enfants de son temps comme au nôtre, et un de ses grands bonheurs a été de les voir rire de la fatuité du lièvre qui trouve plus poltron que lui, et fait peur à des grenouilles, ou de la déconvenue du renard qui a voulu tromper la cigogne et à qui on rend la pareille.

LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES:

Un lièvre en son gîte songeait

(Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?) Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait.

Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

«Les gens de naturel peureux

Sont, disait-il, bien malheureux !

Ils ne sauraient

manger morceau qui leur profite. Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers. Voilà comme je vis : cette crainte maudite M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts. Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle." Eh! la peur se corrige-t-elle ?

Je crois même qu'en bonne foi

Les hommes ont peur comme moi. »
Ainsi raisonnait notre lièvre,

Et cependant faisait le guet.

Il était douteux (1), inquiet :

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit : ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes:
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.

(1) Craintif, méfiant.

« Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire ! Ma présence

Effraie aussi les gens ! je mets l'alarme àu camp!
Et d'où me vient cette vaillance?

Comment? des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre (1)!

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. >>

LE RENARD ET LA CIGOGNE.

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galant, pour toute besogne (2),

Avait un brouet clair (3); il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette
Etle drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
« Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. »

A l'heure dite, il courut au logis

De la cigogne son hôtesse;

(1) Foudre de guerre signifie un conquérant, un brave

(2) Pour tout mets.

(3) Brouet, espèce de bouillie.

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Reproduction de Fessard.

La cigogne au long bec n'en put attraper miette;

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

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