écus chez le prêteur, et retrouva chansons le jour et sommeil la nuit. LE SAVETIER ET LE FINANCIER. Un savetier chantait du matin jusqu'au soir : Merveille de l'ouïr; il faisait des passages (1), Si, sur le point du jour, parfois il sommeillait, Que les soins de la Providence N'eussent pas au marché fait vendre le dormir, En son hôtel il fait venir Le chanteur, et lui dit : « Or çà, sire Grégoire, Dit avec un ton de rieur Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière (1) [sieur, Passage signifie ici ornement ajouté à un trait de chant.» (Littré.) J'attrape le bout de l'année; Chaque jour amène son pain. - Eh bien ! que gagnez-vous, dites-moi, par journée ? Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours (Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes), Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes : L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône. » Le financier, riant de sa naïveté, Lui dit : « Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône. Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin, Pour vous en servir au besoin. >> Le savetier crut voir tout l'argent que la terre Produit pour l'usage des gens. Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre Plus de chant: il perdit la voix Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. Il eut pour hôtes les soucis, Les soupçons, les alarmes vaines. Tout le jour, il avait l'œil au guet ; et la nuit, Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme RESIGNATION A LA MORT. Voilà une bonne et saine résignation. Je l'ai dit, ce savetier est un sage. Il y a une résignation plus difficile, c'est celle qui fait que nous nous inclinons devant les arrêts du sort. Ils nous paraissent toujours si injustes! Sur ce point aussi les petits pourraient donner des leçons aux grands. Ils sont naturellement plus résignés, plus capables d'abnégation, d'humilité devant les grandes puissances naturelles qui nous gouvernent, et contre lesquelles il serait bien inutile et bien ridicule de se révolter. La Fontaine a préféré, pour nous donner cet enseignement, faire parler la plus terrible de ces fatalités inévitables, la Mort. Dans la fable que vous allez lire, elle raille durement l'avidité, l'obstination à vivre d'un centenaire incorrigible. Mais voyez comme La Fontaine est bon. Après avoir fait parler à la Mort son langage, rude et amer, lui à son tour prend la parole pour exprimer les mêmes idées avec plus de douceur, plus de délicatesse persuasive, plus d'élévation aussi, non pas seulement en sage, mais en ami des hommes, en philosophe aimable dont la résignation est souriante, en admirateur des belles morts et des glorieux dévouements, parant, en quelque sorte, la LA FONTAINE |