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Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien. »
Là-dessus le maître entre et vient faire sa ronde.
« Qu'est ceci? dit-il à son monde ;

Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers.
Cette litière est vieille; allez vite aux greniers.
Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées.
Que coûte-t-il d'ôter toutes ces araignées ?
Ne saurait-on ranger ces jougs et ces colliers ?
En regardant à tout, il voit une autre tête.
Que celles qu'il voyait d'ordinaire en ce lieu.
Le cerf est reconnu: chacun prend un épieu;
Chacun donne un coup à la bête.

Ses larmes ne sauraient la sauver du trépas.
On l'emporte, on la sale, on en fait maint repas
Dont maint voisin s'éjouit (1) d'être.

Il n'est, pour voir, que l'œil du maître.

NE PAS JUGER LES GENS SUR LA MINE.

Il faut savoir distinguer le faux ami du véritable, ne se pas rapporter au dehors, à l'apparence agréable, séduisante ou flatteuse. Nous sommes tous de petites souris que guette le chat. Le chat est très plaisant et doux à regarder. Il rentre ses griffes. Il faut savoir les deviner sous le velours de la patte.

(1) S'éjouit, se réjouit.

C'est ce qu'enseigne la souris expérimentée à son petit, au jeune souriceau étourdi et confiant.

LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU.

Un souriceau (1) tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
<< J'avais franchi les monts qui bornent cet Etat,
Et trottais comme un jeune rat

Qui cherche à se donner carrière,

Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin et gracieux,

Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair (2),
Une sorte de bras (3), dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,

La queue en panache étalée. »

Or, c'était un cochet (4) dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau

Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui grâce aux dieux de courage me pique,

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En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec Messieurs les rats, car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.
Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger des gens sur la mine.

LA PRUDENCE EST LA MÈRE DE LA SURETÉ.

C'est encore ce que le vieux rat sait très bien faire pour lui-même et enseigner aux autres quand il se trouve en face du chat, vieux aussi, routier

LA FONTAINE,

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et corsaire, qui sème la terreur autour de lui, peu redoutable cependant, pour qui sait démêler ses ruses, ou seulement se tenir sur ses gardes.

LE CHAT ET UN VIEUX RAT.

J'ai lu, chez un conteur de fables,

Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des chats,
L'Attila, le fléau des rats,

Rendait ces derniers misérables;

J'ai lu, dis-je, en certain auteur,
Que ce chat exterminateur,

Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde:
Il voulait de souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu'on suspend sur un léger appui,
La mort-aux-rats, les souricières,

N'étaient que jeux au prix de lui.
Comme il voit que dans leurs tanières
Les souris étaient prisonnières,

Qu'elles n'osaient sortir, qu'il avait beau chercher,
Le galant fait le mort et du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas : la bête scélérate
A de certains cordons se tenait par la patte.
Le peuple des souris croit que c'est châtiment,
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Êgratigné quelqu'un, causé quelque dommage;
Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement.
Toutes, dis-je, unanimement,

Se promettent de rire à son enterrement,

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La bête scélérate (Le Chat)

A de certains cordons se tenait par la patte.

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