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Les répandre à ses yeux, et le bénir lui-même."
Ce discours aussitôt frappe tous les esprits;
Et le prélat charmé l'approuve par des cris.
Il veut que sur-le-champ dans la troupe on choisisse
5 Les trois que Dieu destine à ce pieux office :
Mais chacun prétend part à cet illustre emploi.
"Le sort, dit le prélat, vous servira de loi;
Que l'on tire au billet ceux que l'on doit élire."
Il dit, on obéit, on se presse d'écrire.
10 Aussitôt trente noms, sur le papier tracés,
Sont au fond d'un bonnet par billets entassés.
Pour tirer ces billets avec moins d'artifice,
Guillaume, enfant de chœur, prête sa main novice:
Son front nouveau tondu, symbole de candeur,
15 Rougit, en approchant, d'une honnête pudeur,
Cependant le prélat, l'œil au ciel, la main nue,
Bénit trois fois les noms et trois fois les remue.
Il tourne le bonnet: l'enfant tire, et Brontin
Est le premier des noms qu'apporte le destin,
20 Le prélat en conçoit un favorable augure,
Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure.
On se tait, et bientôt on voit paraître au jour
Le nom, le fameux nom du perruquier l'Amour.
Ce nouvel Adonis, à la blonde crinière, me
25 Est l'unique souci d'Anne sa perruquière.
Ce perruquier superbe est l'effroi du quartier,
Et son courage est peint sur son visage altier.
Un des noms reste encor, et le prélat par grâce
Une dernière fois les brouille et les ressasse]
30 Chacun croit que son nom est le dernier des trois;
Mais que ne dis-tu point, ô puissant porte-croix,
Boirude, sacristain, cher appui de ton maître,
Lorsqu'aux yeux du prélat tu vis ton nom paraître !
On dit que ton front jaune et ton teint sans couleur
35 Perdit en ce moment son antique pâleur,

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Et que ton corps goutteux, plein d'une ardeur guerrière, Pour sauter au plancher fit deux pas en arrière.] Chacun bénit tout haut l'arbitre des humains, Qui remet le bon droit en de si bonnes mains. 40 Aussitôt on se lève, et l'assemblée en foule,

Avec un bruit confus, par les portes s'écoule.
Le prélat, resté seul, calme un peu son dépit,
Et jusques au souper se couche et s'assoupit.

CHANT II.

Cependant cet oiseau qui prône les merveilles,
Ce monstre composé de bouches et d'oreilles,
Qui, sans cesse volant de climats en climats,
Dit partout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas ;
La Renommée enfin, cette prompte courrière,
Va d'un mortel effroi glaçer la perruquière ;
Lui dit que son époux, d'un faux zèle conduit,{
Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit,
A ce triste récit, tremblante, désolée,
Elle accourt, l'œil en feu, la tête échevelée.
Son époux s'en émeut, et son cœur éperdu
Entre deux passions demeure suspendu ;
Mais enfin, rappelant son audace première :

"Ma femme, lui dit-il d'une voix douce et fière,
Je ne veux point nier les solides bienfaits
Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits;
Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire
Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire.
Mais ne présume pas qu'en te donnant ma foi,
L'hymen m'ait pour jamais asservi sous ta loi.
Cesse donc à mes yeux d'étaler un vain titre :
Ne m'ôte pas l'honneur d'élever un pupitre;
Et toi-même, donnant un frein à tes désirs,
Raffermis ma vertu qu'ébranlent tes soupirs.
Que te dirai-je enfin ? c'est le ciel qui m'appelle.
Une église, un prélat m'engage en sa querelle.
Il faut partir: j'y cours. Dissipe tes douleurs,
Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.

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Les ombres cependant, sur la ville épandues, Du faîte des maisons descendent dans les rues, Le souper hors du chœur chasse les chapelains, Et de chantres buvants les cabarets sont pleins. Le redouté Brontin, que son devoir éveille,

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Sort à l'instant, chargé d'une triple bouteille D'un vin dont Gilotin, qui savait tout prévoir, Au sortir du conseil, eut soin de le pourvoir. L'odeur d'un jus si doux lui rend le faix moins rude: 5 Il est bientôt suivi du sacristain Boirude;

Et tous deux, de ce pas, s'en vont avec chaleur
Du trop lent perruquier réveiller la valeur.
"Partons, lui dit Brontin; déjà le jour plus sombre,
Dans les eaux s'éteignant, va faire place à l'ombre.
10 D'où vient ce noir chagrin que je lis en tes yeux ?
Quoi! le pardon sonnant te retrouve en ces lieux !
Où donc est ce grand cœur, dont tantôt l'allégresse
Semblait du jour trop long accuser la paresse ?
Marche, et suis-nous du moins où l'honneur nous attend."
15 Le perruquier, honteux, rougit en l'écoutant.
Aussitôt de longs clous il prend une poignée;
Sur son épaule il charge une lourde cognée;
Et derrière son dos, qui tremble sous le poids,
Il attache une scie en forme de carquois :
20 Il sort au même instant, il se met à leur tête.
A suivre ce grand chef l'un et l'autre s'apprête :
Leur cœur semble allumé d'un zèle tout nouveau :
Brontin tient un maillet, et Boirude un marteau.
La lune, qui du ciel voit leur démarche altière,
25 Retire en leur faveur sa paisible lumière.

La Discorde en sourit, et, les suivant des yeux,
De joie, en les voyant, pousse en cri dans les cieux.
L'air, qui gémit du cri de l'horrible déesse,

Va jusque dans Citeaux réveiller la Mollesse,
30 Quand la Nuit, qui déjà va tout envelopper,
D'un funeste récit vient encor la frapper;
Lui conte du prélat l'entreprise nouvelle :
Au pied des murs sacrés d'une sainte chapelle,
Elle a vu trois guerriers, ennemis de la paix,
35 Marcher à la faveur de ses voiles épais:

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La Discorde en ces lieux menace de s'accroître ;
Demain avant l'aurore un lutrin va paroître,
Qui doit y soulever un peuple de mutins.
Ainsi le ciel l'écrit au livre des destins.

A ce triste discours, qu'un long soupir achève,

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La Mollesse, en pleurant, sur un bras se relève,
Ouvre un œil languissant, et, d'une faible voix,
Laisse tomber ces mots qu'elle interrompt vingt fois :
"O Nuit! que m'as-tu dit? quel démon sur la terre
Souffle dans tous les cœurs la fatigue et la guerre?
Hélas! qu'est devenu ce temps, cet heureux temps
Où les rois s'honoraient du nom de fainéants,
S'endormaient sur le trône, et, me servant sans honte,
Laissaient leur sceptre aux mains ou d'un maire ou d'un
Aucun soin n'approchait de leur paisible cour: [comte? 10
On reposait la nuit, on dormait tout le jour,

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Isaanged

Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines
Faisait taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris le monarque indolent.
Ce doux siècle n'est plus. Le ciel impitoyable
A placé sur leur trône un prince infatigable.
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix:
Tous les jours, il m'éveille au bruit de ses exploits.
Rien ne peut arrêter sa vigilante audace;
L'été n'a point de feux, l'hiver n'a point de glace.
J'entends à son seul nom tous mes sujets frémir.
En vain deux fois la paix a voulu l'endormir:
Loin de moi son courage, entraîné par la gloire,
Ne se plaît qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerais à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Je croyais, loin des lieux d'où ce prince m'exile,
Que l'Eglise du moins m'assurait un asile.
Mais en vain j'espérais y régner sans effroi:
Moines, abbés, prieurs, tout s'arme contre moi.
Par mon exil honteux la Trappe est ennoblie;
J'ai vu dans Saint-Denis la réforme établie;
Le Carme, le Feuillant s'endurcit aux travaux;
Et la règle déjà se remet dans Clairvaux.
Citeaux dormait encore, et la Sainte-Chapelle
Conservait du vieux temps l'oisiveté fidèle.
Et voici qu'un lutrin, prêt à tout renverser,
D'un séjour si chéri vient encor me chasser!

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Ah! Nuit, ne permets pas......" La Mollesse oppressée 40

Dans sa bouche, à ce mot, sent sa langue glacée;
Et, lasse de parler, succombant sous l'effort,
Soupire, étend les bras, ferme l'œil et s'endort.

CHANT III.

Mais la Nuit aussitôt de ses ailes affreuses
5 Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses,
Revole vers Paris, et, hâtant son retour,
Déjà de Montlhéry voit la fameuse tour.
Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue,
Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue,
10 Et, présentant de loin leur objet ennuyeux,
Du passant qui le fuit semblent suivre les yeux.
Mille oiseaux effrayants, mille corbeaux funèbres,
De ses murs désertés habitent les ténèbres.
Là, depuis trente hivers, un hibou retiré
15 Trouvait contre le jour un refuge assuré.
Des désastres fameux ce messager fidèle
Sait toujours des malheurs la première nouvelle,
Et, tout prêt d'en semer le présage odieux,
Il attendait la Nuit dans ces sauvages lieux.
20 Aux cris qu'à son abord vers le ciel il envoie,
Il rend tous ses voisins attristés de sa joie.
La plaintive Progné de douleur en frémit,

Et, dans les bois prochains, Philomèle en gémit.

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Suis-moi," lui dit la Nuit. L'oiseau, plein d'allégresse,

25 Reconnaît à ce ton la voix de sa maîtresse.

Il la suit; et tous deux, d'un cours précipité,

De Paris à l'instant abordent la cité :

Là, s'élançant d'un vol que le vent favorise, Ils montent au sommet de la fatale église. 30 La Nuit baisse la vue, et, du haut du clocher, Observe les guerriers, les regarde marcher. Elle voit le barbier qui, d'une main légère, Tient un verre de vin qui rit dans la fougère; Et chacun tour à tour, s'inondant de ce jus, 35 Célébrer, en buvant, Gilotin et Bacchus. "Ils triomphent, dit-elle, et leur âme abusée

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