CORNEILLE. TRAGÉDIE DE MÉDÉE. Cette première tragédie de Corneille fut représentée pour la première fois en 1635. monologue de MÉDÉE (1). Ce monologue est tout entier imité de celui de Sénèque le Tragique, dont on trouvera les vers à la suite de ceux de Corneille. Souverains protecteurs des lois de l'hyménée, (1) « Ces monologues furent très-longtemps à la mode. Les comédiens les faisoient ronfler avec une emphase ridicule. Ils les exigeoient de tout « auteur qui leur vendoit sa pièce; et une comédienne, qui n'auroit point « eu de monologue dans son rôle, n'auroit pas voulu réciter. Voilà comme le théâtre, relevé par Corneille, commença pour nous. Des farceurs am poulés représentoient, dans des jeux de paume, ces mascarades rimées, qu'ils achetoient dix écus. » Note de Voltaire. Et m'aidez à venger cette commune injure (1). Et vous, troupe savante en noires barbaries, Qu'à ses plus grands malheurs aucun ne compatisse; Qu'il ait regret à moi pour son dernier supplice; (1) Et m'aidez à venger cette commune injure. Ce vers n'est point traduit de Sénèque, et appartient à Corneillé. Racine l'a imité dans sa tragédie de Phèdre (acte 3, scène 2) : PHEDRE A VÉNUS. Hippolyte te fuit, et bravant ton courroux, Ton nom semble offenser ses superbes oreilles. « Le vers de Corneille n'est qu'une beauté de poésie; celui de Racine est une beauté de sentiment. » Remarque de Voltaire. Et que mon souvenir jusque dans le tombeau Jason me répudie! et qui l'aurait pu croire? (1) « Ces vers sont dignes de la tragédie, et Corneille n'en a guère fait de plus beaux. Remarque de Voltaire. (2) Lui font-ils présumer mon audace épuisée ? Ces neuf derniers vers sont traduits d'un autre monologue de Médée (act. 2). Corneille, ne voulant pas faire entrer ce monologue dans sa pièce, en a tiré les meilleurs vers, qu'il a transportés dans cette scène, où ils sont fort bien enchâssés. Voici ces vers: Occidimus: aures pepulit hymenæus meas. Je le ferai par haine, et je veux pour le moins Qu'un crime nous sépare, ainsi qu'il nous a joints ( 1 )! Medea superos inferosque Jasonis ultores invocat. Dü conjugales, tuque genialis tori (1) (2) Quæ scelere pacta est, scelere rumpatur fides. Dans le cinquième acte de Rodogune, Corneille a mis une pareille impré cation dans la bouche de Cléopâtre : Et pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble, Accingere ira: rumpe jam segnes moras: MÉDÉE. Acte 1, scène 5. NÉRINE A MÉDÉE. Forcez l'aveuglement dont vous êtes séduite, MÉDÉE. Moi, dis-je, et c'est assez (1)! Moi, " (1) Dans sa traduction de Longin, Boileau cite ce mot de Médée comme un des plus beaux exemples du sublime. Voltaire combat ce jugement de Boileau par des raisons qui paraissent assez plausibles : « Ce ་་ moi, dit-il, seroit en effet un sentiment sublime, si ce mot exprimoit la grandeur du courage. Par exemple, si on eût demandé à Horatius Coclès, lorsqu'il défendoit seul un pont contre une armée : Que vous reste-t-il ? « et qu'il eût répondu: Moi! c'eût été du véritable sublime. Mais ici ce « mot ne signifie que le pouvoir de la magie; et puisque Médée dispose des éléments, il n'est pas étonnant qu'elle puisse seule et sans autre « secours se venger de tous ses ennemis. » " Voltaire aurait pu joindre à l'exemple d'Horatius Coclès celui du vaillant Machabée, qui, « abandonné de tous les siens, se soutint seul contre « tous les ennemis dont il était enveloppé : Salvavit me brachium meum, « et indignatio mea auxiliata est mihi. « Le prince se vit quelque temps abandonné; mais comme un autre Machabée, son bras ne l'abandonna point, et son courage irrité par tant de périls vint à son secours. >> ISAIE, 63-5, |