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Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,

Celui qui ne s'émeut a l'ame d'un barbare,
Ou n'en a du tout point.

Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,

N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui?

Priam, qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support,

Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.

François, quand la Castille, inégale à ses armes, Lui vola son Dauphin,

Sembla d'un si grand coup devoir jeter des larmes Qui n'eussent point de fin.

Il les sécha pourtant, et, comme un autre Alcide,
Contre fortune instruit,

Fit qu'à ses ennemis d'un acte si perfide
La honte fut le fruit.

Leur camp qui la Durance avait presque tarie
De bataillons épais,

Entendant sa constance, eut peur de sa furie,
Et demanda la paix.

De moi déjà deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus,

Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre,
Qu'il ne m'en souvient plus,

Non qu'il me soit grief que la tombe possède
Ce qui me fut si cher;

Mais en un accident qui n'a pas de remède
Il n'en faut point chercher.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles;
On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend pas nos rois.

De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal à propos;

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science

Qui nous met en repos.

Par MALHERBE. (*)

(*) Plusieurs personnes refusent à cette pièce le titre d'oDE, pour lui donner le nom de STANCES : quelques éditeurs la classent comme ODE, et nous sommes de cet avis. (NOTE DES ÉDITEURS.)

SUR LA MORT DE J.-B. ROUSSEAU.

QUAND le premier chantre du monde

Expira sur les bords glacés

Où l'Elbe effrayé dans son onde
Reçut ses membres dispersés,

Le Thrace, errant sur les montagnes,
Remplit les bois et les campagnes
Du cri perçant de ses douleurs:
Les champs de l'air en retentirent;
Et dans les autres qui gémirent
Le lion répandit des pleurs.

Des vastes rochers du Rhodope,
Que son art fit souvent mouvoir
Jusqu'aux barrières de l'Europe',
Tout fut soumis à son pouvoir:
Il donna des mœurs à la terre,
Etouffa le feu de la guerre,

Réunit les humains tremblans.
Siècle heureux où l'homme sauvage
Honorait d'un égal hommage
Les dieux, les rois et les talens.

La France a perdu son Orphée.
Muses, dans ces momens de deuil
Elevez le pompeux trophée
Que vous demande son cercueil:
Laissez par de nouveaux prodiges
D'éclatans et dignes vestiges
D'un jour marqués par vos regrets;
Ainsi le tombeau de Virgile
Est couvert du laurier fertile

Qui par vos soins ne meurt jamais.

D'une brillante et triste vie Rousseau quitte aujourd'hui les fers, Et loin du ciel de sa patrie

La mort termine ses revers.

D'où ses maux prirent-ils leur source?
Quelles épines dans sa course
Etouffaient les fleurs sous ses pas?
Quels ennuis! quelle vie errante!
Et quelle foule renaissante

D'adversaires et de combats!

Vous dont l'inimitié durable
L'accusa de ces chants affreux

Tome VII.

Qui méritaient, s'il fut coupable,
Un châtiment plus rigoureux,
Dans le sanctuaire suprême,

Grâce à vos soins, par Thémis même
Son honneur est encor terni:
J'abandonne son innocence;

Que veut de plus votre vengeance? Il fut malheureux et puni.

Jusques à quand, mortels farouches,
Vivrons-nous de haine et d'aigreur?
Prêterons-nous toujours nos bouches
Au langage de la fureur?
Implacable dans ma colère,
Je m'applaudis de la misère
De mon ennemi terrassé.
Il se relève, je succombe;
Et moi-même à ses pieds je tombe,
Frappé du trait que j'ai lancé.

Songeons que l'imposture habite
Parmi le peuple et chez les grands;
Qu'il n'est dignité ni mérite

A l'abri de ses traits errans;
Que la calomnie écoutée

A la vertu persécutée

Porte souvent un coup mortel,

Et poursuit, sans que rien l'étonne,

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