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Moi, j'ai fait mes dispositions testamentaires; je ne crains rien.

- Ah! je ne vous quitterai pas! s'écriat-elle en se serrant davantage contre moi. Je fus touché de cet élan naïf et généreux. Ne songez qu'à vous, lui dis-je; c'est vous et non pas moi, que j'ai promis de

sauver.

Comment reconnaître jamais ce que

vous faites, monsieur?

-

En vous souvenant quelquefois de cette nuit...

Elle allait répondre sans doute, lorsque Pierre jeta un léger cri et partit au galop. Au même instant deux coups de feu retentirent; mon cheval tomba en poussant un hennissement plaintif; plusieurs hommes franchirent le fossé qui séparait le taillis de la route, et nous nous trouvâmes entourés. Quoique j'eusse une jambe engagée sous mon cheval, je m'étais redressé, pour faire de mon corps une défense à la jeune fille.

C'est mademoiselle de la Hunoterie!

m'écriai-je.

J'avais à peine achevé que je me sentis

frappé à la tête; je ne sus plus que vaguement ce qui se passait. Il me sembla qu'on m'emportait dans le bois, et je crus même sentir les ronces me déchirer les mains et le visage; mais ce que j'éprouvais devint de plus en plus confus, et je finis par m'évanouir complétement.

Je fus rappelé à moi par une sensation de froid. Ayant étendu machinalement la main, je rencontrai un mur de branches et de feuilles. Je m'efforçai alors de me soulever sur le coude, mais je fus quelque temps avant de pouvoir rassembler mes idées. J'éprouvais une douleur violente à la tête; tout flottait devant mes yeux comme les images d'un rêve. Enfin, pourtant, le sentiment de la réalité me revint et je regardai autour de moi.

Je me trouvai couché sur une litière de paille de sarrasin, au fond d'une vaste hutte bâtie en ramées, et au milieu de laquelle étincelait un grand feu. Une dizaine d'hommes causaient à l'entour tous portaient l'habit breton, le manteau de peau de chèvre et les cheveux longs, sauf un seul, qu'à

son mouchoir de Chollet enveloppant le chapeau, à sa veste brune ornée d'un sacré cœur et d'un chapelet, il était facile de reconnaître pour un Vendéen fugitif. Ils étaient armés de fusils et de couteaux de chasse.

Dans le premier moment, je ne pus rien saisir de leur conversation. Ils parlaient tous à la fois, en français ou en breton, avec beaucoup d'action. Tout à coup un sifflement prolongé retentit au dehors, un second sifflement semblable lui répondit; on entendit un bruit de pas, et plusieurs hommes entrèrent.

Eh bien! Fine-Oreille? demanda le Vendéen.

M. de la Hunoterie n'était pas chez lui, répondit le jeune homme qui était entré le premier.

Qu'as-tu fait alors de la demoiselle? La vieille Rose l'a reconnue pour la nièce de monsieur; je l'ai laissée au manoir.

Et on ne t'a pas donné d'ordres pour les autres?

Puisqu'il n'y avait personne. Seulement, la demoiselle a bien recommandé de ne pas leur faire de mal.

C'est bon, dit le Vendéen, on ira lui demander son avis... Je m'en charge, moi, des autres.

Elle a dit qu'elle viendrait elle-même demain matin les chercher avec son oncle, ajouta Fine-Oreille.

Pardieu! elle les trouvera; nous ne mangeons pas de chair humaine... Je les lui garderai même en pièce, pour qu'ils soient plus faciles à emporter.

Les Bretons se regardèrent entre eux avec une sorte d'incertitude.

Si pourtant le capitaine ne veut pas qu'on les tue, monsieur Storel, dit l'un d'eux en hésitant.

- Le capitaine, pour le quart d'heure, c'est moi, mon gars, répondit rudement le Vendéen, et on fera ce que j'ordonnerai ou l'on dira pourquoi!... Mais, avant, faut savoir ce que chante ce morceau de papier trouvé sur le petit. Tiens, Fine-Oreille, lismoi ça, toi qui sors đu séminaire.

Le jeune Breton prit le papier, et demanda un lutic pour le lire.

J'avais cru Pierre échappé ; ce que je venais d'entendre me prouvait le contraire. Je fouillai du regard tous les recoins, et je l'aperçus enfin de l'autre côté de la hutte, assis à terre, immobile et la tête entre ses genoux. Dans ce moment, le jeune séminariste commençait la lecture de la dépêche dont on avait trouvé notre compagnon porteur: je prêtai l'oreille.

2

C'était une longue lettre par laquelle les représentants ordonnaient aux administrateurs de la Roche-Sauveur de recommencer les fouilles dans la campagne, de placer des garnisaires dans toutes les paroisses qui refuseraient de livrer leurs grains ou leurs bestiaux à la république, et de livrer à la juste fureur des défenseurs de la patrie celles qui avaient pris les armes. « Faites marcher sur les cantons rebelles les troupes dont vous disposez, disait, en terminant, la dé

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2 Depuis le meurtre du citoyen Sauveur à la Roche-Bernard, les républicains appelaient cette ville la Roche-Sauveur.

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