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si

Excusez, ma payse, dit-il en riant, j'ai pas été poli tout à l'heure ; mais fallait faire croire à l'officier ce que le citoyen lui avait dit.

Je le remerciai vivement d'être ainsi venu à notre secours.

Est-ce que je pouvais laisser dans l'embarras un ami? dit-il.

Et se penchant sur la selle :

C'est une ci-devant, n'est-ce pas ? me demanda-t-il à demi-voix.

Je fis un signe affirmatif.

On la cherche?

Oui.

Et vous allez suivre ainsi la grande route?... Mais, si on envoie à vos trousses, vous serez tout de suite rattrapés et recon

nus.

Comment faire? Le cabriolet ne passerait point par les chemins de traverse, et Claire ne pourrait aller à pied.

C'est juste, murmura Pierre en se re

dressant sur sa selle.

Et il continua de chevaucher à nos côtés. sifflant entre ses dents d'un air rêveur.

La nuit était froide, mais claire: on apercevait au loin la route que nous suivions, côtoyant les collines, blanche et sinueuse comme une rivière éclairée par la lune. Quoique l'heure fût peu avancée, tout était profondément silencieux. Nul bruit de cha-. riot, nul chant du côté des métairies, nul son de cloche à l'horizon, rien qui annonçât la vie! Les eaux et les vents eux-mêmes se taisaient; on eût dit que la création partageait l'effroi qui semblait régner partout.

Au milieu de ce sombre silence, le bruit de notre voiture retentissait au loin comme un avertissement pour ceux qui pouvaient nous poursuivre, et ce bruit me causait une impatience, une angoisse impossible à rendre.

Puis la vue de cette route qui se déroulait toujours à l'horizon, comme une bobine sans fin, me jetait dans une sorte de désespoir qu'irritait encore la tranquillité apparente de mes compagnons. Ne sachant sur quoi décharger ma rage silencieuse, je me mis à tourmenter le cheval que j'accablais des épithètes les plus humiliantes, lorsque

deux coups de feu partirent à l'horizon !... J'arrêtai brusquement.

Qu'est-ce que cela? m'écriai-je.

Au même instant l'appel bien connu des chouans se fit entendre, et un nouveau coup de feu retentit.

C'est sur la route, dit Pierre; les brigands attaquent quelqu'un.

Nous demeurâmes immobiles, prêtant l'oreille attentivement; mais tout était rentré dans le silence.

Après une longue attente, je me détournai vers le jeune paysan, pour lui demander ce qu'il croyait prudent de faire; mais le cri de la chouette se fit entendre de nouveau, un peu à gauche de la route : d'autres cris, plus lointains, lui répondirent.

Bon, dit Pierre, l'affaire est faite, et les brigands s'en vont.

En es-tu bien sùr?

N'entendez-vous pas leurs cris d'appel qui s'éloignent. Le gibier est pris, l'embuscade levée, et ils vont souper. Passons notre chemin si on nous tue, ce ne sera pas dans le même endroit.

En parlant ainsi, le paysan remit son cheval au trot, et je l'imitai.

Au bout d'un quart d'heure environ, nous aperçûmes sur la route, à cent pas de nous, quelque chose de noir dont on ne pouvait distinguer la forme; nous approchames avec précaution; c'était un cheval baigné dans son sang et qu'agitait le dernier râle : Claire se couvrit les yeux.

dai-je.

Qu'est devenu le cavalier? deman

Je le cherche, répondit Pierre.

Nous descendîmes tous doux pour visiter les douves et les haies qui bordaient le chemin ; mais notre recherche fut inutile.

Ils l'auront emmené pour l'assassiner à leur aise, dit le paysan. Il faut qu'ils soient bien pressés pour tuer comme ça quelqu'un du premier coup, sans avoir le plaisir de le voir mourir... Ne perdons pas notre temps ici... on est peut-être déjà à votre poursuite.

Nous retournâmes au cabriolet. En passant près du cheval mort, Pierre s'arrêta tout court.

Une idée, s'écria-t-il; si l'on passait la selle et la bride de cette charogne à votre cheval, vous pourriez prendre la traverse!... Et le cabriolet?

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Vous le laisserez ici? on croirait que vous avez été attaqué par les brigands, et on ne vous chercherait plus.

L'expédient était trop facile et trop sûr pour n'y point avoir recours. La transformation proposée par Pierre fut exécutée surle-champ en moins de dix minutes je me trouvai à cheval, et la jeune fille en croupe.

-Maintenant, à gauche, par ce petit chemin, dit notre guide; et bien fin qui nous rattrapera.

A peine avions-nous fait six cents pas dans le chemin creux, que nous entendimes retentir sur la grande route le galop régulier et lourd, particulier aux chevaux de cavalerie.

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