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cipes qu'il avait proclamés furent-ils, nonseulement dépassés, mais brutalement méconnus par la plupart de ceux qui les appliquèrent.

Le vulgaire s'est fait jusqu'ici une étrange idée de cet homme, représenté tour à tour comme un monstre ou comme un martyr, et qui était, avant tout, un ambitieux à logique inflexible.

S'il se montra implacable, ce ne fut point par goût mais par système. Il accepta les nécessités révolutionnaires sans en aimer les rigueurs, et métaphysiquement, pour ainsi dire. Son âme était froide plutôt que cruelle. Étonné de l'insensibilité du ministre de la justice pendant les massacres de septembre, on l'entendit s'écrier :

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Qu'on est heureux d'être Danton !

Quant à son républicanisme, il était d'autant plus sincère, qu'il y trouvait l'intérêt de son ambition.

Dès 1791 il avait clairement fait comprendre qu'il n'en voulait point seulement aux droits de la noblesse et du clergé.

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«pos de la délégation de la souveraineté, que m'importe qu'il n'y ait plus de ces titres ridicules sur lesquels s'appuyait l'orgueil « de quelques hommes, s'il faut que je voie << succéder à des privilégiés une autre classe « à laquelle je serai obligé de donner exclusivement mon suffrage? Qu'importe au citoyen qu'il n'y ait plus d'armoiries, s'il "voit partout la distinction de l'or? »

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Peu après il développa encore plus nettement ses tendances dans deux discours sur la propriété et sur l'impôt progressif. Il ne demandait point la loi agraire, qu'il appelait un fantôme créé par des fripons pour épouvanter des imbéciles, mais une moindre disproportion dans les fortunes, l'établissement d'un impôt proportionnel aux ressources, et l'exemption de toute charge pour les citoyens qui ne possèdent que le pain de chaque jour.

C'était demander, comme on le voit, le renversement du système social, et telle était, en effet, la pensée de Robespierre. Son ambition n'était point une ambition vulgaire ; il voulait arriver au pouvoir logiquement et

comme le chef du système fondé par lui.

Mais ceux qui n'avaient vu que le côté politique de la révolution, se soulevèrent à la pensée de bouleversements plus profonds, et la convention se trouva divisée en deux partis, l'un composé de tout ce qu'elle renfermait d'aventureux, de corrompu ou d'ambitieux; l'autre de tout ce qu'elle avait de sensible et d'irrésolu. Telle fut l'origine de la lutte entre la Gironde et la Montagne.

La Gironde qui personnifiait la bourgeoisie (non celle dont nous déplorons aujourd'hui l'égoïsme altier, mais cette bourgeoisie intelligente et courageuse qui venait de vaincre la noblesse), la Gironde avait peu de chose à désirer après la fondation de la république et devait tendre de toutes ses forces à la conservation de sa nouvelle conquête. La Montagne, au contraire, représentait cette partie inférieure de la nation, jusqu'à laquelle la révolution n'était pour ainsi dire point venue, et qui ne pouvait trouver l'accomplissement de ses désirs que dans une complète rénovation de la société. Or, Robespierre était, nous l'avons déja vu, l'inven

teur même et le promulgateur le plus ardent de cette rénovation; il devint donc naturellement le chef du parti jacobin.

Mais, pour assurer le triomphe de son système, et par suite sa domination personnelle, il fallait briser violemment tout ce qui pouvait y faire obstacle, repousser l'agression au dehors, éteindre la résistance au dedans, et tenir la nation entière terrifiée sous sa main, comme un enfant que l'on force, par la menace, à subir une opération nécessaire. Lui-même annonça à la tribune le système transitoire auquel la France allait être soumise pour son salut.

<< Le ressort du gouvernement populaire << en révolution, dit-il, est à la fois la vertu « et la terreur; la vertu, sans laquelle la « terreur est funeste; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante.

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« La terreur n'est autre chose que la jus" tice prompte, sévère, inflexible.

«Que le despote gouverne par la terreur << ses sujets abrutis, il a raison comme des

pote; domptez, par la terreur, les enne

« mis de la liberté, et vous aurez raison

«< comme fondateur de la république. « Le gouvernement de la révolution est « le despotisme de la liberté contre la ty<< rannie. >>

Mais, en recommandant aux agents révolutionnaires cette double action de la vertu et de la terreur, Robespierre parlait en métaphysicien plus qu'en observateur. Il oubliait que toute puissance qui peut inspirer l'effroi tourne aussitôt à l'abus; il oubliait surtout quels hommes l'entouraient.

La nature même de ses projets avait attiré vers lui tous les corrompus et tous les sanguinaires. Tandis qu'il marchait, lui, avec un raisonnement inexorable, à l'application d'un principe, ses prétendus auxiliaires ne s'agitaient que pour l'assouvissement de viles passions. Il y avait plus, leurs coups ne portaient point là où le maître avait dit de frapper. Pour suivre la doctrine de Robespierre, il eût fallu anéantir méthodiquement certaines natures et certaines classes; mais, sortis du peuple, la plupart des terroristes cherchèrent leurs victimes parmi leurs égaux. Ils tuèrent par rancune ou par

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