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Fleur-d'Épine, dit la jeune fille,

recula épouvantée !

qui

Alors Boishardy est revenu, s'écria le capitaine; en avant les braves!

Il n'avait pas achevé que six coups de feu partirent; les soldats surpris crurent qu'ils étaient tombés dans une embuscade et se dispersèrent. Au même instant le chef roya liste suivi de cinq de ses hommes s'élança d'un sillon et se trouva en face de la pay

sanne.

-Jeanne, s'écria-t-il stupéfait.

- Par les genêts! par les genêts, maître, dit-elle en entraînant Boishardy vers le côté du champ qu'elle savait ne point être gardé.

Ils venaient de franchir le fossé, lorsqu'un coup de feu partit; le chouan s'arrêta. Ah! la Royale est morte, dit Jeanne

avec un éclat de joie féroce.

-Malheureuse! s'écria Boishardy. Et revenant sur ses pas, il voulut regagner le verger, mais à peine eut-il repassé la haie que deux coups de feu l'atteignirent. Il tomba sans pousser un soupir; les deux

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MEMOIRES D'UN SANS CULOTTE BAS BRETON.

balles lui avaient traversé les poumons et le cœur.

Telle fut la fin de cet homme qui eût dû naître au temps du Cid et succomber dans quelque noble guerre contre l'étranger. Sa mort fut comme sa vie, quelque chose de romanesque et d'imprévu, mais d'heureux après tout; car il périt sans agonie, sous les pommiers en fleurs, et les lèvres encore tièdes de baisers. Sa tête fut coupée par quelques misérables qui la promenèrent en triomphe dans les paroisses. Lorsque Hoche l'apprit, il pleura de honte, et écrivit à l'adjudant général Crublier, de faire arrêter tous ceux qui avaient pris part à ce crime contre l'honneur... langage étrange et nouveau sans doute après les massacres de la Vendée, mais qui annonçait à tous que le règne des folies sanglantes était passé, et que si la révolution était encore une tempête, ce n'était plus du moins une tempête dans un égoût.

CONCLUSION.

Le débarquement des émigrés suivit de près la mort de Boishardy, et la défaite de Quiberon porta le dernier coup au parti royaliste. Rassurés par l'indulgence des administrateurs patriotes, la plupart des paysans regagnèrent leurs paroisses où le désarmement s'accomplit moitié de force, moitié de bon gré. Les églises avaient déjà été rouvertes; les prêtres assermentés purent reparaître, à la condition de se montrer prudents; les municipaux reprirent l'administration des communes, et, insensible

ment, l'ordre remplaça partout la révolte. L'étrange rencontre que j'avais faite à Lachèze fut ma dernière aventure. Un mariage qui m'obligea à rompre avec mes associés, en me donnant la direction d'une maison nouvelle, changea mes habitudes.

Je ne quittai plus Guingamp, et demeurai complétement étranger aux dernières phases de la lutte révolutionnaire. Elles avaient d'ailleurs perdu pour moi l'intérêt de l'incertitude; le passé était décidément vaincu ; en le voyant descendre à l'horizon comme un soleil qui s'éteint, les plus ardents travailleurs comprirent que la tâche était achevée et songèrent au repos. L'œuvre, en effet, avait été longue et laborieuse : quinze années s'étaient écoulées dans la fièvre, sans une heure de trêve! Pendant quinze années, la mine avait été mise sous la société entière, tout avait été creusé, renversé, pétri dans la sueur et le sang; nous abordions au présent comme des naufragés à une île qui a brisé leur vaisseau. Mais pendant ce long orage, les passions s'étaient attiédies, les impatiences calmées; les événe

ments eux-mêmes semblaient lassés comme les hommes, et tout avait l'air de faire halte pour reprendre haleine.

Puis nous avions fait notre temps dans cette grande armée qui combattait pour la cause de l'humanité et de l'avenir; c'était à de plus jeunes désormais à défendre nos conquêtes, à nous de retourner aux joies du foyer.

J'avais été fort longtemps sans recevoir des nouvelles de Joseph; je savais seulement qu'exporté en Espagne après une assez courte captivité à Saint-Brieuc, il s'y était fait ordonner prêtre, et y vivait dans l'obscurité, du prix de ses messes et de quelques leçons. Je reçus enfin une lettre dans laquelle il me priait de solliciter pour lui la permission de revenir en France; je l'obtins sans peine et m'empressai de la lui faire passer.

Il ne me répondit point; mais un soir que j'étais assis au jardin avec ma jeune femme, je le vis paraître au détour des charmilles. Nous courûmes l'un à l'autre avec un cri de joie; ma femme lui tendit la

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