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ce qu'ils étaient devenus! Ces landes, où nous avions vu, peu d'instants auparavant, fourmiller tant de têtes, briller tant de mousquets, étaient maintenant désertes! De loin en loin, seulement, un paysan traversait la bruyère, sa faucille sur l'épaule, ou recouvrait de gazon la clôture d'un champ en friche.

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Vous voyez ces drôles qui nous regardent passer la bouche ouverte, dit Rigaud; interrogez-les, ils n'auront même pas entendu les coups de fusil que l'on vient de tirer; c'est tout au plus s'ils savent qu'il y a des chouans dans le pays : mais fouillez bien les haies et vous y découvrirez leurs carabines anglaises, prenez leurs mains et vous les trouverez noires de poudre. Leur réapparition n'est qu'une ruse, leur sécurité de l'audace! La guerre ici est un vrai drame à travestissements. Quand vous croyez mettre la main sur un chouan, vous trouvez un laboureur paisible, et, à peine avezvous tourné le dos que le laboureur est redevenu chouan. C'est pour avoir regardé comme anéantis des ennemis dispersés que

268 MEMOIRES D'UN SANS-CULOTTE BAS BRETON.

nos généraux ont annoncé tant de fois la destruction des armées royalistes.

Nous arrivâmes de bonne heure à Loudéac où le détachement s'arrêtait. Je pris congé du capitaine et je continuai seul jusqu'au village de Lachèze.

Les affaires qui m'y appelaient, me retinrent assez tard pour que je me visse forcé d'y passer la nuit. Malheureusement l'unique auberge du village était un caba-ret dont le maître me regarda d'un air étonné quand je lui demandai à souper; mais ce fut bien autre chose lorsque je parlai de coucher. La maison entière n'avait qu'une pièce où se trouvait un seul lit clos pour le cabaretier; je le décidai pourtant à me le céder moyennant un assignat de dix livres et je me couchai.

L

Réunion de chefs de bandes. — Marche des chouans dans la campagne.

Je ne puis dire depuis combien de temps j'étais endormi, lorsqu'un bruit de voix me réveilla en sursaut; je me rapprochai du mur, en ramenant les couvertures sur mes oreilles, espérant me rendormir; mais les voix s'élevaient de plus en plus, mêlées à

un cliquetis de verres et à des rires bruyants. La porte du lit, que j'avais fermée, m'empêchait d'apercevoir les visiteurs importuns qui venaient ainsi troubler mon sommeil; je me soulevai sur le coude, avec un grondement de mauvaise humeur et j'approchai l'œil de l'une des ouvertures en trèfle, percées à mon chevet; mais peine eus-je jeté, vers le foyer, un regard à moitié endormi, que je me redressai épouvanté.

Quatre chouans, portant la cocarde noire, étaient assis devant la table, leurs fusils entre les genoux. L'un d'eux tenait à la main des papiers qu'il parcourait. Au bruit que fit l'aubergiste en apportant un nouveau pichet de cidre, il leva la tête, et je reconnus maître Claude Flaville, le maquignon d'Uzel!

Avez-vous les listes de Meslin et de Bréhan, commandant ? demanda un des chouans, reconnaissable à son chapeau de feutre, surmonté d'un panache vert.

-- Je les tiens, répondit-il.

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Et il lut à demi-voix.

Enrôlés depuis le 8, au prix de 2 livres par jour, avec promesse de 8 livres dès l'entrée en campagne, Chasse-Bleus, la Bécasse, la Volonté, Fleur-de-Chêne, Marchea-Terre, Commode, l'Amoureux.

- Trop peu, observa d'un ton bref et saccadé un troisième chouan au visage bourgeonné et à l'œil couvert; il faut que toutes les paroisses se lèvent comme en Vendée. Tuez les bœufs des retardataires, et allumez une botte de foin sous leurs toits; tous marcheront.

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Oui, dit Flaville; mais aussi à la première épreuve tous jetteront là leurs fusils pour prendre en main leurs sabots.

Vous n'avez aucune nouvelle d'Obéissant? demanda le quatrième interlocuteur, qu'à sa voix frêle et son parler nonchalant il était facile de reconnaître pour un gentil homme étranger au pays, et plus accoutumé aux causeries de salon qu'aux commandements en plein air.

Nom de guerre de Cormatin.

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