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Brown Sequard a donné depuis le nom de surface ou de région épileptogène. Chaque fois qu'on pince cette région, on détermine aussitôt un accès. Mais tant que, pour une raison ou pour une autre, il n'y a pas d'irritation portée sur cette région, l'aptitude peut rester indéfiniment à l'état latent. Brown Sequard avait bien pensé dès le début de ses recherches que les accès, comme dans l'épilepsie spontanée, devaient être provoqués par une aura. Mais comme, à la suite des sections partielles, il y a toujours hypéresthésie dans le membre du côté opposé, il avait supposé que l'aura devait partir de ce membre hyperesthésié. Ayant remarqué ensuite qu'il y a aussi des accès chez les animaux auxquels on a fait une section complète de la moelle, chez lesquels par conséquent il y a paralysie du sentiment dans tout le train postérieur, il fut conduit à rechercher le point de départ de l'aura dans le train antérieur. A force de chercher, il constata que la surface épileptogène est toujours la même chez tous les animaux et après toute espèce de lésion, soit de la moelle, soit du sciatique; que, dans tous les cas, elle existe du côté même de la lésion médullaire ou sciatique; qu'elle occupe une partie de la face et du cou qui reçoit des nerfs venant du trijumeau et des deuxième et troisième paires cervicales; qu'elle représente ainsi un triangle, dont le sommet correspond à l'angle externe de l'œil et dont la base se perd au niveau de la clavicule ou plutôt de l'épaule. Alors même que l'épilepsie a été engendrée par une lésion des pédoncules cérébraux ou des tubercules quadrijumeaux, c'est encore la même zone qui est épileptogène; seulement alors elle est située du côté opposé à la lésion.

La zone épileptogène est en général plus étendue après la section des nerfs sciatiques qu'après celle d'une moitié latérale de la moelle. Un fait exceptionnel a été constaté tout dernièrement : un cobaye a eu une épilepsie avec une double zone après la section d'un seul nerf sciatique. Mais ce qu'il y a de plus important au point de vue des applications à la pathologie humaine, c'est que dans le cas de Dieulafoy, où l'épilepsie avait été provoquée chez l'homme par une lésion du nerf sciatique, il y avait une zone épileptogène et exactement la même. Une circonstance bien bizarre, c'est que chez les cobayes les poux s'accumulent toujours en quantité prodigieuse dans la région épileptogène. Brown Sequard avait déjà pensé que cela tenait à ce que la patte étant paralysée de ce côté, l'animal ne pouvait plus gratter cette place. Mais il a dû renoncer à cette idée parce

que les poux s'y accumulent encore quand cette paralysie est nulle ou a disparu. Il croit donc que c'est par suite d'un changement dans la nutrition de la peau de cette zone que les insectes y sont attirés. Moi, il me semble que cela tient plutôt à ce que le cobaye ne cherche plus à s'en débarrasser, par la raison qu'il ne les sent plus. En effet, fait bizarre, cette zone, qui sous l'influence de certaines excitations données provoque de suite une réaction convulsive, est cependant devenue à peu près insensible. Dès le début de l'opération, sa sensibilité est diminuée d'une façon appréciable, et elle va sans cesse en s'effaçant. Au fur et à mesure que la sensibilité à la douleur décroît, la faculté épileptogène augmente. Chose bien remarquable aussi! si on irrite directement les nerfs qui se rendent à la région épileptogène, on ne produit pas d'attaque. D'autre part, tandis que si on chatouille cette région on produit une attaque, on n'en détermine pas en pratiquant sur elle une incision.

Au début de l'affection, il faut absolument provoquer les attaques par l'irritation de la zone. Mais il paraît pouvoir en survenir de spontanées après plusieurs crises suscitées. Les premiers accès ne sont jamais francs. L'irritation de la zone n'a d'abord pour résultat que de faire courber le corps en arc et de déterminer la torsion de la tête. Plus tard, on obtient des contractions des muscles du tronc et de la face, particulièrement de l'orbiculaire des paupières. Ces contractions deviennent de plus en plus intenses et prennent de plus en plus le caractère convulsif. Enfin, l'attaque se montre complète et alors on peut observer toutes les phases de l'épilepsie humaine : perte de connaissance, chute, cri réflexe, état tétanique, asphyxie, convulsions générales et stupeur.

Une fois acquise, la maladie tend à persister toujours. Cependant la guérison n'est pas impossible; mais elle n'a jamais lieu que lorsque la patte opérée a retrouvé la sensibilité qu'elle avait perdue, c'est-à-dire lorsque la continuité du nerf sciatique s'est rétablie. De plus, en même temps que la zone perd sa faculté épileptogène, elle recouvre la sensibilité à la douleur. Dans beaucoup de circonstances, l'épilepsie provoquée par la section du sciatique, loin de se guérir, devient héréditaire. Les enfants des cobayes naissent avec les pattes de derrière altérées dans leur nutrition. L'épilepsie se montre peu de temps après leur naissance et ils ont aussi la zone épileptogène.

Dans un autre ordre d'expériences, Brown Sequard a constaté un fait qui va vous paraître condamner complétement la place que

nous avons attribuée à l'étude de l'épilepsie, et dont nous aurons par conséquent à tenir compte lorsque nous chercherons tout à l'heure à la justifier. Il a encore obtenu des accès après avoir enlevé le cerveau, le cervelet et une partie de la protubérance. Il en a produit alors que l'animal ne possédait plus que sa moelle et son bulbe; et même il a pu causer une attaque assez forte, après avoir coupé d'emblée le bulbe en travers, immédiatement au-dessus de l'origine du pneumo-gastrique. Pour cela il fut obligé de pratiquer la respiration artificielle, non-seulement pendant l'expérience, mais même pendant 10 minutes avant. La zone épileptogène se trouvait alors évidemment impuissante, puisque l'action du trijumeau avait disparu avec la protubérance, mais il put produire une excitation suffisante pour exalter le pouvoir réflexe de la moelle et du tronçon de bulbe, en pinçant la peau du dos et de la partie inférieure du cou. Enfin Brown Sequard a cherché à voir si l'expérimentation justifiait la pratique empirique de certains médecins qui prétendent arrêter les accès en plaçant des ligatures sur les membres ou en tiraillant les premiers muscles contracturés. Il est arrivé en effet, chez ses animaux, à enrayer l'attaque en détordant la tête du sujet au moment où elle venait de prendre la disposition en vrille. Il obtint le même résultat à l'aide de la transfusion sanguine.

Les sections pratiquées sur le système nerveux ne sont pas seules capables de développer une épilepsie artificielle. L'expérimentateur peut encore engendrer à son gré cette terrible affection à l'aide de certaines substances dont l'action peut être considérée comme toxique.

Depuis longtemps les médecins avaient remarqué que les individus qui se livrent à l'abus des boissons alcooliques, peuvent devenir épileptiques. Des recherches, tant cliniques qu'expérimentales, pratiquées par M. Magnan sont venues démontrer que parmi les boissons en usage, une seule, l'absinthe, devait être accusée de ce résultat; et que même de toutes les essences qui entrent dans la composition de cette liqueur, il n'y avait que celle qui lui a donné son nom qui fût capable de développer des accès épileptiformes. Quand on injecte, dit-il, dans les veines ou qu'on introduit dans l'estomac d'un chien 3 à 4 grammes d'essence d'absinthe, on observe de légers frémissements dans les muscles du cou. A ces frémissements succèdent de petites secousses brusques, saccadées, semblables à des décharges électriques. Le phénomène s'étend bientôt aux

muscles des épaules et du dos, et la partie antérieure du corps est ainsi soulevée sur place par saccades. Dans quelques cas, l'animal s'arrête tout à coup, reste immobile, comme hébété, la tête basse, le regard morne. Il conserve cette attitude pendant 30 à 120 secondes; puis il reprend ses allures habituelles. On a là l'analogue de ce qu'on appelle chez l'homme le petit mal. Si la dose est plus forte, c'est la reproduction du haut mal que l'on obtient: trismus, spasme tétanique, convulsions cloniques avec claquement des mâchoires, écume aux lèvres, morsures de la langue, respiration stertoreuse, évacuations involontaires d'urine et de fèces, tout y est. Dans l'intervalle des accès, on observe même chez quelques animaux, comme chez l'homme, de véritables hallucinations de la vue et la plupart manifestent une grande frayeur.

On voit survenir des convulsions épileptiformes dans la maladie de Bright et dans quelques affections graves du foie. On les a considérées comme un effet toxique soit de l'urée ou du carbonate d'ammoniaque, soit des principes excrémentitiels de la bile. Les expériences tentées à cet égard ne sont pas encore suffisantes pour qu'on puisse attribuer d'une façon certaine une pareille influence à ces substances. Quant à ce qui concerne l'urée, nous nous sommes déjà prononcé sur la nature primitivement nerveuse de la maladie. qui engendre l'altération des reins; et en raison même de cette nature, les convulsions peuvent aussi bien en être regardées comme une conséquence directe. Mais il est une matière minérale qui doit être réellement placée sur le même rang que l'absinthe, c'est le plomb. Les sels plombiques produisent l'épilepsie; la chose est incontestable. Olivier avait prétendu que par le fait de leur élimination ils altéraient les reins, d'où une urémie qui était la véritable cause des convulsions. Les expériences de Rosenstein semblent infirmer cette interprétation. Chez les chiens l'intoxication saturnine ne produit ni albuminurie, ni altération des reins., et cependant la vie se termine au milieu de crises épileptiques qui sont même beaucoup plus permanentes que celles qu'on observe chez les albuminuriques. Du reste, on ne trouve dans le sang ni urée, ni carbonate d'ammoniaque. En revanche, on peut extraire de la substance cérébrale une quantité notable de plomb. Rosenstein attribue la production de l'épilepsie à l'action que le plomb exerce sur les éléments musculaires des vaisseaux du cerveau. Il altérerait ceux-ci comme il altère les fibres lisses de l'intestin et de l'utérus.

Munis ainsi de toutes les données cliniques et expérimentales, nous allons pouvoir juger avec plus de vérité scientifique les diverses théories qui ont été proposées pour l'épilepsie. De tous temps on a cherché à préciser le siége et la nature de cette terrible maladie qui a toujours été considérée comme une des plaies les plus affreuses de l'humanité. Hippocrate l'attribuait à l'engorgement du cerveau par la sérosité et à l'effort spasmodique de cet organe pour repousser cette humeur morbide. Pour lui, la perte de connaissance et les convulsions n'étaient que la traduction de ces violents efforts. Platon, qui n'était cependant pas médecin, semble avoir entrevu la relation qui existe entre les dartres et les maladies des centres nerveux. Car il dit que l'humeur morbide appelée pituite produit la lèpre lorsqu'elle se répand dans la peau, et l'épilepsie quand elle monte vers la tête. Galien, se plaçant à un point de vue purement psychique, voit dans cette maladie une déviation de la faculté volonté. Fernel, frappé du genre de sensation accusée par le malade lors du prodrome aura, attribue la crise à une vapeur subtile, à un principe délétère impondérable transmis au cerveau d'un point quelconque de l'économie. Il compare l'aura aux germes des fièvres pestilentielles. Bouchet, formulant du même trait la pathogénie de la folie et de l'épilepsie, fait dépendre la première de l'inflammation de la substance grise du cerveau et la seconde de l'inflammation de la substance blanche. Marshall, Hall entra le premier dans des conceptions réellement physiologiques. Pour lui les convulsions épileptiformes sont le résultat d'une exaltation du pouvoir réflexe de la moelle et du bulbe; et cette exaltation peut se produire dans deux conditions différentes. D'où deux formes distinctes d'épilepsie: 1o la forme directe qui est d'origine centrale et qui est due soit à une altération de nature inflammatoire de la substance grise de l'axe nerveux, soit à un ébranlement des centres par une grande émotion ou des excès vénériens; 2o la forme réflexe qui est d'origine përiphérique et dans laquelle l'axe nerveux. ne se montre exalté que parce qu'il est trop fortement titillé par des nerfs sensitifs émanant soit de la muqueuse digestive, soit de la vessie, soit de l'utérus, etc. Dans l'une et l'autre forme, l'excitation de la substance grise retentit d'abord et surtout sur les muscles du larynx qui produisent ainsi le cri et l'occlusion de la glotte, et sur les muscles du cou qui, en comprimant les veines jugulaires, amènent la congestion de la face et du cerveau. La fermeture de l'entrée du larynx complète cette conges

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