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VINGT-HUITIÈME LEÇON.

MESSIEURS,

Les maladies de la protubérance peuvent se manifester, non-seulement par des paralysies variables comme siége et comme intensité, mais encore par la production de mouvements anormaux. Toutefois, les phénomènes d'exagération et de perversion de l'action motrice seraient excessivement rares d'après les observations recueillies par Larcher. Mais ils se montrent déjà moins exceptionnels dans la collection de Ladame, moins encore dans celle d'Albert. Enfin si on étend la comparaison à tous les faits qui ont été publiés jusqu'à ce jour, d'une manière disséminée, dans les journaux de médecine, on s'aperçoit que le cas est loin de faire exception. Ces phénomènes sont excessivement variés dans leurs siéges et dans leurs formes.

Chez certains individus, ils consistent en des contractures d'une durée plus ou moins longue. Elles se montrent généralement dans un ou deux membres dont les divers segments se trouvent fortement fléchis les uns sur les autres, sans que l'observateur puisse arriver à les étendre. C'est la reproduction de ce qui arrive dans la sclérose des cordons antéro-latéraux de la moelle. Ces contractures peuvent se montrer dans les muscles du côté non paralysé. Elles dénotent probablement une excitation par congestion de voisinage ou par action réflexe. Elles apparaissent souvent dans les membres paralysés, comme dans la sclérose de la moelle. Ce fait semble justifier l'idée que nous avons émise d'une disposition en arcs s'étendant d'un segment à l'autre de l'axe pour les fibres qui sont chargées de réunir les muscles avec les couches corticales du cerveau. Dans ce mélange de contracture et de paralysie des mêmes muscles, il semble que les fibres qui partent des cellules de la protubérance pour aller aux corps striés sont détruites ou comprimées; la volonté

n'a plus d'action sur tout ce qui est au-dessous et il y a paralysie volontaire. Mais ces cellules et les fibres qui vont aux pyramides et à la moelle ne sont pas encore détruites, elles sont seulement surexcitées par des moments de congestion et elles font agir les cellules de la moelle, comme une excitation portée sur les fibres encéphaliques.

Il est des cas où l'état de surexcitation du centre locomoteur se traduit par des crampes tétaniques plus ou moins étendues. On a alors un véritable tétanos partiel et on ne peut s'empêcher de penser que la protubérance doit jouer un rôle important dans le tétanos général. Du reste, comme nous l'avons annoncé à propos de la moelle, c'est dans la physiologie pathologique spéciale du mésencéphale que nous placerons l'étude physiologique de cette affection.

Une forme fréquente aussi consiste en des mouvements convulsifs des muscles de la face, particulièrement de ceux de la bouche et des joues. Plusieurs médecins ont même présenté les convulsions du visage comme le signe pathognomonique des tubercules de la protubérance; et, fait dont je prends acte au point de vue de la localisation que nous ferons de l'épilepsie, tous ceux qui ont été témoins de ce symptôme ont déclaré que c'est une véritable épilepsie limitée à la face. Évidemment ces convulsions partielles expriment une irritation passagère des fibres encéphaliques du facial, elles viennent solliciter des décharges des noyaux faciaux qui sont dans le bulbe. Le même symptôme a été signalé par Gintrac dans plusieurs cas d'anomalies congéniales de forme et de volume de la protubéranee. Chez certains malades, à un moment donné, ce sont des convulsions et des mouvements spasmodiques généraux qui apparaissent par le même mécanisme; l'excitation porte à la fois sur toutes les fibres qui partent de la protubérance pour aller à l'axe médullaire. Plusieurs auteurs ont observé l'épilepsie véritable, et je suis convaincu que bien des fois la liaison qui existe entre cette maladie et les altérations de la protubérance, a échappé par suite de la négligence apportée dans les autopsies.

Les signes de perversion de la motilité peuvent aussi occuper partiellement les muscles du globe oculaire, ils consistent en des mouvements irréguliers qui ont été aussi donnés comme étant un signe de tubercules de la protubérance: tantôt ce sont des mouvements alternatifs d'élévation et d'abaissement auxquels sont constamment soumis les deux globes oculaires; tantôt ces alternatives

de déplacement ont lieu dans le sens latéral. C'est le nystagmus et la reproduction de ce qui se passe chez les animaux dont la protubérance a été excitée d'un côté.

Un mode de perversion qui ne me paraît pas avoir été indiqué jusqu'alors et que vous avez pu cependant observer dernièrement à la clinique de Nancy, consiste en un tremblement plus ou moins général et tout à fait comparable à celui de la paralysie agitante. Le résultat pathologique ne doit pas vous étonner puisque la physiologie expérimentale nous a démontré que la protubérance joue un grand rôle dans les actes de la station et qu'elle est pour beaucoup dans l'immobilisation des différents segments du corps.

En se rappelant la facilité avec laquelle on peut chez les animaux provoquer des mouvements de rotation à l'aide d'une irritation quelconque d'une des moitiés de la protubérance, on serait tenté de penser à priori que de semblables phénomènes doivent se présenter souvent dans les maladies spontanées de cet organe. Il n'en est rien cependant. Jusqu'à présent, la science ne possède que quelques faits bien avérés de rotation dans l'espèce humaine, et encore les auteurs n'ont pas cru devoir rapporter le phénomène à la protubérance elle-même. L'un de ces faits a été publié par Serres. Il s'agit d'un homme âgé de 68 ans et ayant abusé des boissons alcooliques. A la suite d'un excès de ce genre, il ne se plaignit pas de voir les objets environnants tourner autour de lui, comme cela a lieu d'habitude dans ces circonstances, mais de tourner lui-même. Ses amis ne virent dans cette assertion que le résultat d'une illusion engendrée par l'ivresse et le reconduisirent à son domicile. Il n'y fut pas plutôt arrivé, qu'il se mit en effet à tourner de la façon la plus incontestable. Ce tournoiement ne cessa que pour être remplacé subitement par une hémiplégie avec tous les signes de l'apoplexie. Il mourut épuisé par une diarrhée chronique; à l'autopsie on trouva les hémisphères cérébraux dans un état tout à fait normal. Au centre de l'entrée du pédoncule moyen dans le lobe droit du cervelet existait une excavation du volume d'une noisette et remplie d'une bouillie de couleur brune; la partie voisine de la protubérance ainsi que le lobe cérébelleux étaient plus consistants qu'à l'état ordinaire et offraient une teinte jaunâtre. L'autre fait a été décrit par Belhomme. Une femme qui était restée plongée dans une profonde tristesse à la suite de grands chagrins, fut prise tout à coup, pendant qu'elle se promenait dans un jardin public, d'un mouvement de roulement

des plus parfaits; elle perdit connaissance, ses membres se contractèrent de telle façon qu'elle se trouva bientôt accroupie, puis elle tomba sur le côté et aussitôt se mit à rouler autour de l'axe longitudinal de son corps avec une très-grande rapidité, jusqu'à ce qu'elle vint se heurter contre un obstacle. On ne l'eut pas plus tôt dégagée de celui-ci, que cette course singulière recommença. Il en fut ainsi pendant une demi-heure; des crises du même genre se reproduisirent d'abord à des intervalles très-éloignés, mais se rapprochèrent ensuite au point d'avoir lieu cinq fois et même vingt fois par jour. Toujours, pendant le roulement, la tête et le tronc restaient fortement renversés, soit en arrière comme dans l'opisthotonos, soit latéralement comme dans le pleurosthotonos. Elle mourut subitement, et à l'autopsie on trouva deux exostoses de la base du crâne qui comprimaient directement les deux pédoncules cérébelleux moyens et qui avaient déterminé particulièrement un ramollissement au niveau des points où ces faisceaux se fusionnent avec la protubérance; cet organe était lui-même fortement congestionné; en certains points les vaisseaux étaient devenus variqueux et excessivement dilatés, enfin au centre même il y avait un noyau de ramollissement.

Ces deux observations ont été données comme démontrant que les mouvements de roulement dépendent des lésions des pédoncules cérébelleux moyens. Mais remarquez que la protubérance se trouvait presque aussi compromise que ces pédoncules, surtout dans le dernier fait. D'ailleurs les fibres blanches, quelles qu'elles soient, ne peuvent provoquer des phénomènes actifs qu'en suscitant la mise en œuvre des cellules auxquelles elles aboutissent; au cas particulier, soit les cellules cérébelleuses, soit les cellules mésencéphaliques qu'elles réunissent entre elles. Elles ne sont qu'un artifice de mécanique qui permet de frapper à la fois les touches du cervelet et celles de la protubérance. Ce n'est donc que par l'un de ces deux organes que les pédoncules peuvent donner lieu à de la rotation; il est même probable que celle-ci résulte d'une action commune de ces deux instruments. C'est pour cela qu'on est plus sûr d'obtenir le résultat avec les pédoncules eux-mêmes, parce qu'alors l'irritation est mieux placée pour retentir à la fois aux deux extrémités. Le cervelet et la protubérance appartiennent à un même département locomoteur dont toutes les parties sont complémentaires l'une de fautre, dans la locomotion anormale comme dans la locomotion

normale. Mais dans cette œuvre pathologique commune, la protubérance semble jouer un rôle important; car dans les vivisections on obtient peut-être plus sûrement le phénomène en se rapprochant de la protubérance qu'en agissant sur le cervelet proprement dit. Cela tient sans doute à ce qu'elle est le point de centralisation de toutes les actions locomotrices; à ce qu'elle est pour ainsi dire le point d'application de la résultante de toutes ces actions. Il est un troisième cas fourni par Lebret, dans lequel le phénomène s'est montré aussi très-accentué, mais pour lequel les renseignements nécroscopiques ont manqué. Un jeune garçon, âgé de 14 ans, eut pendant son séjour à l'hôpital des enfants, jusque cinq à six crises des plus singulières par jour. Tout à coup il quittait ses jeux, se précipitait dans un coin de la cour en proie à des hallucinations; puis il tombait et restait pendant un quart d'heure, ayant seulement les membres violemment contracturés. Au bout de ce temps il se mettait tout à coup à rouler autour de son axe longitudinal avec une rapidité incroyable. Pourquoi les mouvements de rotation sont-ils si rares dans la pathologie humaine, tandis qu'ils forment presque la règle constante dans les vivisections? Cela tient-il à ce que les lésions spontanées et artificielles ne se présentent pas dans des conditions identiques; à ce que, dans les expériences, l'encéphale est presque toujours mis à nu dans une étendue plus ou moins grande, de sorte que l'occlusion de la cavité crânienne n'existe plus? à ce que l'irritation est plus localisée, plus brusque? Je ne le crois pas, car chez les animaux le phénomène se montre d'une façon aussi assurée dans des circonstances tout à fait analogues à celles qui se rencontrent dans les maladies de l'homme. Il en est ainsi dans le tournis, affection qui est très-fréquente chez les moutons et qui est due à la présence d'un parasite, le cœnure, dans les lobes cérébraux. Pour ce qui concerne la protubérance en particulier, je vous ai déjà rapporté le fait du canard d'Onimus qui reçut un plomb dans cet organe. Quoique de nature traumatique, la lésion se rapprochait déjà jusqu'à un certain point des cas pathologiques ordinaires. Le rapprochement a été encore plus complet dans un autre fait publié par Brown Sequard, puisque l'accident produisit une hémorrhagie dans le mésencéphale et que rien n'est plus fréquent que de voir survenir brusquement des épanchements sanguins dans l'espèce humaine. Le fait mérite d'être décrit :

Un jeune chat, âgé de 2 mois, eut le cou serré dans une porte

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