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dans l'extase. Elle est devenue la statue du sommeil. L'immobilité est absolue. Les stimulants les plus violents n'arrivent pas à réveiller les sens. Rien ne peut sortir les muscles de leur inertie; pas le plus léger frémissement fibrillaire à la face venant attester l'existence d'un moment de rêve. L'intelligence est aussi anéantie que le corps. La respiration et la circulation sont réduites à si peu de chose qu'il est presque impossible de constater la persistance de ces fonctions. Cet état est bien distinct du coma où la face est congestionnée, où le pouls vibre d'une manière exagérée et où la respiration se montre stertoreuse. L'accès de léthargie se produit, en général, brusquement, dure un plus ou moins grand nombre d'heures ou de jours et cesse tout aussi brusquement qu'il a commencé. L'homme, dans ces circonstances, semble copier les animaux inférieurs qui sont susceptibles de présenter le phénomène de la reviviscence. C'est une machine sans moteur, mais qui conserve son intégrité matérielle de façon à pouvoir entrer en fonctionnement dès qu'elle aura retrouvé l'impulsion qui lui fait défaut. La situation du système nerveux dans la léthargie est facile à comprendre. Son inertie n'est générale, ni dans le somnambulisme où une fraction des centres intellectuel, sensitif et moteur continue à fonctionner avec la plus parfaite harmonie, ni dans l'extase où il y a persistance de certains sentiments avec une mimique passive qui leur est appropriée, ni dans le sommeil où des vibrations spontanées viennent à chaque instant troubler le calme de la substance corticale et de la couche optique, et produire les rêves qui, eux-mêmes, peuvent réveiller incomplétement les centres moteurs de la phonation et de la locomotion partielle. Dans la léthargie, l'inertie est complète pour la totalité de l'axe cérébro-spinal. Pas la plus légère oscillation dans aucun point. C'est le nec plus ultra du repos. Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir cet état se prolonger sans préjudice pour l'économie. Il n'y a plus d'usure et, à la fin, elle doit se retrouver telle qu'elle était au début de l'accès. Un seul point paraît ne faire que sommeiller, c'est le bulbe qui est l'ultimum moriens dans le sommeil comme dans les maladies. Il continue à réaliser comme un rudiment de respiration, de même qu'on entretient un feu léger dans les hautsfourneaux qui sont momentanément éteints pour la production industrielle. Il est une autre forme de léthargie que Despine appelle incomplète et qui nous fait assister à un autre mode de fractionnement de l'activité nerveuse. Celle-ci est exclusivement limitée à la

substance corticale et à la couche optique avec toutes ses dépendances périphériques. Tout le système moteur reste plongé dans l'inertie la plus absolue. L'appareil d'innervation n'est plus susceptible d'éprouver que des courants centripètes. Il sent les impressions, il les élabore même dans son cerveau, mais il est devenu incapable de la moindre réaction. Les spiritualistes pourraient considérer cet état comme une mort anticipée ou plutôt inachevée, dans laquelle l'âme aurait perdu tous ses droits sur le corps, tout en lui restant enchaînée. L'homme ainsi frappé jouit en effet de toutes ses facultés intellectuelles. Il voit, il entend, il comprend, il juge et raisonne d'une manière latente. Mais il ne peut rien manifester, ni par des jeux de physionomie, ni par des mouvements. Il a toutes les apparences de la mort.

Maladie du sommeil. On a appliqué cette désignation à une affection épidémique qui fait de grands ravages parmi les populations nègres de l'Afrique. Beaucoup la regardent même comme ne figurant jamais dans la pathologie des autres races humaines. Mais, depuis les travaux de Griffon du Bellay et de Guérin sur ce sujet, quelques faits analogues ont été observés en Europe sur des blancs, et, tous les ans, les journaux de médecine enregistrent un ou plusieurs cas de ce genre. Chez les nègres, la maladie s'annonce pendant un plus ou moins grand nombre de jours par une légère céphalalgie occupant le plus souvent la région sus-orbitaire, et par une sensation de constriction aux tempes. Puis, à la fin de chaque repas, les malades sont saisis par un sommeil invincible d'une durée de plus en plus longue. Chacun de ces accès réguliers est précédé d'une sensation d'engourdissement du cuir chevelu et d'une pesanteur de la paupière supérieure, qui entraîne bientôt son prolapsus complet. Plus tard, l'état de plénitude de l'estomac n'est même plus nécessaire pour provoquer ces crises de sommeil. Elles surprennent le malade dans toutes les positions. Elles sont d'abord entrecoupées par des moments de veille. Mais il n'y a là encore qu'une veille relative. L'intelligence se montre bien alors intacte, mais elle est diminuée et surtout paresseuse. Le malade comprend toutes les questions, mais il est lent à les saisir et il y répond d'un air hébété. Les perceptions sensorielles sont exactes, mais elles s'exécutent avec une excessive lenteur. On dirait qu'il y a constamment une diminution considérable de vitesse de l'influx nerveux, ou plutôt que la propagation des ébranlements moléculaires se fait très

lentement et très-difficilement. Les éléments n'obéissent plus aussi bien et aussi vite aux impulsions reçues. Si on le force à marcher, on constate qu'il chancelle comme un homme ivre. Ses jambes fléchissent sous lui. Ses bras retombent lorsqu'on les lui a soulevés. Somme toute, sous le rapport de la motilité comme sous celui de la sensibilité et de l'intelligence, il se trouve dans l'état d'un homme qu'on vient d'éveiller au milieu d'un profond sommeil. Il en a toutes les allures et tout à fait la physionomie. Ces périodes de réveil se montrent de plus en plus rares, et il vient un moment où la léthargie est complète et constante. Le malade meurt insensiblement. A l'autopsie, on trouve les méninges congestionnées mais non enflammées. Parfois la substance cérébrale se montre ramollie; mais, dans ces cas, le sommeil s'était compliqué de paralysies alternant avec des convulsions.

Je ne crois pas qu'on puisse regarder, avec Griffon du Bellay, cette affection comme une espèce d'encéphalite; car le ramollissement du tissu cérébral semble être une exception et surajouter des symptômes étrangers à la maladie elle-même, comme des paralysies partielles et des convulsions. Je serais plutôt tenté de voir là, du moins en ce qui concerne les épidémies qui règnent en Afrique, le résultat d'une intoxication miasmatique du sang, une véritable pyrexie. Il est, du reste, dans les allures des pyrexies de produire de la somnolence. En tout cas, que la maladie du sommeil soit, ou non, le résultat d'une intoxication de ce genre, il y a lieu de la distinguer de la léthargie proprement dite. Celle-ci se rapproche beaucoup plus de la syncope et beaucoup moins du sommeil physiologique. Dans la syncope, tout est supprimé momentanément, même la vie végétative. Dans la léthargie, celle-ci n'est pas complétement éteinte. Il y a une ombre de respiration, de circulation et, par suite, de nutrition intime. Dans la maladie du sommeil, ces fonctions persistent au même degré que dans le sommeil ordinaire. Non-seulement l'inertie est moins étendue, mais elle ne s'établit pas non plus dans les mêmes conditions. Dans la léthargie, le système nerveux, dans son entier, est brusquement arrêté dans son fonctionnement, comme si ses éléments se trouvaient tout à coup congelés sur place, ou comme une machine à laquelle on aurait supprimé subitement la vapeur par un jeu de robinet, alors que cette machine ne serait nullement fatiguée, et qu'il y aurait encore en réserve une quantité de force motrice plus que suffisante. Dans la maladie du sommeil, il semble qu'il n'y

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PHYSIOLOGIE DU SYSTÈME NERVEUX.

a plus là une force passant momentanément à l'état latent, mais une force cessant de se manifester par suite d'épuisement ou de non-production. C'est en réalité un sommeil exagéré et permanent, mais motivé par une véritable incapacité. La léthargie est une abdication imposée à l'innervation alors qu'elle possède encore toute sa puissance. La maladie du sommeil c'est l'impuissance des agents de la vie de relation.

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE SECOND VOLUME

Pages.

CONSTITUTION ANATOMIQUE DE LA PROTUBÉRANCE.
RÉSULTATS DE L'EXCITATION DIRECTE DES DIVERSES PARTIES DE LA
PROTUBÉRANCE..

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PHÉNOMÈNES DE TRANSMISSION DONT LA PROTUBÉRANCE EST LE SIÉGE.
DE LA PROTUBÉRANCE CONSIDÉRÉE COMME CENTRE D'INNERVATION..
Rôle de la protubérance comme centre moteur.
Rôle de la protubérance dans les phénomènes de sen-
sibilité..

Rôle de la protubérance dans les phénomènes nutritifs.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE GÉNÉRALE

PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE GÉNÉRALE.

Troubles de la motilité

Troubles de la sensibilité générale.

Troubles de la sensibilité spéciale

Troubles de la phonation.

Troubles intellectuels

Troubles de la digestion.

Troubles de la respiration.

Troubles circulatoires, calorifiques et urinaires

PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE SPÉCIALE

Épilepsie.

Tétanos.

Catalepsie.

Paralysis agitans

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