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Ayant fait paraître antérieurement une étude physiologique du somnambulisme artificiel ou magnétisme animal, je ne saurais traiter ici à fond la même question sans m'exposer à une longue répétition d'opinions déjà émises. Aussi, vais-je me contenter de fixer en quelques mots la véritable nature de cet état et la place qu'il doit occuper dans le cadre nosologique. Il n'est nullement besoin de supposer l'existence d'un fluide spécial pour expliquer les phénomènes que peuvent provoquer les manœuvres des magnétiseurs. On crée ainsi une situation réellement pathologique, qui doit être placée sur le même rang que l'hystérie, la catalepsie, l'extase et le somnambulisme naturel; et qui offre, surtout avec cette dernière maladie, une telle analogie qu'on peut même admettre une identité complète. On n'arrive en effet à la provoquer que sur des personnes dites impressionnables, mais qui, en réalité, présentent toutes les conditions d'innervation que nous avons exprimées par le mot nervosisme. Toutes sont au moins sujettes à l'hystérie vaporeuse. Beaucoup ont même eu antérieurement des accès convulsifs, ou de l'extase ou de la catalepsie, et souvent les pratiques du magnétisme ne font que provoquer des manifestations de ce genre. Les magnétiseurs ont bien soin de s'adresser toujours au sexe féminin dont le système nerveux est généralement entaché de nervosisme à un haut degré ; et encore ils ne réussissent que sur des sujets qu'ils appellent des croyants, mais qui en réalité se signalent par une imagination exaltée et dont le jugement a été faussé par une éducation mal comprise. Il leur faut, en un mot, une sensitive très-apte à recueillir les ébranlements et à les multiplier. Quant à eux-mêmes, ils ont besoin de posséder certaines qualités, qu'ils parent de noms pompeux, mais qui au fond ont simplement pour but de leur donner la valeur d'un excitant extérieur d'une grande puissance. Ils doivent être doués, disent-ils, d'une volonté ferme; avoir un air imposant; exercer un grand pouvoir de fascination; posséder un regard qui pénètre, qui exprime la force et qui affirme une grande supériorité sous tous les rapports. Ces conditions premières une fois remplies, viennent ensuite les pratiques spéciales qui, tout bien considéré, consistent uniquement à fatiguer les sens, à user leur activité et à les plonger dans un certain état de torpeur. Tantôt on agit particulièrement sur la vue en forçant le sujet à fixer exclusivement et longtemps les yeux brillants et expressifs du magnétiseur, soit ses mains qui exécutent un geste uniforme, soit un objet quelconque.

Tantôt on agit sur le toucher qu'on soumet à des contacts alternativement doux et agaçants, parfois même lascifs. Plus brusques, plus intenses et moins monotones, ces sensations extérieures pourraient, chez des personnes nerveuses, provoquer par action réflexe le spasme ou la convulsion hystérique. Par leur légèreté et leur continuité fatigante, elles produisent un sommeil artificiel, comme pourrait le faire le bruit d'un moulin ou les chansons d'une nourrice. C'est à tort que Garnier a dit que le somnambulisme artificiel ne diffère du naturel que parce qu'il n'a pas besoin d'être précédé de sommeil. Celui-ci a lieu au même degré dans les deux cas. Seulement ici il est produit en même temps que l'accès et c'est pour cela qu'il semble ne pas le précéder. Mais ce sommeil est pathologique à un double titre, à cause de la nature du terrain et en raison même de son mode de production. Aussi n'est-il pas complet. Le sujet peut entendre et répondre comme certaines personnes endormies naturellement. Le sommeil est assez accentué pour que rien dans l'innervation de relation n'entre spontanément en activité ; mais il reste assez léger pour que le sujet puisse entendre une question, l'élaborer, et formuler une réponse. Voilà pourquoi les magnétisés ne paraissent pas avoir d'initiative et être devenus la chose du magnétiseur qui peut à son gré leur imposer telle ou telle idée et par suite telle ou telle conversation; qui peut, pour ainsi dire, jouer du cerveau de sa victime comme on joue d'un instrument quelconque. Elle obéit uniquement parce que, dans ses centres nerveux, il ne s'établit d'autres ébranlements que ceux que leur communique volontairement l'opérateur. L'idée qu'on éveille ainsi en lui n'est que l'écho du mot prononcé, écho qui est d'autant plus éclatant qu'il retentit seul au milieu du silence de toute l'économie. Il peut ainsi développer largement ses ondes et donner à l'idée mère et à ses dérivées une puissance plus grande qui frise le surnaturel. Cette idée transmise acquiert ainsi la force de l'idée fixe du somnambule naturel. La seule différence c'est que chez ce dernier elle naît spontanément, tandis que chez le premier elle a été communiquée par une parole et choisie par l'expérimentateur. C'est celui-ci qui taille lui-même dans le système nerveux le secteur exclusivement mis en jeu. Le somnambule artificiel, comme le somnambule naturel, a ses sens tantôt hypéresthésiés, tantôt endormis, tantôt seulement assoupis. La plupart de ses sensations sont subjectives et produites directement par la couche optique, mise en œuvre par les idées que son

centre intellectuel se forme ou reçoit. C'est ainsi qu'il trouve à l'eau la saveur de la liqueur qu'il croit ou a l'intention de boire. Quand bien même les faits de vue à distance et de divination, avec lesquels on alimente et on exploite encore aujourd'hui la crédulité humaine, auraient reçu une consécration scientifique, ils n'autoriseraient pas encore à croire à l'existence d'un pouvoir surnaturel. Car les quelques renseignements qu'on fournit au magnétisé suffisent, son imagination aidant, à faire naître en lui une série d'idées qui se rapprochent toujours plus ou moins de ce qui existe et que la bonne volonté des croyants transforme ensuite facilement en la reproduction exacte de la réalité. Ces idées, une fois nées et systématisées, réagissent immédiatement sur la couche optique et y évoquent des images subjectives qui font croire au sujet lui-même qu'il voit réellement. La vue et l'audition par l'épigastre, si elles étaient démontrées, ne seraient même pas complétement incompatibles avec les lois de l'innervation. Un ébranlement apporté par le plexus solaire peut s'étendre jusque dans la couche optique, se répandre dans toute son étendue et ne faire entrer en activité que les cellules du noyau visuel ou celles du noyau auditif, toutes les autres parties de ce foyer général de toutes les sensibilités se trouvant, ainsi que le reste du système nerveux, plongées momentanément dans l'inertie par suite de l'état morbide dit somnambulisme.

Hypnotisme. On donne ce nom à un sommeil artificiel qui est identique avec celui du magnétisme animal et qui n'en diffère que parce qu'il a été provoqué par des manœuvres en apparence différentes et dans le but d'obtenir l'anesthésie et non pas les manifestations intellectuelles plus ou moins bizarres du somnambulisme artificiel. C'est un médecin de Manchester, Braïd, qui, en 1841, apprit au monde médical qu'il suffit de regarder, à une distance de quelques centimètres du nez, pendant 20 ou 30 minutes, très-fixement, un corps brillant pour s'endormir, devenir insensible et pouvoir subir des opérations sans en éprouver la moindre douleur. Le fait était loin d'être nouveau cependant, car, depuis longtemps, les voyageurs avaient déclaré que les moines du mont Athos tombent à volonté en catalepsie, en fixant leur nombril; que les fakirs des Grandes-Indes s'endorment et deviennent complétement insensibles en regardant le bout de leur nez. Depuis bien des siècles, les endormeurs égyptiens déterminent le sommeil en faisant fixer soit une boule de cristal, soit une assiette blanche sur laquelle sont tracés

deux triangles croisés, le tout étant rendu plus brillant par une couche d'huile. Dans nos pays, l'expérience du vulgaire avait aussi précédé la science; car, dans bien des localités, les gens du peuple ont l'habitude de placer au-dessus du berceau de leurs enfants des boules ou des objets brillants pour leur faciliter l'arrivée du sommeil. Qui ne sait encore qu'on endort très-vite une poule en lui tenant le bec fixé à l'extrémité d'une ligne blanche tracée sur le sol? L'idée de l'application à la chirurgie n'était elle-même nouvelle qu'en Europe. Car, avant cette époque, le docteur Esdarte, dans les Indes, endormait ses malades en les forçant à fixer la figure de son domestique nègre, lequel avait pour mission d'incliner sa tête par-dessus le chevet du lit. Toutefois, il faut le reconnaître, c'est Braïd qui a donné à ce fait un véritable passe-port scientifique pour l'Occident; mais sa croyance dans la valeur de la phrénologie l'a entraîné au delà des limites du positif et même du vraisemblable. Il a prétendu qu'en pressant certaines parties du crâne, on pouvait suggérer les idées correspondantes aux protubérances phrénologiques. Une autre observation qui résulte de ses recherches sur les divers affluents du même sujet, et qui a été sanctionnée depuis, c'est que si on place un cataleptique dans une pose exprimant l'orgueil, ou l'humilité, ou la colère, immédiatement le sujet éprouve ces divers sentiments. Il y a là une preuve bien remarquable de l'influence réciproque qu'exercent entre elles les parties périphériques et centrales du système nerveux, puisque, si le sentiment provoque la mimique, celle-ci peut engendrer, à son tour, l'acte affectif. En France, M. Azam, de Bordeaux, a repris les expériences de Braïd et a tenté de substituer la pratique de l'hypnotisme à l'emploi du chloroforme. Sa tentative a échoué, à cause de la grande inconstance des résultats et parce que l'ébranlement qu'on donne alors au système nerveux expose à des dangers presque aussi sérieux que ceux qui sont inhérents au chloroforme.

Dégagé de ses applications, le phénomène de l'hypnotisme n'est en définitive qu'un mode de manifestation du nervosisme, spécialement déterminé par la fatigue des yeux soumis à une impression vive, constante et exclusive, et placés artificiellement dans les conditions du strabisme convergent. Cette titillation particulière de l'appareil de la vision n'arrive à troubler l'innervation d'une façon réellement appréciable que chez les individus qui possèdent un système nerveux exalté; ce qui explique l'inconstance des résultats qu'Azam a eu le tort de vouloir généraliser. Quand des troubles se

manifestent, ils peuvent fort bien consister en de la catalepsie, de l'extase et même dans de l'hystérie convulsive, ce qui prouve bien que l'excitant ne fait ici que développer les aptitudes personnelles de nervosisme. Si ces troubles ne prennent pas ces formes spéciales, alors seulement ils constituent le véritable appareil symptomatique de l'hypnotisme proprement dit. Il survient une anesthésie générale qui est remplacée plus tard par de l'hypéresthésie. Toutefois, cette dernière n'apparaît pas pour l'œil. Elle porte surtout sur le sens musculaire et sur celui de la température. L'ouïe acquiert une telle finesse qu'une conversation peut être entendue d'un étage à l'autre. La seule chose qui semble au premier abord établir une ligne de démarcation entre les hypnotisés et les somnambules, c'est que, chez les premiers, l'anesthésie et l'hypéresthésie peuvent exister, l'intelligence restant intacte; tandis que, chez les seconds, les facultés intellectuelles sont en même temps perverties et exaltées. Mais ce n'est pas là une différence réelle. Tout dépend de la direction que l'on donne à l'excitant. Chez l'hypnotisé, il n'y a que des troubles des sens, parce que l'excitant s'adresse uniquement aux organes des sensations. C'est, au contraire, à l'intelligence et surtout à l'imagination des somnambules que l'on parle; et les questions que l'on adresse pendant l'accès ne font qu'entretenir le trouble intellectuel provoqué par les passes et le jeu de physionomie. La découverte de l'hypnotisme a eu, du moins, le mérite de démontrer l'absurdité de la théorie du fluide magnétique et de ramener le magnétisme animal à sa juste valeur.

Léthargie. L'activité de la vie se présente avec des degrés infinis à l'état de veille. La période active de certains individus serait presque du sommeil pour d'autres. La même richesse de nuances se rencontre dans la période opposée, celle du repos. Le sommeil oscille autour d'une moyenne physiologique dont il peut s'éloigner assez pour donner naissance à des nuances pathologiques. Les unes sont en deçà, les autres au delà de cette moyenne. Les états que nous venons d'examiner sont des spécimens des premières. Les autres se présentent avec des physionomies moins nombreuses et moins caractéristiques. Jusqu'à présent, la pathologie classique n'a même envisagé que les plus extrêmes, dont elle a fait une seule maladie, la léthargie. Au plus haut degré, l'économie présente toutes les apparences de la mort. Elle n'est plus une statue animée comme dans le somnambulisme; elle n'est même plus une statue expressive comme

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