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une sensation pénible, vaguement perçue, qui vient solliciter un travail intellectuel, lequel ne peut être que faussé à cause du peu d'activité que possède alors là couche corticale, et à cause de l'absence de renseignements positifs apportés par les organes des sens. C'est dans ces conditions que les cellules intellectuelles et la couche optique enfantent des idées et des images subjectives effrayantes, en rapport avec la donnée douloureuse qui leur sert de germe ou de thème.

Cette formule, que je viens de traduire dans un langage approprié à ma manière d'interpréter la mécanique cérébrale, a besoin d'être appuyée par quelques développements. Le cauchemar apparaît ordinairement dans la première moitié de la nuit, parce qu'il est lié le plus souvent aux impressions digestives. Le sujet éprouve un malaise considérable qui a sa cause principale dans un état spasmodique du pneumo-gastrique et de tous les nerfs de la respiration. Ce spasme engendre des suffocations qui sont comme la mimique, considérablement amplifiée, d'une impression morale excessivement pénible. Les hallucinations les plus fantasques se produisent. Il croit à l'existence d'un monstre quelconque qui le terrasse et l'écrase. Il voit des torrents qui l'entraînent, des gouffres béants dans lesquels il tombe. L'hallucination et l'idée qui l'a fait naître ou qui en découle sollicitent, d'une manière impérieuse, les cellules motrices capables de provoquer les mouvements nécessaires pour fuir le danger. Mais celles-ci, devenues inertes, restent sourdes à ces sollicitations, et le sentiment d'impuissance qui résulte de cet état de choses constitue peut-être, pour le patient, la cause la plus efficace de souffrance. Cette lutte contre l'inertie détermine bientôt un tel degré de tension, qu'elle provoque des manifestations réflexes émotionnelles qui se substituent à la réaction musculaire, devenue impossible du côté des muscles de la vie animale. Elles consistent en des battements de cœur très-violents et en une hypersécrétion de sueur. Celle-ci, en s'évaporant brusquement en partie, refroidit la portion restante et la peau. De là l'expression de sueurs froides, qu'on regarde toujours comme étant produites par une grande terreur. Cette tension est telle aussi que, presque aussitôt, elle force tout le système nerveux à sortir de l'état de sommeil. Au moment de ce réveil brusque, l'innervation motrice étant rendue à elle-même, tout le système musculaire se raidit spasmodiquement, comme pour résister enfin à la chute imminente. De là la secousse violente qui coïncide avec le réveil. Tous ces phénomènes ne sont que la réflexion de l'impression viscérale.

C'est tellement vrai que la nature du rêve et de l'hallucination offre toujours un certain rapport avec l'origine de l'impression. Ainsi l'idée d'un corps pesant ou d'un monstre reposant sur le thorax et l'estomac, coincide ordinairement avec les maladies des voies pulmonaires et digestives. Les idées de lutte et de combat, la sensation de blessure reçue à la région du cœur, se rattachent plutôt aux maladies de la circulation; celles de viol, à certaines dispositions des organes génitaux.

Le nervosisme est une condition des plus favorables pour la production des cauchemars, en ce sens qu'il assure le retentissement des impressions viscérales. L'enfant y est plus prédisposé à cause de la plus grande activité de la partie sensitive de son système nerveux. Pour les mêmes raisons, le cauchemar est fréquent chez les hystériques. Comme causes déterminantes, il est évident qu'une digestion trop laborieuse tient le premier rang, parce que les impressions parties de l'estomac sont de toutes les plus capables de retentir sur l'encéphale. Il suffit même de manger quelque chose de lourd, ou de prendre une quantité un peu trop considérable d'aliments, ou encore de manger peu de temps avant de se coucher, pour que le phénomène morbide se montre presque à coup sûr. Je crois que, dans ces circonstances, l'impression ne résulte pas seulement de l'excès d'activité que l'estomac est obligé de déployer, mais surtout de la distension subie par l'estomac, et du refoulement consécutif du diaphragme et des ganglions semilunaires. Il y a lieu aussi de tenir un grand compte de l'impossibilité où les gaz, résultant du travail digestif, sont de sortir, parce qu'en vertu des lois de la pesanteur, ils se trouvent accumulés contre la paroi antérieure de l'estomac, qui est alors le point le plus élevé de cette cavité. Ce dernier élément joue certainement ici un grand rôle; car il semble qu'il faut la position horizontale pour que l'état de plénitude de l'estomac amène des cauchemars. Quelques médecins ont prétendu que le travail de la digestion ne devait être pour rien dans le phénomène, puisqu'il pouvait être aussi bien engendré par la diète. Mais il est évident que tout ce qu'il faut pour lui donner naissance, c'est une impression viscérale pénible, quelle qu'elle soit; et l'état de vacuité peut être tout aussi douloureux que l'état de plénitude. Les sensations externes peuvent, de leur côté, produire des cauchemars. La piqûre d'une puce provoqua chez Descartes un cauchemar, pendant lequel il se croyait traversé d'un coup d'épée. Un malade de Galien est subitement atteint

de paralysie d'une jambe pendant la nuit, et il éprouve aussitôt un rêve pénible dans lequel il est persuadé qu'il a une jambe de pierre. Il est des femmes qui, pendant leurs règles, sont poursuivies par des cauchemars, où les meurtres, avec effusion considérable de sang, jouent un grand rôle. Il est à remarquer aussi qu'il suffit parfois de prendre, en dormant, un décubitus auquel on n'est pas habitué. On comprend que la position sur le côté gauche puisse gêner les contractions du cœur. Du reste, dans toutes les positions affectées pour le sommeil, le cœur n'est pas exactement dans la même place et dans la même direction que pendant la station verticale. Le décubitus dorsal peut aussi apporter des troubles de vascularisation dans diverses régions de la moelle épinière. Enfin le point de départ n'est pas toujours dans les viscères ou dans les téguments. Il peut se trouver dans le centre intellectuel lui-même, et être occasionné par la fatigue de l'intelligence, par les veilles prolongées, les contes fantastiques et les préoccupations tristes.

Somnambulisme. Il est des personnes qui, au milieu du sommeil le plus normal, éprouvent tout à coup un peu d'agitation générale, puis se lèvent, marchent avec une adresse incroyable au milieu des obstacles les plus invincibles et des causes de chute les plus inévitables, se livrent à leurs occupations habituelles, ou à des actes qui semblent dictés par leurs préoccupations de la veille, ou enfin à des actes qui devaient être exécutés le lendemain; et tout cela en conservant les caractères généraux de l'homme endormi. Leurs yeux sont tantôt ouverts, tantôt fermés, fixes et sans regard, ou bien mobiles comme si la vision s'exécutait normalement. Le plus souvent la pupille est dilatée et invariable, ce qui semble indiquer qu'elles ne voient pas réellement. Au réveil, elles ne se doutent nullement de ce qui s'est passé. Ce sont là ce qu'on appelle des somnambules. En général, ces personnes se sont montrées, dès leur enfance, malingres et nerveuses. L'éducation qu'elles ont reçue n'a fait qu'exalter leur système nerveux, particulièrement certaines portions de leurs facultés affectives et intellectuelles; ou bien encore leur cerveau et leur intelligence ont éprouvé un arrêt de développement qui a rétréci considérablement le cercle de leurs notions et qui a laissé un champ trop libre à la crédulité et au sentiment de la peur. Les causes occasionnelles qui provoquent les accès sont les troubles de la digestion, la surexcitation cérébrale par les préoccupations morales ou intellectuelles.

Cette aberration du sommeil a été diversement interprétée. Haller, Van Swieten, Frédéric Hoffmann, admettent que, dans ces circonstances, les sens sont complétement inactifs, que les somnambules voient et agissent uniquement en vertu de leurs souvenirs et de leur imagination exaltée. Ils dorment réellement; leur imagination seule veille et appelle à son secours la mémoire. Wolff, Meiner, Darwin, ne voient là qu'un sommeil incomplet où un restant d'activité sensoriale vient se combiner avec un certain degré d'exaltation de la mémoire et de l'imagination. Michéa veut qu'il y ait plus qu'un reste de sensibilité sensoriale. Selon lui, certains sens se trouvent au contraire exaltés, tandis que d'autres sont complétement abolis; et c'est ainsi qu'il explique l'habileté et l'adresse souvent surnaturelles qu'on remarque chez la plupart des somnambules. Ceux qui ont les yeux ouverts et mobiles peuvent voir dans l'obscurité en raison du haut degré d'hypéresthésie de leur rétine. Ceux qui marchent les yeux fermés suppléent au défaut de vision par l'hyperesthésie de leur sens tactile. Il s'appuie sur ce qu'on observe chez les animaux eux-mêmes. Les hiboux, les chats et les rats ont la rétine si impressionnable qu'ils distinguent parfaitement tous les objets au milieu de la plus profonde obscurité. De leur côté, les chauves-souris à l'aide de leur membrane interdigitale, certains insectes à l'aide de leurs antennes, sentent à distance les objets, uniquement par la perception des ondulations imperceptibles que ces objets communiquent à l'air. L'espèce humaine, du reste, même en dehors de l'état de somnambulisme, nous fournit des exemples de ce que peut produire un sens hypéresthésié. Certains aveugles lisent des caractères en relief même quand ceux-ci leur sont appliqués sur le dos. Il en est qui distinguent les couleurs par les imperceptibles inégalités de surface qui varient avec la coloration des objets. Les individus atteints de nyctalopie ne peuvent lire que dans les ténèbres. Tous ces faits permettent d'expliquer le côté merveilleux du somnambulisme, et celui-ci, considéré en lui-même, constitue un sommeil incomplet dans lequel un sens hypéresthésié vient provoquer un travail intellectuel partiel et des actes musculaires exclusivement en rapport avec le département d'idées tenues en éveil. Sandras ne voit aucune différence fondamentale entre le sommeil ordinaire et le somnambulisme. Il fait observer que dans la production du sommeil physiologique les sens s'endorment les uns après les autres; que tantôt l'un,

tantôt l'autre reste incomplétement supprimé et peut être remis en activité même par un excitant faible; que presque toujours les fonctions intellectuelles se réveillent incomplétement de temps en temps; que très-souvent les dormeurs entendent ce qu'on dit autour d'eux et y répondent; qu'à chaque instant nous déplaçons nos membres tout en dormant; qu'on a même vu des individus dormir en marchant. Pour Sandras, toutes ces manifestations, pendant le sommeil normal, constituent autant de somnambulismes partiels; et le somnambulisme pathologique n'est que la collection de toutes ces nuances du sommeil incomplet. Il ajoute, toutefois, que les somnambules ont, comme condition première, un état d'exaltation du système nerveux qui donne plus de finesse à leurs sensations, plus de promptitude à leurs réactions intellectuelles et affectives, plus de ténacité à leurs instincts. Suivant Albert Legrand, il y a là un état intermédiaire entre la veille et le sommeil; et les somnambules sont plutôt assoupis qu'endormis. Pour Lélut, c'est un état de rêve dans lequel quelques-uns des sens sont non-seulement plus éveillés que cela n'a lieu dans les songes ordinaires, mais ont même une énergie plus grande que pendant la veille, en raison de l'inertie dans laquelle les autres sont plongés. Maury adopte l'opinion de Lélut, mais il admet qu'il faut en outre une extrême excitation du système nerveux, un état voisin de l'hystérie et de la catalepsie. Bertrand ne peut pas voir dans le somnambulisme un sommeil imparfait et, sans prononcer le mot de fluide, il suppose pour cette maladie quelque chose de spécial, identique avec le magnétisme animal. Pellizari de Florence entre dans cet ordre d'idées et il prétend avoir guéri 18 somnambules en entourant une de leurs jambes avec un fil de cuivre dont l'autre extrémité communiquait avec le sol. Sans vouloir pénétrer la nature intime du phénomène, Ferrus admet deux formes de somnambulisme, dont l'une, la plus légère, n'est qu'un rêve en action et un simple accident du sommeil ordinaire; dont l'autre constitue une véritable maladie appartenant à la même famille que l'hystérie, la catalepsie et l'extase. Une commission formée dans le sein de la Société des sciences physiques de Lausanne, après de nombreuses recherches, est arrivée à la formule suivante: « Le somnambulisme est une affection nerveuse qui nous saisit et nous quitte pendant le sommeil, durant laquelle l'imagination nous représente les objets qui l'ont frappée à l'état de veille avec autant de vivacité que s'ils affectaient réellement nos sens,

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