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templative, reste complétement immobile et étranger à tout ce qui l'entoure. Les conditions physiologiques les plus apparentes sont la suspension des mouvements volontaires et de l'exercice des sens. Les malades sont, en effet, complétement immobiles et insensibles; ils ne voient ni les personnes ni les objets environnants; ils n'entendent plus, ils ne sentent plus les contacts et même les impressions les plus douloureuses. C'est grâce à cette anesthésie absolue dans l'extase, que bien des martyrs ont pu mourir au milieu des plus atroces souffrances sans paraître rien éprouver. La physionomie a quelque chose de caractéristique les yeux restent ouverts et fixes, comme plongeant dans l'espace; la bouche entr'ouverte. C'est là, du reste, la mimique instinctive qui exprime la contemplation idéale du ciel et des choses célestes. La figure est pâle; le sujet est transformé en une statue expressive. Il semble comme transporté dans un nouveau milieu où les excitants sensoriels ordinaires n'ont plus accès. Suivant l'expression heureuse de Calmeil, les extatiques n'ont plus que des sensations cérébrales; ils n'ont plus que celles que vont éveiller dans la couche optique les conceptions de leurs cellules intellectuelles. Ils entendent des voix célestes; ils assistent, par anticipation, aux splendides spectacles réservés à la vie éternelle. Rien ne peut égaler, selon eux, les jouissances élevées et surhumaines qu'ils éprouvent alors. C'est la concentration de la vie dans un seul département de l'organisme, dans la couche corticale du cerveau. Tout le reste de l'économie demeure plongé dans le néant. On comprend parfaitement qu'un pareil état puisse faire naître l'idée d'une séparation momentanée de l'âme et du corps. On dirait une expérience destinée à donner à l'homme un aperçu de ce que doit être la séparation éternelle marquée par la mort. L'extatique ne vit plus que par son imagination. Celle-ci concentre même son activité sur un trèspetit cercle d'idées. De là la puissance naturelle dont ses œuvres portent le cachet. On peut presque dire que c'est une maladie de la faculté imagination, qui, dans son exaltation passive, amène la mort apparente des autres fonctions.

De même que l'hystérie convulsive, cette maladie procède par accès d'une durée variable, qui se terminent aussi par des pleurs et laissent à leur suite un sentiment d'oppression et de courbature générale. Je n'hésite pas, du reste, à regarder l'extase comme un des nombreux produits du nervosisme et comme pouvant se substituer à eux. On a vu très-souvent des hystériques tomber subitement dans

une extase plus ou moins complète. Il semble même y avoir plus de parenté entre cette affection et l'hystérie qu'entre celle-ci et l'épilepsie. C'est un accès d'hystérie dans lequel il se produit une anesthésie et une paralysie générale, et dans lequel l'activité nerveuse est accaparée par un certain ordre d'idées qui, avec le concours des couches optiques, engendrent un groupe régulier de fictions. C'est une convulsion de quelques cellules intellectuelles qui se substituent aux convulsions des muscles, ou plutôt il y a un tel degré de tension des cellules mises en travail qu'elles sont, pour ainsi dire, immobilisées dans ce travail et que le mot catalepsie serait plus vrai que celui de convulsion. Les oscillations de l'effort intellectuel manquent comme celles de la contraction normale dans la catalepsie. Le courant est continu au lieu d'être rémittent. La comparaison a, du reste, déjà été faite par Maury. Il a dit « Chez l'extatique, l'esprit « tombe dans une sorte de tension involontaire; il ne peut plus pas« ser d'une idée à une autre. Il est cataleptisé. »

Au point de vue de la médecine mentale, l'extase est une idée fixe qui ne retentit pas sur les cellules déterminantes et motrices, qui reste avec un effet purement contemplatif. L'esprit se complaît dans l'admiration passive de ce qu'il croit apercevoir à travers ses pensées, et la seule manifestation réflexe de cet état des cellules intellectuelles consiste dans le maintien de la pose et de la physionomic en rapport avec cette contemplation. C'est presque une forme particulière de la folie. D'ailleurs, les accès d'extase trop répétés finissent par conduire à la folie véritable, qui n'est que l'expression la plus élevée du nervosime concentré dans la couche corticale. En circonscrivant le champ de l'exaltation du système nerveux dans le centre intellectuel, elle ne peut qu'en préparer le terrain à des altérations plus complètes et permanentes.

Les conditions dans lesquelles l'extase paraît prendre naissance sont bien de nature à produire ces idées fixes à effet purement contemplatif. Ce sont toujours des pensées capables d'absorber l'esprit, qui sont pures de toute attache matérielle. En général, elle apparaît chez les personnes exclusivement préoccupées des choses célestes et mystiques. Elle est d'une extrême fréquence chez les anachorètes et les ermites de toutes les religions du monde. Elle se montre parfois chez les jeunes soldats atteints de nostalgie, qui ont le regard et les pensées sans cesse tournés vers le pays. Elle peut puiser sa source dans un amour platonique porté à ses dernières

limites; mais, pour peu que cet amour porte en lui une tache imperceptible d'érotisme, il ne produit jamais l'extase. Elle est aussi l'œuvre des méditations trop prolongées et trop exclusives sur des sujets abstraits. C'est ainsi qu'Archimède et Socrate sont devenus extatiques. En un mot, ce qu'il faut, c'est un travail intellectuel plongeant un certain groupe de cellules dans un éréthisme morbide, et ne faisant appel ni aux sens ní aux actes musculaires. Il est cependant encore un autre mode de genèse qui suppose un mécanisme analogue à celui dont nous avons déjà parlé dans l'hystérie, c'est l'imitation. La vue de la scène morbide provoque par action réflexe la reproduction d'un état semblable du système nerveux. Enfin, il est des substances, l'opium et surtout le haschich, qui peuvent produire une véritable extase artificielle, qui sont les poisons de l'imagination, comme le curare et la strychnine sont ceux de la motilité, comme le chloroforme est celui de la sensibilité. Ils exaltent cette faculté au point de lui faire dominer et suspendre tous les autres actes de la vie. Le haschich vient compléter l'arsenal de l'expérimentateur, qui peut ainsi, à son gré, produire des imitations de la plupart des maladies spontanées du système nerveux. Nous analyserons cette extase toxique dans nos leçons sur les modificateurs de l'innervation.

Un individu qui est, suivant l'expression adoptée, absorbé, se trouve dans un état qui est une fraction d'extase. Dans l'extase véritable, l'absorption va jusqu'à paralyser complétement le sentiment et le mouvement; elle fait taire tout à fait ce qui n'est pas l'acte intellectuel qui l'a motivée. L'état de simple absorption ne fait que rendre l'économie un peu sourde à toute autre sollicitation. Un absorbé ne sent d'abord pas les contacts, n'entend pas les bruits; mais, pour peu que ces excitations soient intenses ou répétées, il revient à la vie générale. L'extatique ne se rend à aucune sensation. L'absorption, c'est un simple oubli du sentiment et du mouvement; l'extase, c'est une paralysie de ces modes d'innervation. On dirait que la force nerveuse a abandonné tout le système nerveux et s'est retirée dans une région du cerveau.

Sommeils pathologiques.

Toutes les affections que nous avons analysées jusqu'à présent constituent des modes pathologiques du système nerveux, considéré dans l'état de veille. Il nous faut maintenant envisager les différents

modes pathologiques que ce même système peut offrir dans l'état de sommeil. Ce sont : l'insomnie, le cauchemar, le somnambulisme, l'hypnotisme, la maladie du sommeil et la léthargie.

Insomnie. Vous rencontrerez dans le monde une foule de personnes dont le sommeil est toujours très-incomplet, quoiqu'il ne faille jamais prendre à la lettre leurs assertions qui sont très-souvent entachées d'une espèce d'amour-propre inexplicable. Mais il en est quelques-unes chez lesquelles l'insomnie atteint des proportions pathologiques, est réellement absolue et peut durer ainsi des semaines, des mois et même des années. L'absence de sommeil implique toujours un état d'éréthisme du système nerveux, qui rend impossible sa rupture avec le monde extérieur, et qui fait qu'une de ses parties tient tout le reste en arrêt. Partout les éléments nerveux sont maintenus en activité. Il leur est défendu de s'abandonner à l'inertie. Presque toujours la partie qui remplit ici le rôle de la mouche du coche siége dans la couche corticale des hémisphères, car l'insomnie est généralement engendrée par les grandes préoccupations morales ou intellectuelles. Dans les conditions ordinaires, c'est l'inertie des nerfs sensoriels qui condamne au silence les cellules d'idéation. Ici ce sont ces dernières qui, dans leur état de surexcitation, tiennent éveillés les sens et le système nerveux, malgré eux et malgré leur fatigue. Leurs vibrations entretiennent un état d'agitation moléculaire qui rayonne dans tous les sens, et qui retentit jusque dans les dernières ramifications du système nerveux. Le foyer d'ébranlements insolites et, par suite, la cause de l'insomnie peuvent, du reste, se trouver ailleurs. Il suffit que la nappe d'eau soit remuée en un point quelconque pour que sa surface se ride partout à la fois et qu'elle perde son immobilité. C'est ainsi que les sens, quand ils ont reçu des impressions trop vives, peuvent atteindre un état d'exaltation comparable à celui d'un cheval qui, trop excité, s'emporte malgré ses fatigues antérieures, et ils viennent, à leur tour, forcer à un travail continuel le centre intellectuel. La cause de cette surexcitation sensorielle est plus souvent encore interne. Les maladies de l'oreille et du nerf acoustique donnent lieu, fréquemment, à des bourdonnements qui produisent des insomnies que rien n'arrive à vaincre. La titillation qui s'oppose au sommeil a aussi parfois une origine viscérale, une maladie du foie, de l'estomac, de la matrice, etc. Certains aliments et certaines boissons, comme le thé, le café et l'alcool, agissent d'une façon plus générale, en produisant une véritable inflam

mation fonctionnelle de toutes les parties du système nerveux. Enfin, les convalescences amènent encore ce résultat. Sans doute parce que les centres nerveux renaissent, pour ainsi dire, et commencent à reprendre leur vigueur normale, alors que le défaut d'exercice rend encore la dépense presque nulle. Quelle que soit la cause qui la produise, à l'exception du dernier cas, l'insomnie constitue toujours un véritable état morbide, ainsi que l'atteste le malaise général auquel on est en proie. On ne trouve pas une bonne place; on est oppressé; on a la tête chaude et lourde. Il y a un sentiment d'ardeur et de chaleur général. On dirait que le système nerveux tend à restituer sous forme de calorique une partie de la force de tension qu'il possède. Une pareille situation ne saurait se prolonger sans produire de fâcheuses conséquences. Elle peut conduire à la folie, parce que tout éréthisme produit par action réflexe une dilatation active des capillaires du cerveau, qui est rendue, du reste, indispensable, par la dépense qu'il entraîne. Cette congestion finit par aller au delà du but, et un travail de sclérose peut s'établir.

Cauchemar. C'est un rêve de nature morbide qui trouve son point de départ dans une impression douloureuse à siége le plus souvent viscéral, et qui, à titre de réactions centrales, consiste en des hallucinations effrayantes, un sentiment de vive oppression, un violent besoin en même temps qu'une impuissance absolue de crier et de se mouvoir. C'est, comme l'a dit Maury, le délire du rêve.

Le mécanisme de ce phénomène morbide du sommeil a préoccupé les médecins à toutes les époques, et a fait éclore, à travers les âges, trois théories: 1o la théorie des vapeurs morbides, qui est celle de l'antiquité. Suivant elle, le cauchemar serait dû à une accumulation de vapeurs épaisses et froides dans les ventricules du cerveau. Celles-ci empêcheraient les esprits vitaux de se répandre dans les nerfs. De là la paralysie des muscles de la respiration, de la phonation et de la locomotion. Quant aux vapeurs, leur origine pourrait varier. Tantôt elles émaneraient de l'estomac, dans le cas de digestion laborieuse; tantôt de la bile, dans les maladies du foie; tantôt du sperme; 2o la théorie mystique, celle du moyen âge. Elle mettait le cauchemar sur le même rang que la folie, et l'attribuait, comme elle, à l'influence du démon. Mais ce n'était, pour ainsi dire, de la part de Satan, qu'une tentative passagère de possession ; 3° la théorie physiologique, qui a pris mille formes, mais dont la formule fondamentale est à peu près celle-ci : La cause du cauchemar est toujours

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