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plus ou moins grand nombre des couches concentriques d'un même nerf, il a constaté l'existence de conducteurs spéciaux pour le tact, la température et la douleur, formant dans chaque nerf des plans distincts et emboîtés les uns dans les autres. De son côté, Liégeois a démontré l'existence d'une circonstance plus favorable encore. Il a fait voir que les régions anesthésiées étaient froides et exsangues; qu'on pouvait y enfoncer une épingle sans donner lieu à l'issue de la moindre goutte de sang. Cette anémie complète, qui laisse les nerfs dans un véritable état d'inanition, ne leur enlève-t-elle pas en même temps toutes leurs propriétés physiologiques? Il faudrait admettre alors que les mêmes conditions ne se retrouvent pas dans les muscles, puisque la paralysie musculaire ne concorde pas toujours avec l'anesthésie. Il serait à rechercher si l'épingle enfoncée dans les muscles eux-mêmes n'y détermine pas de petites hémorrhagies. Dans le cas de résultat négatif, il faudrait évidemment renoncer à trouver là la cause de la perte de la sensibilité, car le défaut de sang devrait aussi bien paralyser les nerfs moteurs que les nerfs sensitifs. Enfin, un fait à mettre encore à l'actif des partisans du mécanisme périphérique est celui signalé par Galezowski. Dans un cas d'amaurose hystérique, il a constaté une congestion capillaire de la rétine, une infiltration péripapillaire. Il faut dire toutefois que, dans des cas analogues, Kock n'a rien trouvé.

Henrot et Benedikt pensent que dans l'anesthésie hystérique les nerfs et les centres sont à la fois malades. Eichmann attribue le phénomène à une altération de nutrition des centres nerveux seuls. Luys n'hésite pas à mettre tout sur le compte de la couche optique. En éprouvant elle-même des troubles de vascularisation, en passant de la congestion à l'anémie, elle enfante successivement de l'hypéresthésie et de l'anesthésie. Suivant que ces modifications portent sur tel ou tel point de sa substance grise, elle arrive à anesthésier tantôt le sens du tact, tantôt celui de la température, etc.; et c'est ainsi qu'elle arrive à décomposer la sensibilité générale en ses différents facteurs. Pour moi, je répéterai ici ce que j'ai dit tout à l'heure: oui, c'est la couche optique qui prend la part la plus importante et la plus efficace dans la production de l'anesthésie; mais elle est aidée par les modifications fonctionnelles des autres parties du système nerveux. Si elle est un centre anesthésié ou hypéresthésié, les nerfs sensitifs sont, de leur côté, des conducteurs anesthésiés ou hypéresthésiés dans leur genre particulier d'activité.

J'ai éloigné à dessein l'étude des paralysies hystériques de celle des accès convulsifs, parce que ces deux ordres de troubles de la motilité, quoique diamétralement opposés, ne sont pas à mettre ici directement en opposition, comme l'anesthésie relativement à l'hypéresthésie. Ces modifications de la sensibilité alternent ou se mélangent entre elles pendant la période du calme relatif qui sépare les crises convulsives. Elles sont des éléments de la phase chronique de l'affection. Il n'en est plus de même pour les troubles de la motilité; ils appartiennent à des périodes parfaitement distinctes. Les convulsions constituent la période aiguë; les paralysies se montrent, comme les altérations de la sensibilité, pendant la période chronique. Elles doivent donc prendre rang à côté d'elles.

La paralysie hystérique affecte tantôt la forme paraplégique, tantôt la forme hémiplégique; tantôt elle est plus partielle encore. Ce qui la caractérise avant tout, c'est la facilité avec laquelle elle se déplace et la rapidité avec laquelle elle apparaît ou disparaît. Les théories que nous avons mentionnées dans l'étude des névroses de la moelle s'appliquent aussi bien aux hémiplégies et aux paralysies partielles qu'aux paraplégies. Ainsi Piorry, Macario, Leroy d'Étiolles, Landouzy, les attribuent à la déperdition d'influx nerveux qui suit les attaques; opinion qui se trouve condamnée par ce seul fait que des hystériques qui n'ont jamais eu d'accès convulsifs peuvent être atteintes de paralysie. Brown Sequard les fait rentrer, comme les paraplégies, dans le groupe des paralysies réflexes. La cause sensitive provoquerait une contraction permanente des capillaires de certaines régions des centres moteurs. Valérius vient encore, pour les hémiplégies, placer la cause de la paralysie dans le système musculaire, et la faire consister dans un affaiblissement de la polarité électrique des fibres musculaires. En commentant antérieurement cette théorie, j'ai fait observer qu'il serait plus naturel encore d'accuser une diminution de la polarité électrique des centres nerveux euxmêmes. J'ai trouvé, depuis, cette interprétation adoptée dans la thèse de M. Lasalle. Ce médecin pense que l'opinion de Valérius ne saurait être soutenable, par la raison que, dans la paralysie hystérique, la contractibilité musculaire reste intacte; ce qui tend à prouver que la cause doit résider en dehors du système musculaire. Brodie et Jaccoud, qui faisaient remonter la cause des paraplégies jusque dans le centre intellectuel et la faisaient consister dans un défaut de volonté, se sont naturellement trouvés plus autorisés encore à faire dépendre

II. POINCARÉ.

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les hémiplégics de cette cause psychique. A toutes ces théories, qui ont déjà été développées dans le premier volume (pages 246 et 247), je dois en ajouter d'autres qui, quoique d'une application générale, ont été surtout enfantées à propos des paralysies relevant du cerveau d'après leur forme. Eichman n'hésite pas à supposer l'existence d'une altération matérielle d'un des hémisphères, non accessible à nos moyens d'investigation. Se basant sur la mobilité des paralysies hystériques, Niemeyer pense qu'il n'y a que des troubles de nutrition faciles à réparer. Collineau, pensant qu'il ne peut pas y avoir de paralysie sans cause matérielle, et ne pouvant admettre une altération des centres nerveux pour un symptôme aussi mobile, tranche la difficulté en s'adressant à une influence matérielle indirecte. Il attribue la perte du mouvement à l'aglobulie du sang. Le système nerveux ne fonctionnerait pas convenablement parce qu'il serait mal nourri. Dans les leçons sur la moelle, j'ai émis la pensée que les paralysies hystériques pourraient bien être l'œuvre de congestions partielles du système nerveux, analogues aux congestions viscérales si fréquentes chez les femmes atteintes d'hystérie. Pour les paraplégies, elles siégeraient dans la moelle; pour les hémiplégies, dans le corps strié. Mais j'ajoutais que ce n'était là qu'une hypothèse à mettre en ligne à côté des autres. Un fait signalé par Lasalle est de nature à en faire surgir encore une nouvelle. Il a constaté que toujours, chez les individus atteints de paralysie hystérique, le sens musculaire était aboli ou diminué. La perte du mouvement ne serait-elle que secondaire et serait-elle due simplement au défaut de renseignements nécessaires à toute motricité régulière? L'hystérique serait-elle paralysée uniquement au même titre que la grenouille dont on a coupé les racines postérieures ou sensitives, en respectant les antérieures ou motrices?

Enfin, un dernier genre de trouble de la motilité, apparaissant aussi spontanément dans l'intervalle des accès, consiste en des contractures. Boddaert les attribue à une excitation exercée sur la moelle par l'utérus, et il paraît disposé à en conclure que l'hystérie a surtout son siége dans la moelle épinière. Mais les quelques autopsies qui ont pu être faites jusqu'alors auforisent à les rapporter à une sclérose en plaques des cordons antéro-latéraux. Il semble que les congestions variables dont nous avons parlé peuvent, à force de se répéter, produire un processus inflammatoire de la névroglie, qui se présente avec ses phases et ses conséquences ordinaires.

Dans l'hystérie, il y a une grande irrégularité, une excessive mobilité et un défaut de mesure dans le fonctionnement des cellules motrices et sensitives. Il n'y a pas lieu de s'étonner qu'il en soit de même pour les cellules intellectuelles, puisque la modification moléculaire ou dynamique qui constitue le nervosisme s'étend à l'ensemble du système nerveux. De là la bizarrerie et la versatilité qu'on 'constate dans l'intelligence et les sentiments moraux de presque toutes les hystériques; de là la facilité avec laquelle le délire peut accompagner les accès convulsifs. D'autre part, la couche optique, dont l'état morbide forme l'élément principal de l'affection, puisqu'elle est avant tout constituée par des troubles sensoriels, fournit, à certains moments de plus grande irritation, des hallucinations qui viennent alimenter le désordre intellectuel. L'impressionnabilité exagérée des cellules affectives vient, de son côté, ajouter de véritables hallucinations émotionnelles aux hallucinations des sens. C'est ainsi que l'incohérence des idées se trouve faire pendant à l'incohérence des sens et des mouvements. Lorsque l'exaltation du système nerveux, devenue moins disséminée pour une raison ou pour une autre, arrive à se concentrer dans la couche corticale, au détriment des centres locomoteurs, l'altération intellectuelle prend plus de consistance, et elle devient la manie hystérique.

Sur ce nouveau terrain, on assiste encore à la démonstration de la parenté des soi-disant névroses. L'état du système nerveux, qui, dans l'ordre des mouvements, peut se traduire soit par les convulsions hystériques, soit par les secousses choréiques, se prête aussi aux déviations psychiques, quelle que soit celle des deux formes de mouvements qu'il ait adoptée pour se manifester. La chorée a, en effet, ses symptômes intellectuels, que nous ne pouvions pas encore examiner quand nous avons fait l'histoire spéciale de cette maladie; et ces symptômes sont tout à fait analogues à ceux qu'on rencontre dans l'hystérie. De même que dans celle-ci on observe des hallucinations qui n'offrent qu'une seule particularité, c'est qu'elles sont le plus souvent limitées au sens de la vue et qu'elles se produisent surtout au crépuscule. Comme les hystériques, les choréiques ont un sommeil difficile et tourmenté par des cauchemars; ils sont très-impressionnables, faciles à émouvoir; ils ont des vertiges, des suffocations et d'autres symptômes hystériformes; ils sont tantôt d'une gaieté folle, tantôt d'une tristesse non motivée; ils sont extravagants, bizarres dans leurs allures; leur idéation est très-mobile;

leurs facultés mémoire et attention sont considérablement diminuées. Ils peuvent enfin aussi présenter un véritable délire de maniaque. Il n'y a qu'un fait qui ne se retrouve pas dans l'hystérie, c'est l'aspect de la physionomie; ils ont un air niais caractéristique.

Dans une maladie aussi complétement générale que l'hystérie, il ne faut pas s'étonner non plus de voir survenir des troubles dans l'innervation nutritive, d'autant plus que son étiologie et sa symptomatologie se rapportent principalement aux phénomènes de l'ordre émotionnel, et que les modifications nutritives sont surtout liées sympathiquement aux émotions. Par l'intermédiaire des vaso-moteurs, les centres nerveux en état d'hystéricisme provoquent ces alternatives de pâleur et de rougeur, si fréquentes chez les hystériques, et ces congestions viscérales non moins fréquentes et non moins mobiles. Ce sont des convulsions et des paralysies vasculaires qui ont le même mécanisme réflexe que celles qu'on observe dans les muscles de la vie animale. Par l'intermédiaire des nerfs sécréteurs, ils déterminent, toujours à titre de réponse réflexe à l'impression provocatrice, de la salivation, de la polyurie ou de l'ischurie. En paralysant la tunique musculeuse de l'intestin, ils produisent la constipation et ces tympanites aussi brusques que considérables. En ne faisant pas contracter les fibres musculaires des ligaments larges, ou en les faisant contracter irrégulièrement, ils rendent nulle ou incomplète la menstruation. Lebreton a attribué l'aménorrhée à l'anesthésie vulvaire et utérine. L'ovule, dont le passage ne serait plus senti par la muqueuse, n'exciterait plus l'écoulement du sang. Cela me paraît une erreur. Ce qui manque ici, c'est le spasme nerveux et régulier, qui, en faisant comprimer les veines par les muscles des annexes, assure à la fois l'adaptation de la trompe, la rupture de la vésicule de Graff et la pluie sanguine de la muqueuse utérine. L'ovule ne sort pas, et c'est pour cela qu'il y a en même temps stérilité. Généralement le spasme est plutôt irrégulier que nul. De là les irrégularités et les interruptions dans l'écoulement, le défaut d'adaptation et les hémorrhagies rétro-utérines, les mouvements antipéristaltiques de la trompe et les grossesses extra-utérines.

Extase.

On désigne ainsi un état du système nerveux dans lequel le malade, absorbé entièrement par une idée dominante de nature con

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