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pathique et peut déjà retentir sur ses ganglions. C'est ainsi que peuvent agir aussi les excès de table, la cuisine excitante. La paralysie générale est, en effet, très-fréquente chez ceux qui, par leur position officielle, sont obligés d'accepter de nombreuses invitations. La même explication pourrait s'appliquer à l'influence incontestable des excitations désordonnées des vésicules séminales, des ovaires et de l'utérus.

Avant de quitter le domaine des maladies mentales, permettez-moi de vous mentionner encore une affection, appelée pellagre, qui est de nature à faire ressortir les liens qui rattachent le centre intellectuel aux phénomènes de nutrition. On y voit marcher de front, avec la plus grande solidarité, la formation d'un érythème d'apparence érysipélateuse ou scarlatineuse, de la diarrhée et des vomissements, de la faiblesse musculaire et de l'incertitude de la marche, analogues à celles que l'on remarque dans la paralysie générale; enfin des troubles psychiques, de nature dépressive, constituant une véritable lypémanie. A chaque printemps, ces trois ordres d'accidents, cutanés, digestifs et intellectuels, s'aggravent simultanément.

Aphémie ou aphasie.

Sommaire descriptif. · Cette maladie est essentiellement caractérisée par l'impossibilité où se trouve le malade d'exprimer sa pensee. Lorsqu'elle se présente dans toute sa pureté, le sujet n'a pas seulement perdu l'usage de la parole, mais aussi celui de l'écriture et de la lecture. De plus, cette impossibilité est générale et porte sur tous les mots possibles. Le malade est entièrement privé de la fonction expression. Mais, dans la pratique, cet état complet se rencontre rarement, et on se trouve en présence d'une infinité de variétés. Chaque malade a, pour ainsi dire, sa forme particulière. Toutefois on peut arriver, avec Falret, à les classer dans un des principaux groupes suivants : 1° les uns, tout en conservant l'intégrité de leur intelligence et des organes de la parole, ne peuvent pas se rappeler ni articuler spontanément certains mots; mais ils sont encore capables de les prononcer quand on les leur dicte. Parmi les malades de cette catégorie, il en est auxquels un seul mot fait défaut; d'autres, au contraire, sont incapables d'en exprimer un seul. Une dame, soignée par Crichton, était dans ce dernier cas, et cependant elle avait con

servé une bonne mémoire des choses; elle ne pouvait pas les nommer, voilà tout. Un jeune homme, observé par Gall, ne pouvait désigner nominativement aucun objet, et quand on en nommait devant lui, il les décrivait parfaitement. Bergmann a vu un jeune homme qui, devenu aphémique à la suite d'une chute par la fenêtre, ne pouvait dire spontanément aucun substantif et trouvait cependant tous les verbes. De là des phrases impossibles ou plutôt des périphrases. Quand il voulait parler de ciseaux, il disait : Ce avec quoi on coupe; d'une fenêtre Ce par où il fait clair. Une dame était réduite à mettre tous les verbes à l'infinitif. Parmi les malades de cette catégorie, il en est qui mettent irréstiblement toujours le même mot à la place de ceux qu'ils voudraient dire et qu'ils ont dans la pensée. Un homme demandait toujours ses bottes à la place de pain; et cependant, quand on lui prononçait le mot pain, il le répétait tout de suite après. Un autre, à la place de tous les mots qu'il avait l'intention de dire, prononçait toujours madame ou mon Dieu. Un autre répondait à tout: Sivona; un troisième : Juste Dieu! Un ambassadeur français, à Saint-Pétersbourg, n'avait perdu que la faculté de dire son nom. Dans les visites de l'an, il fut obligé de donner sa carte à lire à tous les huissiers. 2o Dans une deuxième catégorie, les individus peuvent encore prononcer spontanément certains mots, mais ceux qu'ils sont dans l'impossibilité de dire d'eux-mêmes, ils ne peuvent plus, comme les précédents, les répéter quand on les prononce devant eux; mais ils conservent la faculté d'écrire ou de lire. Lallemand a vu un homme qui écrivait parfaitement, dans des termes toujours appropriés et souvent élevés, toutes ses pensées, mais qui ne pouvait prononcer que quelques syllabes, même quand on lui épelait les mots. Martinet en a vu un autre qui répondait par écrit à toutes les questions, sans hésitation, et qui ne pouvait produire que des sons vocaux tout à fait inintelligibles. Sous les yeux de Trousseau, un mathématicien faisait les calculs les plus compliqués, et il ne pouvait même pas prononcer les chiffres. Un artilleur lisait très-bien, et si on lui retirait rapidement le livre, il ne pouvait pas même immédiatement répéter sans le livre le dernier mot qu'il venait de lire. On pourrait multiplier ces exemples, mais les précédents suffisent pour vous faire saisir la nuance de cette catégorie. 3o Dans une troisième catégorie, les malades ont nonseulement perdu l'aptitude de prononcer spontanément, soit tous les mots, soit un certain nombre de mots, non-seulement l'aptitude de les répéter quand on les leur épelle, mais même de les lire et de les écrire :

c'est le type complet. Dans cette forme, on trouve aussi des individus qui, irrésistiblement, quand ils veulent parler ou lire, ou écrire, disent toujours le même mot ou une même syllabe. L'un disait et lisait toujours ba ba; un autre, eo; un autre, sinner; un autre, par le commandement; un autre, cheval. Notez que ce dernier était devenu aphémique en recevant un coup de pied de cheval. L'ébranlement à la fois physique et moral subi au moment de l'accident avait sans doute hyperesthésié un point du centre intellectuel au détriment des autres. Il avait créé le mot fixe en même temps que l'idée fixe. L'aphémie, quelle que soit sa forme, peut exister seule, à l'exclusion de toute autre espèce de symptôme, ou bien elle est accompagnée de divers symptômes psychiques ou paralytiques. Dans un grand nombre de cas, ce mélange n'existe qu'au début. On assiste alors à une première période un peu confuse, où le trouble du langage est difficile à démêler et à suivre. Mais, au bout d'un certain temps, les troubles intellectuels disparaissent, les phénomènes paralytiques s'effacent de plus en plus et l'aphémie se manifeste dans toute sa netteté. Dans d'autres cas, l'aphémie semble n'être que le reste d'une affection cérébrale plus générale. Parfois, c'est à la suite d'une attaque épileptiforme qu'elle se montre, ou bien consécutivement à une apoplexie se traduisant par une hémiplégie siégeant presque toujours du côté droit. Mais on peut, sous ce rapport, rencontrer toutes les nuances. La paralysie peut être très-incomplète et disparaître au bout de quelques jours et même de quelques heures. A ce moment, le malade s'habille lui-même, va et vient, se conduit comme la plupart des hommes; mais, en fait de langage, il ne peut faire que des signes négatifs ou affirmatifs, soit avec la main, soit avec la tête.

Analyse physiologique. En voyant les troubles de la parole susceptibles de s'isoler d'une manière aussi nette de toutes les autres manifestations morbides de l'intelligence, de la motilité et de la sensibilité, on s'est trouvé naturellement porté à supposer l'existence, dans l'encéphale, d'une portion exclusivement affectée à l'exercice de la parole, d'une portion qui pouvait être regardée comme l'organe nerveux central spécial du langage tant écrit que parlé. Le fait était trop favorable au système de la phrénologie pour n'être pas exploité par ses partisans. Aussi est-ce Gall qui, le premier, a attiré l'attention des médecins sur l'aphémie. En cela, il a tout au moins rendu un certain service à la médecine pratique, qui, n'étant pas stimulée par une idée préconçue, passe souvent à côté de faits vrais sans s'en

apercevoir. La réprobation générale que rencontra bientôt la phrénologie fit enterrer avec elle l'idée de la localisation de l'organe de la parole. Mais l'observation clinique vint plus tard raviver l'idée en dehors même de toute tendance phrénologique. En 1825, Bouillaud, se basant sur ses autopsies, déclara que l'aphémie était toujours liée à une lésion matérielle, tumeur, apoplexie ou ramollissement du lobe antérieur de l'un des deux hémisphères, ou des deux à la fois. En 1836, Dax, d'après ses propres observations, crut devoir attribuer l'aphémie aussi bien au lobe postérieur qu'au lobe antérieur; mais, faisant rompre l'organe nerveux de la parole avec la loi de symétrie, il assura que l'hémisphère gauche était seul capable de supprimer le langage et, par conséquent aussi, de l'engendrer. En 1861, Broca proposa, toujours d'après les résultats nécroscopiques, une localisation plus précise : il plaça le siége de l'élocution et, par suite, le foyer morbide de l'aphémie, exclusivement dans la troisième circonvolution frontale gauche. Il fit toutefois une réserve plus tard, et reconnut que la même circonvolution du côté droit pouvait donner lieu à cette maladie, mais à titre d'exception excessivement rare seulement. Il établit en outre que l'aphémie tient presque toujours à un ramollissement provoqué par une embolie de l'artère sylvienne. En 1866, M. de Font-Reaulx, cherchant à expliquer quelques faits qui paraissaient en contradiction avec la détermination précédente, a restreint encore le siége de l'organe nerveux de la parole à la moitié postérieure de la troisième circonvolution frontale, tout en admettant la possibilité de l'intervention d'une partie plus reculée de la circonvolution d'enceinte de la scissure de Sylvius et du lobule de l'insula. Cette dernière interprétation est restée peu connue; celle de Broca a reçu seule une véritable consécration classique, non pas sans avoir eu toutefois à subir des attaques sérieuses.

On a fait observer que tous les organes sont doubles ou formés de deux parties mathématiquement symétriques, et qu'il serait assez singulier, en présence de cette loi générale, que le lobe gauche ait seul le droit de formuler la pensée. Pour répondre à cette objection, Broca a réuni un certain nombre d'arguments: 1° d'après l'examen de 40 cerveaux, il a déclaré que le lobe frontal gauche se distinguait du lobe frontal droit par un plus grand nombre de circonvolutions et par un poids plus considérable. Ce premier argument n'a peut-être pas la valeur que lui prête Broca; car je trouve que, dans un autre ordre de recherches, Boyd a constaté sur 800 cerveaux que l'hémi

sphère gauche dépasse en poids l'hémisphère droit d'un huitième. N'est-il pas plus naturel d'attribuer cette différence à ce que l'hémisphère gauche est affecté au côté droit du corps, qui est plus développé et travaille plus que le côté gauche ? 2o D'après Gratiollet, dit Broca, les circonvolutions frontales de l'hémisphère gauche se montrent plus tôt chez le fœtus que celles de l'hémisphère droit. Les premières sont nettement figurées que les secondes sont encore à peine visibles. C'est probablement cet état plus avancé de l'hémisphère gauche qui nous rend droitiers. L'enfant se sert de la main droite parce qu'il sent qu'elle est plus habile, et elle est plus habile parce qu'elle est dirigée par un système nerveux plus perfectionné. Pour les mêmes raisons, l'enfant, quand il apprend à parler, se sert de l'hémisphère gauche, et il continue à parler avec cet hémisphère comme il continue à se servir de la main droite. Il est devenu, suivant l'expression de Broca, gaucher du cerveau. D'après cette manière de voir, l'organe de la parole existerait bien aussi dans l'hémisphère droit, mais il y resterait relativement comme rudimentaire; il serait même, au point de vue physiologique, comme non avenu. Il serait à celui du côté gauche comme le sein de l'homme est à celui de la femme; mais, au besoin, il pourrait se développer et fonctionner en l'absence de l'organe gauche. C'est ainsi que Broca explique le fait de Moreau Un homme qui, à l'autopsie, présenta une absence congéniale de la troisième circonvolution gauche, avait joui de la parole jusqu'au moment de sa mort. Ce fait prouverait seulement qu'en cas d'absence de l'organe gauche, l'enfant apprend à parler avec l'organe droit, de même qu'il apprendrait à se servir de la main gauche s'il n'avait pas de main droite. Antérieurement à Broca, du reste, Moxon avait prétendu que l'éducation est en toutes choses unilatérale; que toujours le cerveau manque de symétrie chez les animaux les plus intelligents, et que c'est chez l'homme qu'il atteint son plus haut degré d'asymétrie. 3o Au premier abord, le cerveau du gorille, de l'orang-outang et du chimpanzé paraît, à part le volume, avoir la même conformation que celui de l'homme; mais, quand on regarde de plus près, on constate que la troisième circonvolution des singes anthropoïdes diffère essentiellement de la nôtre. Chez nous elle acquiert un développement considérable, au point qu'elle vient recouvrir en grande partie le lobule de l'insula; en revanche, les circonvolutions centrales transverses sont assez réduites. Chez les singes, au contraire, celles-ci pren

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