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but, les cellules commencent déjà à éprouver la dégénérescence graisseuse. Les prétentions folles sont l'œuvre de la congestion, l'impuissance et la démence sont celles de la dégénérescence. Concurremment avec ces désordres intellectuels, on remarque (et c'est ce qui fait le cachet de la maladie pour les cliniciens) des troubles du côté de la motilité et de la sensibilité. Il y a un tremblement et une contraction irrégulière des muscles de la langue, des lèvres, de la face et de la mâchoire inférieure, d'où une grande difficulté dans l'articulation des sons. Dès le début, il y a aussi une inégalité des pupilles, symptôme dont je me servirai pour appuyer ma manière de comprendre un des modes de genèse de la maladie. Les muscles des membres sont moins rapidement altérés dans leur fonctionnement. Cependant, on remarque de bonne heure que les malades marchent avec une certaine difficulté. Ils sont aussi comme entraînés par leur propre poids. Ils trébuchent, ils sont maladroits de leurs mains et ne peuvent plus ni écrire ni dessiner. Il en est chez lesquels ces symptômes musculaires du début sont plus marqués et semblent exister seuls. Il faut une observation bien attentive pour constater çà et là quelques traces de délire. Quelques-uns ont, en outre, une anesthésie générale. Dans une seconde période, les symptômes paralytiques se prononcent de plus en plus, tandis que l'excitation intellectuelle diminue pour faire place peu à peu à la démence. Ils ont bien une légère surexcitation, qui éclate même par moment en paroxysmes. La congestion continue, mais elle ne vient plus que stimuler plus ou moins un terrain qui a perdu la plus grande partie de ses moyens d'action. En revanche, ils ne marchent plus qu'avec beaucoup de difficulté. Ils ne peuvent plus porter leurs aliments à leur bouche. L'appétit est toutefois vorace, et ils mangent gloutonnement. Bientôt il y a incontinence d'urine et de matières fécales. La parole devient tout à fait inintelligible. Ils ne peuvent plus se tenir debout; mais la force musculaire n'est jamais complétement éteinte. La démence s'accentue de plus en plus, et ils meurent, soit au milieu du coma, soit par épuisement résultant des escarres, soit sous l'influence d'une maladie intercurrente, soit enfin par l'introduction d'un bol alimentaire dans le larynx.

Si on tient compte de toutes les assertions émises par les auteurs, les altérations qu'on peut rencontrer à l'autopsie sont les suivantes : 1o une congestion très-intense du cuir chevelu, qui s'accompagne même très-souvent de bosses sanguines; 2° une grande vascularisa

tion avec opacité de la pie-mère; 3° l'adhérence intime de cette membrane avec la couche corticale; 4° la diminution de la consistance cérébrale; 5° son changement de coloration. Dans les premiers temps, la substance grise a une teinte rosée ou même lie de vin, qui est due au développement du réseau vasculaire. Plus tard, la teinte rouge est remplacée par une coloration jaunâtre qui tient à la dégénérescence graisseuse; 6o la transformation en granulations graisscuses des granulations normales des cellules, absolument comme dans la démence; 7° un certain épaississement des parois des vaisseaux, une prolifération de leur tissu conjonctif, une sclérose vasculaire. Telles sont les altérations indiquées classiquement, et que les uns veulent limiter au cerveau, les autres étendre à tout l'encéphale et même à la moelle. Au moment où M. le docteur Bonnet était à la tête d'un des services de Maréville, j'ai eu l'occasion de faire avec lui des recherches nombreuses sur ce sujet. Nous avons pu constater l'état congestionnel du début et l'état graisseux des cellules, qui était d'autant plus marqué et général que l'affection était plus ancienne. Mais nous n'avons jamais rencontré la sclérose des vaisseaux. Ce qui nous a frappés, c'est la présence, dans leurs parois et dans les manchons lymphatiques, d'amas de pigment et de cristaux d'hématoïdine. Il y a en outre, dans ces gaînes, de nombreux globules de graisse, résultant sans doute du travail de résorption qui s'opère. Mais nous avons trouvé du côté du grand sympathique des altérations non signalées antérieurement et qui nous ont toujours paru plus avancées que celles de l'encéphale lui-même. Tous les anneaux de la chaîne ganglionnaire, sans exception, présentent à un faible grossissement une multitude de petites taches de rouille d'un brun foncé. A un plus fort grossissement, on reconnaît que ces taches sont dues à la pigmentation anormale des cellules. Elle est toujours beaucoup plus prononcée dans la région cervicale que dans toutes les autres.

Analyse physiologique. — Bayle a attribué cet ensemble de symptômes à une méningite chronique. Anatomiquement, ce n'était voir que la surface des choses; physiologiquement, c'était ne pas voir que les méninges ne peuvent produire des troubles psychiques qu'à la condition de mettre en jeu le cerveau lui-même. Parchappe en a fait l'expression du ramollissement de la couche corticale. C'était plus rationnel, mais insuffisant. Calmeil, comprenant qu'en raison de leurs relations vasculaires la substance corticale est inséparable de la pie-mère, sa membrane nourricière, a marié les deux opinions précédentes et a appelé

l'affection meningo-encephalite chronique superficielle et diffuse. Cette manière de voir avait en outre le mérite d'étendre à tout l'encéphale l'altération anatomique et de permettre au physiologiste d'expliquer les symptômes nombreux et variés de la maladie. Tout en maintenant le siége indiqué par ce dernier, d'autres auteurs ont cherché à spécialiser l'affection par une lésion anatomique particulière et distincte d'une inflammation ordinaire. C'est ainsi que Rokitansky a indiqué l'hypertrophie de la substance interstitielle des tissus cérébraux, comme s'il pouvait y avoir une inflammation quelconque sans que la névroglie n'y joue le plus grand rôle et ne devienne turgescente; que Weyld a joint l'hypertrophie des appendices des petites artères et veines de l'encéphale; que Salomon a vu une caractéristique dans une espèce de sclérose des vaisseaux conduisant à leur obstruction plus ou moins complète; que Lockhart Clarcke signale avant tout une accumulation de pigment dans les cellules. Enfin Magnan, généralisant une idée émise d'une manière partielle par le précédent auteur, met la moelle en scène en même temps que l'encéphale. Il pense même que le processus suit le plus souvent une marche ascendante et n'envahit le cerveau qu'après avoir exercé ses premiers ravages sur le terrain médullaire. Frappé de la constance et de la physionomie particulière des troubles de la motilité dans la paralysie générale, et donnant la priorité à ce genre de symptômes qu'on avait un peu trop perdus de vue avant lui, Luys a transporté la cause principale de cette maladie dans le cervelet. Il fait même dériver presque tous les autres symptômes du trouble initial des fonctions des appareils cérébelleux. Il fait observer avec raison que, du côté du mouvement, tout se passe absolument comme dans le cas de tumeur ou de ramollissement du cervelet; qu'il y a, non une paralysie dans l'acception du mot, mais un affaiblissement progressif de la force musculaire; que, dans les deux cas, les malades ont une marche difficile et vacillante, qu'ils font souvent des faux pas et des chutes, qu'enfin ils finissent par rester tout à fait au lit; que, dans les deux cas, l'articulation est gênée et s'accompagne d'un tremblement particulier des muscles qui entourent la bouche; qu'on observe de part et d'autre du strabisme et une inégale dilatation des pupilles. Étendant son système jusqu'à la sphère psychique, il attribue les troubles intellectuels à l'ébranlement plus ou moins considérable que l'influx cérébelleux transmet aux cellules corticales par l'intermédiaire du corps strié. Au début, le cervelet est surexcité, et il

y a surabondance de cet influx. Ayant le sentiment inconscient de leur plus grande richesse en force motrice, les malades « se sentent « en effet plus forts, plus puissants, plus infatigables que jamais, et «< exaltent, avec une jactance caractéristique, leur force, l'intégrité « de leur santé. » De là les idées ambitieuses rudimentaires, d'origine cérébelleuse, qui vont éveiller indirectement d'autres idées dans la couche corticale. En s'éloignant de plus en plus de son point de départ, le travail intellectuel se dépouille constamment de ses caractères primordiaux. Ces idées consécutives « s'associent les unes « avec les autres, se systématisent de plus en plus et, par une sorte « de prolifération incessante, engendrent une multitude de concep«<tions nouvelles et subordonnées qui, empruntant aux habitudes de « l'esprit, aux tendances du caractère et aux influences du milieu so«cial, leur cachet propre, se déroulent successivement sous les mille « apparences du délire des grandeurs..... Lorsque la tension de l'in« nervation cérébelleuse vient à s'atténuer, il en résulte une sorte « d'asthénie générale dans l'ensemble des manifestations psychiques. «De là cette nature spéciale de certains délires qui se révèlent « au début par une sensation d'épuisement, une faiblesse extrême << et des tendances mélancoliques plus ou moins accusées. De là ces « idées erronées qui se métamorphosent en conceptions hypochon« driaques et qui sont graduellement systématisées. >>

A mes yeux, ce qui caractérise la paralysie générale des aliénés, c'est la généralisation du processus pathologique, c'est son extension à la plupart des départements du système nerveux. C'est cette irradiation dans toutes les directions qui en fait le cachet. Je ne nie pas que le feu puisse prendre immédiatement, tantôt dans le cerveau, tantôt dans la moelle, tantôt dans le cervelet, et rendre ainsi prédominants soit les symptômes psychiques, soit les symptômes paraplégiques, soit les troubles locomoteurs. Peu importe le point de départ : la seule condition indispensable à la physionomie particulière de l'affection, c'est l'extension consécutive à tout le système nerveux. Cette réserve, motivée par des réflexions ultérieures, étant faite, je maintiens l'opinion que nous avons émise, M. Bonnet et moi; et je crois que très-souvent les phénomènes morbides s'enchaînent de la manière suivante Le sympathique est atteint le premier, ce que semble indiquer l'état plus avancé de ses lésions. Comme la région cervicale, où l'altération paraît portée à son maximum, préside à l'innervation vaso-motrice de toute la tête, il en résulte d'abord,

pendant la période irritative, une contraction spasmodique des vaisseaux de cette extrémité, c'est-à-dire une congestion active; puis, plus tard, lorsque le fonctionnement des ganglions cervicaux se trouve enrayé ou supprimé, une paralysie de ces mêmes vaisseaux et, par suite, une congestion passive. Sous l'influence de ces conditions de vascularisation, l'encéphale s'altère à son tour. Dans les premiers moments, les cellules corticales se trouvent être surexcitées. De là le délire ambitieux. Il en est de même des cellules du cervelet et de la protubérance; de là l'exaltation des forces musculaires. Plus tard, les cellules, s'étant trouvées surmenées, éprouvent la dégénérescence graisseuse, et la démence remplace le délire, la paralysie l'exubérance des forces musculaires. Le paralysé général serait une expérience naturelle correspondant à celle que Cl. Bernard créait artificiellement par la section du sympathique cervical, avec cette différence, toutefois, qu'au lieu d'une simple paralysie, il y aurait un état d'irritation des ganglions prédisposant aux processus inflammatoires. Il existe en effet une analogie des plus frappantes entre ce qui se passe chez les animaux en expérience et chez les paralysés généraux. Ceux-ci ont le visage congestionné. La température de leur tête est plus élevée. Leurs yeux sont injectés et larmoyants. Ils sont même plus saillants; ils ont surtout la même expression que chez les opérés. Ils offrent aussi les mêmes modifications pupillaires. Comme chez les animaux, on trouve à l'autopsie le cuir chevelu et les méninges gorgés de sang. Ils ont des bosses sanguines dans l'épaisseur du pavillon de l'oreille. L'envahissement des autres régions du sympathique explique d'autre part quelques-uns des troubles nutritifs que présentent les paralysés; l'hypersécrétion de tous les sucs digestifs et, par suite, la rapidité de la digestion et l'abondance des selles ; l'épaississement de la muqueuse intestinale, les congestions passives du poumon, les irrégularités des battements du cœur, les troubles de la sécrétion urinaire. Comment, maintenant, le sympathique devient-il malade le premier? C'est ce que je ne peux dire. Il est à remarquer toutefois qu'une des causes les plus fréquentes de la paralysie générale est l'alcoolisme. Or, l'alcool se répand partout avec la masse sanguine, aussi bien sur le sympathique que dans l'encéphale. Il y a même pour lui une influence anticipée. C'est lui qui anime les viscères qui reçoivent directement l'alcool du dehors, qui l'absorbent après l'avoir conservé un certain temps comme contenu. Cet alcool titille les expansions nerveuses du sym

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