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correspondent à des lésions matérielles équivalentes. Ces lésions se trahissent même à l'extérieur, parce que les os du crâne y prennent part. Les proportions de la tête ne sont jamais normales. Toujours elle est, ou trop petite, ou trop grosse. Parfois les sinus frontaux prennent un développement exorbitant, comme chez certains animaux, et communiquent à l'ensemble l'aspect d'un type intelligent. Les os sont très-épais. Les sutures se soudent beaucoup plus vite qu'à l'état normal et s'opposent ainsi au développement ultérieur de l'encéphale. En général, le front est bas, étroit et fuyant. Le crâne est déprimé en certains points, très-saillant en d'autres, ce qui correspond à un défaut d'équilibre des diverses parties encéphaliques. Ordinairement, c'est le diamètre vertical qui présente le raccourcissement le plus considérable, et la courbure frontale qui s'efface le plus. Il y a souvent un défaut de symétrie. Tantôt c'est un pariétal, tantôt un des côtés du frontal qui forme voussure. Virchow attribue toutes ces difformités à l'ossification prématurée des sutures et à l'interposition d'os wormiens. Griesinger dit que les unes tiennent à une pénurie de dépôt calcaire, par suite d'un vice constitutionnel; les autres à un état maladif et inflammatoire des bords des sutures. Il fait observer, ce qui est juste, du reste, qu'une réunion prématurée dans un point peut arrêter le développement des autres parties du crâne; tandis que d'autres fois il se fait au contraire ailleurs un développement compensateur. On comprend, en effet, que là où le sang peut trouver de la place pour fixer de nouvelles molécules, là où le tissu encéphalique naissant rencontre moins de résistance, l'organe s'agrandit, de même que certaines branches d'un arbre prennent plus de développement lorsque d'autres sont gênées par un obstacle quelconque. Celles qui trouvent de l'espace libre devant elles profitent de la sève que les autres ne peuvent pas utiliser. C'est ainsi que certaines régions de l'encéphale et certaines fonctions cérébrales peuvent présenter une exubérance morbide que l'atrophie et l'inertie des parties voisines rendent plus apparente. Karl Stahl n'accorde pas un rôle aussi important aux sutures, et il regarde les déformations du crâne comme n'étant que des conséquences des anomalies de développement de l'encéphale. L'ossification prématurée des sutures ne ferait que maintenir et rendre invariable une déformation communiquée antérieurement par le cerveau. Parmi les faits cités par cet auteur, il en est qui ont une portée physiologique toute particulière, parce qu'ils plaident contre l'idée générale de

Gall, que professent encore plusieurs médecins, et qui consiste à localiser l'intelligence proprement dite dans la partie antérieure du cerveau. Ces faits démontrent que les déformations du crâne ne retentissent sur les fonctions psychiques qu'autant qu'il ne s'établit pas une compensation de développement dans un autre point. Lorsque la partie postérieure présente un développement capable de compenser l'atrophie de la région antérieure, les facultés n'en souffrent en rien. C'est bien là la preuve que la couche corticale est un réceptacle de notions, et que, pourvu que les notions trouvent à se placer, peu importe le point qu'elles peuvent occuper. Elles trouvent toujours, aussi, partout des fibres commissurantes capables de les associer et de réaliser les opérations de raisonnement.

Relativement aux lésions congéniales propres à l'idiotie, il y a donc deux opinions: l'une qui attribue les déformations du cerveau à celle du crâne; l'autre qui fait, au contraire, engendrer les modifications de la boîte crânienne par les arrêts de développement de l'encéphale. Moi, je crois que, la plupart du temps, l'aberration de formation marche de front dans le contenant et dans le contenu. Quoi qu'il en soit, voici quelles sont les défectuosités présentées par l'encéphale lui-même : le poids du cerveau est notablement au-dessous de la moyenne. Parfois cet organe n'est pas déformé; il est seulement très-petit, mais très-régulier : c'est une miniature d'un cerveau ordinaire. Mais, le plus souvent, il est irrégulier et même incomplet. Des parties entières peuvent manquer. En toutes circonstances, les circonvolutions sont peu développées, les anfractuosités peu profondes. Presque toujours il y a atrophie des corps striés et surtout des couches optiques. La consistance de la substance blanche est augmentée; la grise est en moindre quantité. D'autres fois cette dernière se rencontre, sous forme d'îlots, dans des points où il n'en existe pas d'habitude. Les vaisseaux sont inégalement répartis et offrent un calibre diminué. Très-souvent on rencontre une sclérose presque générale ou bien les traces incontestables d'une méningoencéphalite. Avec un état anatomique aussi accentué et aussi général, il nous sera facile d'expliquer les diverses situations fonctionnelles des idiots. Tout à fait au bas de l'échelle de cette catégorie, on trouve des êtres qui, non-seulement sont incapables d'acquérir la moindre notion; qui, non-seulement n'ont ni intelligence ni sens moral, mais qui n'ont même pas les instincts de la bête. Ce sont des masses inertes; ils ne peuvent même pas manger seuls. Il faut leur

porter les aliments jusque dans l'arrière-gorge pour provoquer la déglutition. Ils sont absolument dans la même situation que les animaux auxquels on a enlevé les lobes cérébraux. L'intégrité fonctionnelle ne commence qu'au bulbe. Tout ce qui est en avant est comme non avenu, parce qu'il est représenté par une masse informe et impropre même à un fonctionnement rudimentaire. Si on s'élève dans la série de ces êtres disgraciés par la nature, on se trouve en présence de toutes les combinaisons possibles de fonctions qui se dessinent plus ou moins bien à côté d'autres qui restent tout à fait plongés dans le néant, suivant que l'atrophie ou l'absence congéniales portent sur telle ou telle partie de l'encéphale. Ne pouvant passer en revue successivement toutes ces combinaisons, prenons une moyenne pour la soumettre à l'analyse physiologique.

Les sens sont à peine ébauchés ou manquent tout à fait. Beaucoup sont sourds et aveugles. Le toucher est des plus obtus. Le goût et l'odorat doivent être très-faibles, car les idiots ingèrent les choses les plus nauséabondes. L'état d'atrophie à peu près constant de la couche optique nous explique parfaitement toutes ces paralysies sensorielles. Celles-ci contribuent, à leur tour, à empêcher le développement de l'intelligence. La formation des idées ne peut pas se faire ou se fait mal, parce que les sens n'apportent que des données insuffisantes sur le monde extérieur. Du reste, l'atrophie et l'imperfection du centre enregistreur le rendraient incapable d'enregistrer même des impressions vigoureuses. C'est ainsi que le bagage d'idées contingentes se trouve être à peu près nul. Les facultés jugement et raisonnement sont tout aussi impossibles, d'abord parce que leur base fondamentale, la formation des idées, fait défaut; et parce que les fibres commissurantes sont elles-mêmes compromises. Les idiots n'ont point de langage; ils sont muets et ne poussent que des sons gutturaux et indéterminés. N'ayant point d'idées, ils n'ont rien à exprimer. Il en est, toutefois, qui peuvent articuler un certain nombre de phrases. C'est surtout chez les idiots qu'on voit nettement la preuve que l'orgaǝu de l'instinct n'est pas le même que celui de l'intelligence; car, la plupart du temps, ce genre de manifestations psychiques persiste, mais il est perverti. Ils sont voleurs, gloutons, paresseux, irascibles. Dans leur colère, ils déchirent tout, se déchirent eux-mêmes. C'est cet isolement des instincts et de l'intelligence qui a autorisé Bourillon à placer les instincts dans le cervelet, qui semble subir moins le travail d'atrophie que les lobes cérébraux. Mais les vivisec

tions n'autorisent pas cette localisation, puisque les animaux perdent les instincts avec les lobes cérébraux. Les centres locomoteurs sont, du reste, si mal organisés, qu'ils servent mal même les instincts restés normaux. Ils tettent mal et apprennent difficilement à mâcher et à avaler. Parfois certains actes machinaux semblent présenter un perfectionnement extraordinaire. Je ne peux m'empêcher de vous citer un fait qui s'est passé à Maréville, et qui indique bien que la délicatesse et l'aptitude à l'association de certaines touches de l'instrument cérébral peuvent se transmettre par voie d'hérédité. Un idiot, complétement dépourvu d'intelligence, ayant aperçu un tambour, se précipita vers cet instrument, fit, pendant quelques instants, des efforts inutiles pour réaliser une marche orthodoxe; puis, tout à coup, comme par enchantement, se mit à exécuter toutes les batteries possibles avec un art irréprochable. Or, son père et son grandpère avaient été tambours de régiment. Presque toujours la motilité est naturellement restreinte comme l'intelligence. Ils restent immobiles ou ne se déplacent que pour se rendre à la place où ils ont l'habitude de fixer leur inertie. Quelquefois ils se livrent à un balancement monotone, à l'instar des animaux du désert. Ils n'ont pas le sentiment de la locomotion ni de l'équilibre. Ils marchent en glissant les pieds sur le sol. Ils ne donnent pas à leur tronc la direction nécessaire pour rendre les diverses stations solides; aussi tombent-ils souvent. Leurs allures sont disgracieuses, et ils saisissent mal les objets. Lorsque les centres locomoteurs sont intacts ou peu altérés, l'inertie musculaire est d'origine purement intellectuelle. La force motrice est là, mais elle n'est pas employée, faute d'incitation volontaire; et quand elle est utilisée, elle l'est d'une manière défectueuse, à cause de l'imperfection de la machine locomotrice elle-même. Lorsque cette machine est tout à fait compromise, l'impuissance musculaire est réelle, et il y a des paralysies. Quand elle présente un développement trop considérable, soit absolu, soit relatif, elle donne lieu à des phénomènes de surexcitation, d'autant plus qu'elle n'est pas contre-balancée par le cerveau, son modérateur indispensable. Les phénomènes consistent en un tic spasmodique de la face, en spasmes divers, et même en convulsions générales. Cela se remarque surtout lorsque des causes comprimantes, comme le forceps, les coutumes des peuplades, les serre-tête de la Normandie, ont gêné le développement de la partie antérieure du crâne, en laissant, au contraire, les régions inférieures et postérieures s'épanouir.

Chez les idiots, l'encéphale n'est pas seul victime d'un arrêt de développement. La cause première est plus générale. C'est un vice héréditaire transmis par l'ovule ou le sperme. C'est peut-être, parfois, une chute, un coup subi par la mère pendant la grossesse, qui a décollé le placenta et diminué les moyens de nutrition. Parfois même, c'est une apoplexie survenue chez l'enfant pendant la vie intra-utérine, qui, produite au moment de la formation de l'encéphale, ne se contente pas, comme chez l'adulte, d'entraver le fonctionnement, mais qui gêne l'édification encore incomplète de l'organe. Dans les deux premiers cas, comme la cause est générale, il en résulte que la construction se trouve aussi être mauvaise, et imparfaite pour d'autres organes. Quant au troisième, il semble attester l'influence que le système nerveux exerce sur la nutrition. Ce qui se passe après la naissance abonde dans le même sens. La seconde dentition ne se fait pas. Les idiots restent petits et conservent toujours les caractères physiques de l'enfance. Ils sont rachitiques; le système musculaire est peu développé, et finit même par éprouver la dégénérescence graisseuse, par suite de l'inaction. La puberté ne s'établit pas.

Au-dessus des idiots existent des individus très-mal favorisés encore qu'on appelle des imbéciles. Ils sont bien conformés, se développent bien, acquièrent même une haute taille; leur système musculaire est vigoureux; la conformation de la tête laisse seule légèrement à désirer; et encore, il en est qui présentent l'harmonie la plus parfaite dans les traits et les formes de toute la tête. Ils parlent, ont des facultés intellectuelles et morales, mais elles sont inférieures à la moyenne normale. Ils apprennent encore à lire et à compter, mais ils sont incapables de s'élever à des idées abstraites. Ils ne peuvent rien produire. Ce qui leur manque surtout, c'est la faculté attention. Leurs cellules sont incapables d'un travail sérieux et profitable. Elles semblent ne pas pouvoir vibrer assez et suffisamment longtemps. Les vibrations de l'une sont aussitôt remplacées par celles d'une autre. Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'au milieu de cette insuffisance générale, ils ont des reparties spirituelles. Les allures superficielles et fugaces du travail des cellules font, comme par mégarde, saillir çà et là des étincelles imprévues. Il est probable que l'imbécillité, comparée à l'idiotic, est le résultat d'un vice héréditaire moindre ou déjà un peu effacé. Dans ces dispositions organiques, les imbéciles sont à la porte de la manie ou de la

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