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grin imaginaire. Les cellules intellectuelles sont devenues les esclaves de l'automatisme morbide des cellules affectives. C'est le sentiment fixe qui fait ici l'idée fixe. Ces mêmes cellules affectives, qui ébranlent leurs congénères intellectuelles et qui absorbent pour elles le travail qu'elles leur font exécuter, peuvent aussi aller retentir sur les cellules optiques, et y faire naître des hallucinations des sens qui, comme les idées, ne sont que le reflet du sentiment éprouvé. Le moindre bruit devient pour lui la parole ou un acte de l'être par lequel il se croit poursuivi. Au milieu de son apathie habituelle, le lypémaniaque a parfois des moments de fureur, des impulsions violentes. C'est la congestion de réaction qui se fait de temps en temps. En appliquant ici les idées de Luys, on pourrait dire que l'épine affective va aussi retentir de temps en temps sur le cervelet, comme, à d'autres moments, elle va exciter la couche optique ou la couche intellectuelle. Je suis tenté de regarder la lypémanie comme étant, à son point de départ, la folie des cellules affectives, la manie et la monomanie celle des cellules intellectuelles, l'hallucination celle des cellules optiques ou sensorielles, l'épilepsie celle des cellules motrices. L'étiologie vient elle-même à l'appui de cette idée, car la lypémanie est ordinairement engendrée par les chagrins domestiques, les revers de fortune, les inclinations contrariées. Les cellules affectives sont irritées, plongées dans un éréthisme morbide par ces stimulants spéciaux, comme les cellules intellectuelles le sont par un travail exagéré. Ces stimulants amènent non-seulement leur exaltation fonctionnelle, mais même leur altération nutritive qui matérialise et rend la maladie permanente. Il est aussi à remarquer que la lypémanie est beaucoup plus fréquente dans le sexe féminin. Or, chez la femme, les sentiments et, par suite, les cellules affectives sont prédominantes. Du reste, la couche affective subit aussi, elle-même, les conséquences des corrélations que le sympathique et le pneumo-gastrique établissent entre elle et les viscères. Si elle retentit sur ceux-ci lorsqu'elle est souffrante, elle peut à son tour le devenir lorsque les viscères se trouvent être primitivement malades. La lypémanie peut avoir deux origines, une origine sentimentale ou une origine viscérale.

Nous devons rapprocher de cette affection, comme en étant un degré moindre, une maladie très-répandue et rentrant, par conséquent, dans le domaine du praticien ordinaire, l'hypochondrie. C'est de la lypémanie portant exclusivement sur l'état de santé du sujet.

C'est la terreur des maladies. Dans les premiers temps, le sujet se sent vaguement malade. Il ne peut rien préciser. Mais il commence déjà à s'étudier constamment. Il regarde sans cesse sa langue dans la glace. Il examine ses urines, ses excréments dont il décrit, avec une minutie incroyable, toutes les variations. Il compte son pouls, palpe à chaque instant son abdomen. Il achète et dévore tous les livres de médecine, et il se croit successivement atteint de toutes les maladies. Par le retentissement des cellules affectives et des cellules sensorielles affectées aux viscères sur celles de la couche intellectuelle, son jugement se fausse complétement, mais uniquement au sujet de sa santé. Le médecin n'arrive jamais à le convaincre de son erreur. Les raisonnements les plus puissants, la logique la plus serrée, n'aboutissent à rien. Les hypochondriaques éprouvent de nombreuses hallucinations d'origine viscérale. Ils sentent que le cœur cesse de battre, que les membres se dessèchent, que le corps entre en putréfaction. Du reste, malheureusement, il n'y a de faux que l'interprétation. Ils ont réellement un viscère malade et la folie est presque toujours engendrée par la sensation viscérale. Dans l'état normal, les impressions parties des organes végétatifs n'arrivent pas à ébranler le cerveau, et elles passent inaperçues. Mais, lorsque ces viscères sont malades et donnent lieu à des impressions trop vives, celles-ci viennent troubler, à l'insu du sujet, sa raison et son jugement, surtout si, pour cause d'hérédité ou autre, son cerveau est prédisposé aux altérations matérielles spéciales à l'aliénation mentale. Niemeyer n'hésite pas à déclarer, avec la plupart des pathologistes, que les causes, au moins occasionnelles, de l'hypochondrie sont les maladies des organes abdominaux, surtout le catarrhe gastro-intestinal chronique, certains états morbides de l'appareil génitourinaire, enfin, la blennorrhagie et la syphilis. En vertu même de son origine sensorielle, cette maladie s'accompagne d'une certaine hypéresthésie générale; le moindre contact agace le malade. Pour lui, la plus petite douleur acquiert des proportions considérables. Pour la même raison, le travail de la digestion exagère l'état mental. Mais l'hypochondrie peut aussi avoir une origine cérébrale. Ainsi, une cause fréquente est la lecture des ouvrages de médecine.

Parmi les maladies mentales, il en est deux qui doivent être mises au pôle opposé à celui qu'occupe la folie, ce sont la démence et l'idiotie. Dans la folie, il y avait surexcitation, ou tout au moins déviation de l'intelligence. Dans la démence et l'idiotie, il y a

suppression ou absence d'intelligence. Dans le premier cas, c'est une machine qui fonctionne, mais qui le fait d'une manière déréglée. Dans le second, c'est une machine qui est incapable de fonctionner. Si, malgré cette nature commune, la démence et l'idiotie doivent être regardées comme entités distinctes, cela tient aux conditions d'apparition. La démence constitue une perte d'intelligence survenue chez un individu qui jouissait auparavant de toutes ses facultés intellectuelles. Dans l'idiotie, l'intelligence n'a jamais existé. Dans la démence, la perte des facultés intellectuelles, affectives et morales, est acquise. Dans l'idiotie, elle est congéniale. Suivant l'heureuse expression d'Esquirol, l'homme en démence est privé des biens dont il jouissait autrefois. C'est un riche devenu pauvre. L'idiot a toujours été dans l'infortune et la misère. Occupons-nous d'abord de la démence.

Démence.

Elle démontre beaucoup mieux encore que la folie que le cerveau est l'instrument indispensable des manifestations intellectuelles, et elle constitue l'arme la plus puissante des matérialistes. Ici les lésions anatomiques sont connues depuis longtemps, et constantes. Elles sont, par leur nature, tout à fait en rapport avec les phénomènes qu'on observe pendant la vie. Aussi allons-nous commencer par les indiquer, et les symptômes ne seront plus ensuite que des conséquences tout à fait naturelles, des modifications matérielles de l'organe.

Le fait qui saute le plus aux yeux est l'atrophie éprouvée par les circonvolutions. Non-seulement celles-ci diminuent de volume, mais elles changent de forme. Leur sommet est aplati, comme si elles avaient été pincées entre les doigts. Leur base n'est plus qu'un pédicule. Elles sont, en outre, très-pâles et plus résistantes. On sent que l'irrigation sanguine leur a manqué. Les sillons, par le fait même de l'amincissement des circonvolutions, deviennent plus larges et moins profonds. Le vide qui en résulte provoque sans doute l'exhalation de la sérosité des capillaires de la pie-mère, car toutes les lacunes sont comblées par un liquide jaunâtre. Une autre conséquence de l'atrophie du cerveau est la dilatation des ventricules, qui profitent, comme les sillons, du retrait apparent éprouvé par la substance

cérébrale. Une chose digne de remarque: la substance blanche ne prend qu'une faible part à l'émaciation; elle devient seulement un peu grise et plus consistante. C'est surtout la partie génératrice de l'intelligence qui s'anéantit. En outre de l'atrophie, on constate pour les circonvolutions, à l'œil nu, un état rugueux et une teinte jaune. C'est là le produit de la somme totale des altérations éprouvées par les unités histologiques. C'est dû, ainsi que le démontre le microscope, à la dégénérescence graisseuse des cellules, des tubes et des capillaires.

On comprend parfaitement qu'une pareille lésion entraîne la perte des facultés intellectuelles, puisqu'elle consiste dans la nécrobiose des agents matériels de la pensée. On comprend aussi que cet anéantissement des facultés s'opère d'une manière lente et graduelle, puisque la dégénérescence graisseuse et l'atrophie, résultant de la résorption de la graisse, se produisent aussi peu à peu. La mémoire, disent les auteurs, est la première faculté atteinte. Cela devait être, puisque ce sont les cellules, dépositaires des notions, qui disparaissent les premières complétement. On a remarqué aussi que le souvenir s'éteignait d'abord pour les faits récents, et ne le faisait que plus tard pour les anciens. Cela tient sans doute à ce qu'au moment où les faits nouveaux ont été enregistrés, les cellules réceptacles étaient déjà en partie malades et ne se prêtaient déjà plus à une imprégnation solide et ferme. Il est des déments qui se souviennent bien du passé, mais qui ne peuvent plus fixer rien de nouveau dans leur mémoire. On dirait que, chez eux, la dégénérescence est suffisante pour rendre les cellules incapables de recevoir de nouvelles empreintes, mais n'est pas assez profonde pour effacer les anciennes. Les déments paraissent incapables d'attention, ou plutôt ils ont, suivant l'expression du vulgaire, la tête dure. Les cellules intellectuelles agonisantes n'entrent que très-difficilement en vibration, malgré les sollicitations venues de l'extérieur. Le jugement et le raisonnement, malgré l'intégrité apparente de la substance blanche, s'affaiblissent, tout au moins pour le groupement de certaines idées, parce que cette substance ne saurait combiner des idées qui n'existent pas, ou qui n'ont qu'un rudiment d'existence. La dégénérescence doit atteindre aussi les cellules affectives, car, sous le rapport des sentiments, les malades se montrent de la plus grande indifférence. Comme toujours, les déterminations sont en raison de la vitalité des idées. Leurs actes sont vagues, incertains, sans but. Quelques-uns sem

blent avoir perdu l'aptitude à harmoniser la mimique avec leurs pensées. Ils prennent un air triste quand ils éprouvent et qu'ils expriment des idées gaies. Ils sont moins impressionnables à tous les excitants physiques et moraux. Peut-être le système nerveux périphérique est-il déjà altéré lui-même, et ne remplit-il que d'une manière imparfaite son rôle de transmission. Mais s'ils sentent moins, cela tient surtout à l'état du cerveau. C'est, avant tout, la consécration psychique qui fait défaut. La sensation brute persiste ou n'est qu'amoindrie. La démence peut être absolue, ou bien s'accompagner de délire. C'est que, sans doute, les quelques parties restées intactes fonctionnent d'une manière irrégulière et parfois exagérée. Elles dérivent, pour ainsi dire, sur elles le sang qui ne rencontre plus, dans les parties voisines, des conduits d'irrigation suffisants. Chez quelques-uns, c'est un délire systématisé, qui reste toujours le même, parce qu'il n'y a qu'une seule et même partie restée intacte et qui se trouve, par conséquent, toujours en scène. Les hallucinations sont très-fréquentes. La couche optique prend une moindre part à l'altération et elle reçoit un apport plus considérable dans la distribution du liquide sanguin. Au fur et à mesure que l'animal baisse, le végétal semble prendre plus d'essor. Ils ont un appétit exigeant. L'assimilation s'exécute bien. Ils acquièrent un embonpoint notable.

La démence se produit dans plusieurs circonstances différentes. Elle peut résulter presque physiologiquement des progrès de l'âge. C'est ce qu'on appelle la démence sénile. Le cerveau se raréfie à sa manière, comme les parties osseuses. Elle peut être le dernier terme de la folie. C'est la démence vésanique. Le travail exagéré des cellules pendant la folie les épuise, les use et les tue. Elle peut être produite par l'alcool qui, de son côté, a fait travailler outre mesure les cellules cérébrales, et qui, de plus, provoque peut-être chimiquement la formation de granulations graisseuses. Elle représente aussi parfois la conséquence des pyrexies ataxiques, des congestions répétées, des inflammations du cerveau, toutes causes qui exaltent et détériorent aussi les cellules.

Idiotie.

Cette affection, qui tient à un arrêt de développement de l'organe de l'intelligence, peut se présenter sous des degrés nombreux, qui

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