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moses et des noyaux apoplectiques dans les différents points du corps. Les mêmes effets peuvent aussi être engendrés par les autres genres d'altérations du cerveau, capables d'enrayer son fonctionnement. C'est Charcot, qui, le premier, a attiré l'attention sur les ecchymoses péricrâniennes et cervicales qui accompagnent si souvent les maladies du cerveau. Depuis, il a été constaté, par lui et par plusieurs auteurs, que les mêmes accidents pouvaient se produire aussi dans la plupart des viscères. Dans ses leçons sur les maladies du système nerveux, Charcot rapporte le fait d'une femme atteinte d'hémiplégie due à une hémorrhagie récente dans le corps strié. Cette femme avait de nombreuses ecchymoses dans l'épaisseur de la plèvre de l'endocarde et de la muqueuse stomacale. Muron a observé trois cas d'altérations rénales chez des hémiplégiques. Dans un travail spécial, Baréty a établi que les apoplexies et les ramollissements circonscrits produisent très-souvent des ecchymoses sous-pleurales, des extravasations sanguines dans l'épaisseur de la muqueuse bronchique, des congestions et des apoplexies pulmonaires. M. Olivier vient de soumettre à la Société de biologie une série d'observations qui démontrent la relation incontestable qui existe entre les maladies du cerveau et ces lésions pulmonaires. Du reste, quand on jette un regard rétrospectif sur les anciennes collections de maladies cérébrales, on rencontre à chaque pas la mention d'altérations viscérales de ce genre, dont on a méconnu la nature, et qui ont été considérées comme des coïncidences accessoires. Schiff et Brown Sequard sont venus en outre apporter une confirmation expérimentale à ces données de la clinique. En lésant artificiellement soit le cerveau, soit la protubérance, soit le noyau de l'encéphale, ils ont déterminé, tantôt une simple hypérémie, tantôt des ecchymoses, tantôt des foyers d'apoplexie dans les poumons et dans les reins. D'après Olivier, si le siége de la lésion cérébrale paraît être indifférent chez les animaux, il ne le serait pas autant dans l'espèce humaine, vu que le résultat est beaucoup plus constant lorsque l'hémorrhagie se trouve dans le voisinage d'un ventricule et peut y faire irruption. Il faut, de plus, qu'elle soit considérable. Peut-être faut-il, d'après cela, que le foyer exerce une certaine action sur le bulbe, centre principal de la vie végétative. Une chose remarquable, c'est la rapidité avec laquelle se produisent ces lésions viscérales. Dans un cas cité par Liouville, elles semblent s'être formées en moins de dix heures. D'après les observations de Cruveilhier et de Benett, il peut y avoir plus que de

la congestion pulmonaire, une véritable hépatisation. Schroeder Vanderkolk prétend même que les diverses formes de la pneumonie et même la tuberculisation peuvent être dues à des lésions du cerveau. En ce qui concerne la pneumonie, j'ai été conduit à émettre une opinion semblable dans la physiologie pathologique générale du bulbe. Je ne comprends pas, du reste, pourquoi Charcot nie la possibilité d'une inflammation pulmonaire sous l'influence d'une maladie cérébrale. Car, si la compression ou la destruction d'un centre nerveux peut amener une congestion en paralysant les vaso-moteurs du poumon, son irritation peut, de son côté, amener une contraction spasmodique de vaisseaux du même organe, et, par suite, y réaliser les conditions vasculaires de l'inflammation.

La paralysie vaso-motrice due aux maladies cérébrales peut aussi donner lieu à de l'hydropisie. Baréty, Olivier et Labousbène ont signalé à l'attention des médecins les épanchements de sérosité dans les mailles du tissu cellulaire et dans la plèvre, qui se rencontrent souvent du côté atteint d'hémiplégie. Du reste, les expériences de Ranvier viennent encore à l'appui. Ce micrographe a montré que, contrairement à ce qui est admis généralement, l'œdème ne doit pas être considéré comme étant le résultat d'un obstacle à la circulation veineuse, mais comme étant une conséquence de la paralysie des vaso-moteurs. Il a lié chez des animaux, un grand nombre de veines, les jugulaires, la fémorale, même la veine cave inférieure, sans déterminer de l'œdème. Il en a, au contraire, toujours produit en coupant le nerf sciatique qui, comme on sait, apporte avec lui des filets vaso-moteurs. Le zona se développe quelquefois sous l'influence des maladies du cerveau, sans doute par suite d'un retentissement irritatif sur les nerfs spinaux. Duneau cite une femme hémiplégique chez laquelle une éruption de zona apparut sur la cuisse paralysée. Cette éruption se forma en même temps que la paralysie et disparut avec elle. Le docteur Payne a soigné un enfant qui présenta du zona sur le trajet des branches superficielles du nerf crural antérieur, trois jours après le développement d'une hémiplégie du même côté. La production d'escharres se rencontre aussi dans les mêmes circonstances, particulièrement à la suite des hémorrhagies et du ramollissement partiel du cerveau. D'après Charcot, l'érythème initial se montre ordinairement du deuxième au quatrième jour après l'attaque. Au lieu de siéger à la région sacrée comme dans les affections spinales, il apparaît vers le centre

de la région fessière et du côté correspondant à l'hémiplégie. Dès le lendemain ou le surlendemain, on aperçoit des vésicules, puis la tache ecchymotique habituelle; mais le travail de mortification devient rarement complet. On ne peut pas attribuer la production de l'escharre à la pression, puisqu'elle n'existe que d'un côté et puisqu'elle se produit encore quand on a soin de faire coucher le malade de l'autre côté. Elle n'est pas due non plus à l'urine, Charcot ayant eu soin de mettre ce liquide hors de cause. On ne peut en accuser que l'irritation du cerveau. On peut rencontrer aussi des arthropathies limitées au côté paralysé. Elles siégent surtout dans le membre supérieur et se voient plus souvent dans le ramollissement que dans l'hémorrhagie. Elles débutent quinze jours ou un mois après l'accident cérébral. La tuméfaction, la rougeur et la douleur sont telles qu'on peut croire avoir affaire à un véritable rhumatisme articulaire. Les gaines tendineuses sont souvent aussi malades que les articulations. Scott et Alison prétendent que ces arthropathies sont dues au sang et non au cerveau, au diabète ou à la goutte qui accompagnent si souvent les affections cérébrales. Pour eux, elles sont dues aux efforts que fait le sang pour se débarrasser des produits morbides spéciaux à ces maladies. Mais le fait s'observe en dehors du diabète et de la goutte. De plus, Charcot a montré qu'il s'agit ici d'une véritable synovite avec végétations, multiplication des éléments nucléaires et fibroïdes de la séreuse articulaire, augmentation des capillaires, exsudation sérofibrineuse avec leucocytes. Mais les cartilages articulaires et les ligaments restent intacts.

Messieurs, en analysant physiologiquement les conséquences des tumeurs cérébrales, des apoplexies, des congestions et des ramollissements du cerveau, nous avons rencontré des phénomènes variables dans leur aspect, mais qui avaient entre eux, dans toutes ces circonstances, une certaine analogie. Cette analogie est telle, que parfois le clinicien se trouve embarrassé de déterminer la nature de la cause matérielle des phénomènes dont il est témoin. C'est pour cette raison que j'ai cru devoir faire rentrer toutes ces maladies dans une même étude générale, ce qui a, en outre, permis d'établir des rapprochements utiles au point de vue du mécanisme. Les maladies qu'il nous reste à interpréter ont, au contraire, et conservent à peu près toujours une physionomie bien caractéristique, ce qui autorise à les rapporter à l'étude de la physiologie pathologique spéciale. Parmi ces affections, celles qui appartiennent le plus en propre au cerveau sont incon

testablement les maladies dites mentales. Aussi est-ce par elles que nous allons commencer.

PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE SPÉCIALE.

Maladies mentales.

On comprend sous le nom générique de maladies mentales toutes les affections à marche chronique, caractérisées par un dérangement des facultés intellectuelles et morales, dérangement qui existe à titre d'état morbide indépendant, et non à titre de complication accidentelle d'une maladie préexistante. (Foville.)

Nous n'avons pas ici à prendre en considération toutes les variétés que les médecins aliénistes ont été conduits à adopter, ni à entrer dans la discussion que leur classification a soulevée parmi les auteurs; mais, au point de vue physiologique, il nous faut considérer à part, tout au moins, les états suivants: la folie proprement dite, la démence, l'idiotie et la paralysie générale des aliénés.

Folie.

Elle comprend elle-même, tout au moins, les variétés dites : manie, monomanie et lypémanie. Nous les différencierons dans l'analyse des symptômes de la folie; mais, pour le moment, il nous faut tout d'abord nous placer à un point de vue général et traiter les questions de la nature et de la genèse du phénomène morbide.

La folie a de tout temps préoccupé les médecins et les philosophes. Dans l'antiquité, les médecins sérieux, comme Hippocrate, l'attribuaient à l'action de la bile et de la pituite. Les philosophes et le monde, de leur côté, la regardaient comme le résultat d'une inspiration supérieure. Pour les anciens, les fous étaient des inspirés. Ils les entouraient de respect et de protection. Au moyen âge, on regarda encore la folie comme la conséquence d'une influence surhumaine. Mais se plaçant à un point de vue diamétralement opposé, on crut non plus à une influence divine, mais à une influence démoniaque. Les fous cessèrent d'être des inspirés, ils devinrent des possédés. Malheureusement, de ces idées erronées dépendait le sort des aliénés. Dans les premiers temps, on les entourait d'un culte qui les mettait

pour ainsi dire en quarantaine, mais qui n'avait rien de cruel. Au moyen âge, on les torturait, on les brûlait, on les emprisonnait. Il appartenait à la médecine moderne de mettre un terme aux cruautés de tant de siècles. Aujourd'hui il est bien établi que les fous sont des malades méritant d'être soignés avec bonté et intelligence. Mais, au point de vue théorique, les médecins ne sont pas encore complétement d'accord. Il y a, à ce sujet, trois écoles: la spiritualiste, la somatique et l'éclectique.

Pour la première, la folie est une maladie de l'âme et non du cerveau ou du corps. C'est l'âme qui, primitivement, se trouve dans un état de souffrance. Les lésions qui peuvent apparaître ne sont que la conséquence de la situation morbide de l'âme. Elles sont un effet et non une cause. L'étiologie de la folie est tout à fait distincte de celle des maladies ordinaires. Elle n'appartient jamais à l'ordre physique ou organique. Elle puise toujours son origine dans les déviations des lois de la morale et de la raison, dans l'influence funeste exercée par les passions. L'école somatique, qui rallie aujourd'hui la plupart des médecins, pense que la folie a toujours son point de départ dans un état morbide du corps. Elle inscrit sur sa bannière: Mens sana in corpore sano. Cette école se subdivise elle-même en deux camps: celui des matérialistes purs, pour lesquels l'âme n'existe pas, pour qui les actes intellectuels sont, si ce n'est la sécrétion, du moins l'œuvre du mouvement moléculaire du cerveau, et qui ne voient, par conséquent, dans la folie, que le mauvais travail d'une machine en mauvais état; celui des spiritualistes instruits par l'observation médicale, qui ne nient pas l'existence de l'âme, mais qui reconnaissent que le cerveau lui est indispensable pour ses manifestations et qui trouvent même qu'il est impossible d'admettre que l'âme soit malade, que ce serait l'abaisser. L'école éclectique admet que, dans quelques cas, les maladies mentales proviennent de l'âme, et dans quelques autres du corps.

Je vous ai dit que l'école somatique ralliait la plupart des médecins. Elle fait en ce moment de grands progrès, même sous sa forme matérialiste. Jusque dans ces dernières années, les autopsies faites à l'œil nu n'avaient fourni, la plupart du temps, en dehors des congestions accidentelles, que des résultats négatifs. L'absence de lésions matérielles semblait tellement bien établie, que même les médecins matérialistes en étaient réduits à regarder les diverses espèces de folies comme des névroses du cerveau. Mais depuis que le manie

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