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pas songé, c'est le véritable besoin d'équilibre que porte en ellemême la machine locomotrice. Il s'appuie du reste sur une expérience que tout le monde peut répéter et qu'il regarde comme prouvant l'intervention de ces deux facteurs, spasme des muscles du thorax et besoin d'équilibre.

Quand on nage, dit-il, avec un seul bras et une seule jambe, on ne dévie pas; mais si on fait contracter les muscles du thorax d'un côté, aussitôt on penche de ce côté. Si on augmente encore cette contraction, on arrive bientôt à une position complétement latérale. A ce moment où les conditions d'équilibre semblent devoir manquer, on est irrésistiblement entraîné, par une contraction spasmodique, à exécuter un véritable mouvement de roulement qui ramène la position normale. C'est le cas de la grenouille privée de son cerveau, qui reprend toujours sa station type chaque fois qu'on la déplace. On dirait que la machine locomotrice se débat contre l'instabilité qu'on veut lui imposer. Grâce à ce besoin instinctif de l'équilibre, le corps de l'animal devient comparable à ces poupées à centre de gravité placé très-bas, qui se redressent en oscillant chaque fois qu'on veut les faire tomber. Dans le cas de roulement provoqué par une piqûre encéphalique, les choses se passent de même que chez le nageur. Au reçu de la lésion, l'animal tombe sur le côté; le spasme réflexe des muscles d'un des côtés du thorax, qui remplace ici le mouvement de demi-rotation du nageur, le renverse sur le dos. En vertu du besoin impérieux de la station normale, des muscles plus ou moins nombreux se contractent spasmodiquement pour le ramener sur le côté qui est la position la plus favorable pour lui permettre de se relever tout à fait. Mais en raison même de la prédominance de l'action réflexe d'un des côtés du thorax, en raison aussi de la vitesse acquise, ces efforts instinctifs aboutissent à une rotation perpétuelle autour de l'axe longitudinal du corps.

La théorie d'Onimus n'est peut-être pas le dernier mot de la science. Elle est appelée, sans doute, à être tout au moins modifiée plus tard, mais elle est certainement, pour le moment, la moins défectueuse, surtout en ce qui concerne le mouvement de manége. A ce dernier point de vue, elle répond aux exigences de tous les faits expérimentaux connus, et elle s'allie parfaitement avec le véritable rôle locomoteur de la protubérance. Dans tous les cas, on peut assurer dès aujourd'hui que, lorsque le phénomène apparaît sous l'influence d'une irritation de la protubérance, celle-ci le produit,

non pas en raison de ses connexions avec les parties voisines, mais bien à titre de centre locomoteur créateur. Le manége résulte d'une modification artificielle de ce rôle. C'est pour cette raison qu'il ne se montre que lorsque l'animal veut marcher, c'est-à-dire lorsque ce centre est mis en jeu.

Rôle de la protubérance dans les phénomènes de la sensibilité. Longet, qui avait placé dans la protubérance la chaudière à peu près de toute la force motrice, y a aussi localisé ce qu'on a appelé le Sensorium commune. Il en a fait le centre de la sensibilité non raisonnée, de la sensibilité brute, comme il l'a nommée. Une impression sensitive qui, dans sa propagation, reste limitée à la moelle, fait naître un mouvement réflexe, mais ne détermine pas la moindre sensation appréciable pour l'animal. Si cette impression arrive jusque dans la protubérance, il en éprouve une, mais il ne peut pas encore l'apprécier. Il sent seulement qu'on l'a ébranlé; il sent qu'il sent quelque chose. Il éprouve de la douleur si l'impression a été vive, mais il n'apprécie pas la nature de cette sensation. Il ne peut pas remonter de l'effet à la cause. Ce n'est que lorsque l'ébranlement senti par la protubérance se propage jusque dans les couches intellectuelles du cerveau qu'il y fait naître une appréciation, une idée. Avant, il n'y avait que perception; maintenant il y a sensation dans le sens philosophique du mot. Avant, la sensation n'était qu'à l'état brut. C'est le cerveau qui, comme le marteau du sculpteur, fait jaillir une statue idéale de la pierre informe qu'il a reçue.

Gerdy a, le premier, pratiqué des expériences capables de justifier cette pensée, et qui, répétées par plusieurs expérimentateurs, ont toujours donné lieu aux mêmes résultats. Voici le mode général d'expérimentation :

On enlève à un animal le cerveau, les corps striés, les couches optiques, les tubercules quadrijumeaux et le cervelet. On ne lui laisse que le bulbe, la moelle et la protubérance. Après ces mutilations, l'animal reste assoupi; mais si on le pince fortement, il accuse la douleur qu'il éprouve par de longs cris plaintifs et par une agitation violente. Si, ensuite, on détruit la protubérance, l'animal conserve l'intégrité de sa circulation et de sa respiration, parce que c'est le bulbe qui préside à ces fonctions; quand on le pince, il peut encore crier, mais ce ne sont plus des cris plaintifs et prolongés. L'animal ne crie plus plusieurs fois pour un seul pincement. C'est un cri bref qui reste toujours le même et qui ne se produit

qu'une fois pour une seule excitation. Ce sont des cris tout à fait comparables aux bruits que produisent les jouets d'enfants quand on les presse.

Longet s'est aussi appuyé sur ce qui se passe avec le chloroforme et l'éther. Dans l'éthérisation des animaux, dit-il, on crée chez eux des troubles physiologiques qui correspondent à deux périodes distinctes. Dans les premiers moments, l'agent anesthésiant n'empoisonne que les lobes cérébraux; alors l'animal reste assoupi. Mais si on le pince, il s'éveille, crie et s'agite. Plus tard, il arrive à influencer la protubérance. Alors, l'animal reste non-seulement immobile, mais on peut le blesser, le dilacérer, sans qu'il paraisse éprouver de sensation. A mes yeux, cet argument n'est rien moins qu'une pétition de principe, car c'est tout justement parce qu'on regarde la protubérance comme un centre de sensibilité et parce que cette propriété disparaît après l'intelligence, que l'on est en droit de dire que le cerveau cède à l'action toxique avant la protubérance.

Néanmoins, en raison des résultats fournis par les vivisections, je dois reconnaître que la protubérance joue un rôle de la plus grande importance dans les phénomènes de sensibilité, mais aussi je suis convaincu qu'il y a entre elle et le cerveau un intermédiaire tout aussi important, c'est la couche optique. De même que la machine locomotrice commence au cerveau pour s'étendre jusqu'au muscle, la machine des sensations commence au tégument pour s'étendre jusqu'aux couches intellectuelles du cerveau. L'ébranlement né à la périphérie se multiplie, se perfectionne et se transforme, tout en se propageant à travers la substance grise de la moelle. Dans la protubérance, il éprouve une transformation plus considérable; il se perfectionne encore dans la couche optique au point de pouvoir d'emblée faire naître une idée dans le cerveau. A travers l'axe nerveux, l'ébranlement moteur va en se matérialisant; l'ébranlement sensitif va en se spiritualisant.

La protubérance semble avoir déjà, comme la couche optique et le cerveau, la propriété d'entretenir et de reproduire l'ébranlement reçu un instant. A mes yeux, ce n'est même que pour cela que l'animal crie plusieurs fois pour une seule excitation. Le centre nerveux qui produit le cri est, comme nous l'avons établi, le bulbe. Celui-ci le produit, à titre de mouvement réflexe, toutes les fois qu'il lui arrive une excitation au point voulu. Le pincement ne lui arrivant qu'une fois, il ne répond que par un seul mouvement-cri. Mais quand

la protubérance a été ébranlée, elle continue, pour ainsi dire, à vibrer après la cessation de la cause, et ces vibrations se réfléchissant en bas vers le bulbe, y réveillent successivement de nouvelles productions de cris. On dirait comme des échos qui se répercutent. La protubérance, c'est comme la boîte de l'instrument à cordes qui prolonge le son.

C'est peut-être aussi une espèce d'amplification des vibrations qui fait qu'au reçu d'une impression, la protubérance réagit par une grande agitation générale. Située du reste au centre de tous ces prolongements qui aboutissent aux divers renflements de l'axe cérébrospinal, elle peut retentir immédiatement dans toutes les directions.

La protubérance semble aussi présider à la perception des impressions auditives et gustatives. Si, dit Vulpian, autour d'un animal, tel que le rat, auquel on a enlevé le cerveau, les corps striés et les couches optiques, on exécute un bruit, cet animal fait aussitôt un brusque soubresaut, et chaque fois que le même bruit se renouvelle, on constate un nouveau soubresaut. Si on lui met de l'aloès sur la langue, il exécute des mouvements de mâchonnement. Nous verrons, du reste, dans les maladies de la protubérance, des troubles des organes des sens. Vulpian, se basant sur les tressaillements qu'exécute le rat lorsqu'il entend un bruit, prétend enfin que la protubérance est aussi le foyer excitateur des mouvements émotionnels. C'est elle, selon lui, qui préside aux manifestations motrices provoquées par les émotions. Il pense que chez l'homme c'est elle qui préside au rire et aux pleurs, non pas à la création du sentiment, mais à sa manifestation.

Rôle de la protubérance dans les phénomènes nutritifs. Elle paraît exercer une certaine influence sur la sécrétion salivaire. Quand on pique un peu en arrière de l'origine du trijumeau, on provoque une abondante sécrétion de salive. Souvent, pour une seule piqûre, toutes les glandes salivaires entrent en suractivité. Mais lorsque l'exagération ne se montre que d'un côté, c'est toujours du côté lésé. Il y aura peut-être à tenir compte de cette influence dans l'analyse de l'épilepsie. Elle agit aussi sur les reins. Quand on pique la partie supérieure du plancher du 4° ventricule, on produit de la polyurie. Enfin, en piquant un autre point, on produit de l'albuminurie. Avec toutes ces données, que nous venons d'emprunter à l'anatomie et à la physiologie normales, nous pouvons aborder l'étude de l'anatomie et de la physiologie pathologiques de cet organe.

Anatomie pathologique générale.

La protubérance, comme tous les organes et plus que beaucoup d'autres organes, est susceptible de se congestionner, car elle est riche en vaisseaux. L'état congestionnel accompagne, du reste, presque toutes les autres productions pathologiques qui sont généralement entourées d'une atmosphère de tissu normal injecté. Il est évident qu'elle doit aussi se produire d'une manière isolée, pendant un temps plus ou moins court. Seulement, pendant les recherches nécroscopiques, on n'a pu la constater que dans les cas de congestions générales, les seules sans doute capables de déterminer la mort. Dans ces cas, on voit que la protubérance prend part à la vascularisation générale. Toutefois, comme état congestionnel, elle se montre plus particulièrement solidaire du cervelet et du bulbe, c'est ainsi que, dans l'épilepsie, nous verrons ces trois parties gorgées de sang, alors que les lobes cérébaux seront au contraire anémiés.

Les hémorrhagies sont plus faciles à constater sur le cadavre et se prêtent mieux à l'étude. Malgré sa grande richesse en vaisseaux, la protubérance est moins souvent le siége de ce genre d'altération que les autres parties de l'encéphale. Cela tient, sans doute, à ce que son tissu est relativement plus ferme et soutient mieux les vaisseaux. Sur 386 cas d'hémorrhagies encéphaliques, Andral n'a rencontré que 9 fois celle de la protubérance. Il est vrai que Larcher l'a vue 21 fois sur 153 cas généraux. Mais il s'agissait ici d'une statistique portant sur des vieillards et l'état friable des vaisseaux qui est la conséquence habituelle d'un âge avancé explique cette plus grande fréquence. On peut la rencontrer toutefois chez des jeunes gens, mais on ne l'a pas vue au-dessous de 21 ans. Les conditions ordinaires de la vie sociale font que les hommes y sont plus exposés que les femmes. Le plus souvent, l'épanchement sanguin siége au centre. Cela s'explique, puisque c'est là que se trouve la masse de substance grise dépourvue du soutien que peut apporter le passage des fibres des pédoncules cérébelleux et des pyramides. En général, les foyers hémorrhagiques ne peuvent pas atteindre un volume considérable à cause de l'espèce de bridement que produit ce passage des pédoncules. On en a vu, cependant, occuper toute la protubérance réduite à une coque mince; mais, même dans ce cas, elle peut, pour cette raison, conserver II. POINCARE.

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