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TRENTE-CINQUIÈME LEÇON.

MESSIEURS,

Nous allons aborder aujourd'hui l'histoire de la partie la plus importante du système nerveux, de celle qui tient sous ses ordres, nonseulement toutes les autres portions de ce système, mais encore l'organisme dans son entier, de celle qui, en outre, fait l'homme moral et intellectuel. C'est vous nommer le cerveau.

DES HEMISPHÈRES CÉRÉBRAUX.

Constitution anatomique.

Il est presque inutile de vous rappeler que le cerveau proprement dit est formé de deux masses ovoïdes qui sont appelées hémisphères cérébraux, et qui sont reliées entre elles par une commissure blanche considérable, qui a reçu le nom de corps calleux; que chacun de ces deux hémisphères se trouve franchement divisé en deux parties inégales par un sillon profond nommé scissure de Sylvius, et motivé par la présence de l'apophyse d'Ingrassias, du sphénoïde qui s'insinue en ce point pour ainsi dire dans la substance cérébrale; que la portion située en avant de ce sillon, qui ne représente que le tiers de l'hémisphère, repose sur la voûte orbitaire et a reçu le nom de lobe frontal; que la portion située en arrière se subdivise elle-même, d'une manière plus artificielle, en deux lobes, l'un qui repose sur la grande aile du sphénoïde et qui est appelé lobe sphénoïdal, l'autre qui correspond à la tente du cervelet et qui prend le nom de lobe occipital. Ces données sont tellement élémentaires que je ne fais que glisser sur elles. Vous savez aussi que la surface de ces lobes est comme plissée de façon à former des saillies curvili

gnes, séparées par des anfractuosités, et recevant la désignation générique de circonvolutions. Tout ce qu'on peut assurer pour le moment, c'est que, dans leur ensemble, elles ont pour but de donner plus d'étendue à la surface extérieure du cerveau. C'est un artifice de la nature pour obtenir, dans un espace limité, un plus grand développement de la couche périphérique des hémisphères. Mais ces circonvolutions sont en général tellement constantes dans leur forme et leur direction, qu'il est de la dernière évidence que chacune d'elles a sa raison d'être particulière. Aussi on ne peut qu'approuver le pénible travail auquel s'est consacré Gratiolet qui a parfaitement décrit tous les détails de ces replis chez les primates. Malheureusement, dans l'état actuel de la science, cette œuvre ne peut encore fournir que des promesses, et elle restera stérile peut-être pendant bien des années encore. Pour le moment, elle en est réduite à procurer seulement une basc géographique plus rigoureuse aux phrénologues pour leurs localisations imaginaires. Il est cependant une circonvolution qui, dans ces derniers temps, a acquis une certaine importance clinique. C'est celle appelée lobule de l'Insula, dont plusieurs médecins ont voulu faire le siége de la faculté langage. C'est une saillie pyriforme située sur le versant frontal du ravin représenté par la scissure de Sylvius. Elle existe aussi chez les animaux, mais chez l'homme elle présente une particularité qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans l'échelle zoologique. Chez lui, sa surface présente cinq à six plis rayonnants.

Comme tous les centres nerveux, le cerveau est formé à la fois par de la substance grise et par de la substance blanche. La première occupe la périphérie et sert, pour ainsi dire, de revêtement à la seconde. Celle-ci occupe, non-seulement la partie centrale, mais s'engage encore dans chaque circonvolution. On dirait le feu central du globe terrestre, qui soulève les couches périphériques et qui s'engage dans l'axe de la montagne qu'il vient de créer. L'épaisseur de la couche corticale est à peu près la même dans toutes les régions du cerveau. Chez l'adulte, elle a environ 2 à 3 millimètres. Elle est d'une consistance assez ferme et offre même une certaine élasticité. C'est au point qu'on peut facilement enlever avec des pinces la pie-mère, sans entraîner la moindre parcelle de substance nerveuse. Quand, dans une autopsie faite après les délais ordinaires, la substance cérébrale est entraînée avec les lambeaux de cette méninge, on est déjà presque en droit de conclure à l'existence d'un état pathologique. Sa

coloration est uniformément grisâtre. Dans l'aliénation mentale, cette teinte tend à se modifier: tantôt il existe de petits îlots tranchant par leur couleur blanchâtre ; tantôt c'est tout l'ensemble qui tend ȧ blanchir, et alors il devient très-difficile de voir où finit la substance grise et où commence la véritable substance blanche.

Quand l'œil se trouve armé d'une loupe, la substance corticale perd son uniformité apparente, et on reconnaît qu'elle est formée de plusieurs couches superposées. Baillarger en a même décrit six alternant entre le blanc et le gris, la plus superficielle étant blanche, et la plus profonde grise. Vulpian, qui admet aussi l'existence de

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Fig. 47.

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1. Schéma du mode d'agencement des éléments de la couche corticale avec ceux de la couche optique et du corps strié. a, couche optique. b, corps strié. c, substance blanche du pédoncule cérébral. — d, substance grise du pédoncule cérébral. — e, plan des petites cellules cérébrales phériphériques. —ƒ, plan des cellules moyennes. – h, plan des grosses cellules profondes. - g, fibre convergente étendue d'une cellule de la couche optique à une des cellules cérébrales superficielles. m, fibre convergente étendue d'une grosse cellule de la couche corticale à une cellule du corps strié. p, une des fibres commissurantes réunissant des groupes de cellules éloignées les unes des autres. Les flèches indiquent le courant centripète des impressions sensitives dans la substance grise du pédoncule, celle de la couche optique dans les fibres cortico-optiques, et le courant centrifuge en rapport avec l'idée qui doit produire le mouvement volontaire en passant par les fibres cortico-striées, le corps strié et les fibres blanches du pédoncule cérébral. 2. v, petites cellules de la couche superficielle.- z, grosse cellule de la couche profonde. -x, cellule de la couche moyenne.

trois plans de substance grise parfaitement distincts, leur assigne des rôles différents, en rapport avec les trois ordres de facultés intellectuelles, affectives et instinctives. Quant aux plans de fibres blanches interposés, ils représenteraient les moyens d'associations des cellules de chaque couche. Tout ce qu'on peut assurer, c'est qu'il y a bien certainement deux zones qui se distinguent franchement par leur coloration. La zone superficielle est grise et transparente; la zone profonde est beaucoup plus foncée, elle est rougeâtre, ce qu'elle doit à sa plus grande vascularisation. Il est certain aussi qu'il existe, entre ces deux zones, un liséré blanchâtre, formé en effet par des fibres blanches se rendant d'une cellule à une autre plus ou moins éloignée.

Au microscope, on aperçoit, dans l'une et l'autre zone, un fond général de substance amorphe servant d'atmosphère à des cellules qui tranchent par leur teinte jaunâtre et l'intensité avec laquelle elles réfractent la lumière. Elles sont prodigieusement nombreuses. C'est tout un monde d'étoiles. Celles des couches superficielles sont excessivement petites; elles n'ont que 0mm,01 à 0mm,016. Leurs prolongements sont d'une finesse extrême. Par contre, elles ont un noyau relativement volumineux. C'est même lui qui décèle la présence de la cellule qui passerait certainement inaperçue sans cette enseigne. Dans l'état naturel, elles ont une forme arrondie; mais elles apparaissent presque toujours triangulaires à l'observateur, par suite de la pression exercée par la lame de verre. Celles des couches profondes ont des dimensions qui se rapprochent de celles des cellules des cornes antérieures de la moelle. Elles mesurent environ 0mm,035. Elles sont, elles, naturellement triangulaires. Leur sommet est toujours dirigé vers la périphérie; leur base regarde toujours le centre de l'encéphale. Dans la stratification des couches corticales, il n'existe pas une ligne de démarcation très-tranchée entre les deux ordres de cellules. Entre les cellules les plus petites et les cellules les plus grosses se trouvent des plans intermédiaires de cellules qui, par leurs dimensions et leurs formes, font passer insensiblement des premières aux secondes. Grâce à ses nombreux prolongements, chaque cellule s'anastomose avec les cellules voisines de la même couche, avec quelques-unes de la couche sous-jacente, et enfin avec les fibres de la substance blanche; de telle sorte qu'avec les coupes verticales, comme avec les coupes horizontales, l'observateur se trouve toujours en présence d'un réseau cellulaire excessivement

riche. A côté des cellules complètes on aperçoit, çà et là, des noyaux libres. Représentent-ils des débris de cellules en voie de destruction ou le premier pas de cellules en voie de formation? C'est ce qu'il est difficile de décider. Dans tous les cas, le fait semble indiquer qu'il s'opère un renouvellement incessant des éléments histologiques de l'intelligence, et qu'il y a peut-être là un roulement favorable aux défaillances de la mémoire, et à l'extension incessante des notions à enregistrer.

La substance blanche cérébrale est, de son côté, constituée par deux groupes bien distincts de fibres. Les unes sont rectilignes et disposées comme des rayons qui, partis d'un centre commun, le noyau de l'encéphale, iraient, en divergeant, aboutir à tous les points de la couche corticale de l'hémisphère. On est convenu de les appeler fibres convergentes. Les autres sont curvilignes et disposées par faisceaux qui se rendent d'une circonvolution à une autre plus ou moins éloignée. Anatomiquement, elles relient les cellules d'un département de la couche corticale à celles d'un autre département; physiologiquement, elles associent, dans un travail d'ensemble, des groupes d'agents éloignés les uns des autres. Elles prennent le nom de fibres commissurantes. Il est a peu près impossible de décider, par l'inspection anatomique, à quelles cellules se rendent spécialement les fibres convergentes émanées de la couche optique, et celles qui aboutissent, d'autre part, au corps strié. Se basant sur ce que la couche optique doit être regardée comme le centre général de la sensibilité, et le corps strié, comme un centre du mouvement volontaire; se basant, en outre, sur ce que partout les cellules sensitives se montrent beaucoup plus petites que les cellules motrices, Luys pense que les fibres cortico-striées doivent partir des grosses cellules de la couche profonde, et que les fibres cortico-optiques doivent aboutir aux petites cellules de la couche superficielle. Quant aux fibres commissurantes, le microscope montre d'une manière évidente qu'elles sont exclusivement réservées aux petites cellules.

Quelques faits de structure d'une application moins immédiate méritent cependant encore d'être mentionnés ici. Ainsi, le corps calleux a donné lieu à des hypothèses anatomiques qui correspondent à des hypothèses physiologiques différentes. Luys, à l'instar d'Arnold, de Reil, d'Owen, le regarde comme étant formé de fibres commissurantes exclusivement destinées à relier les deux hémisphères cérébraux, et à établir, dans leur fonctionnement, un consensus

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