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perçus, avec leurs caractères distinctifs, tous les ébranlements sensitifs, qu'ils aient pris naissance sur les téguments, dans les muscles, dans l'œil, l'oreille, le nez. Elle est à la fois le centre nerveux de la vision, de l'audition, de l'odorat, du tact, du sens musculaire, de la douleur.

Quoique Luys ait formulé de main de maître cette théorie en s'appuyant seulement sur les données anatomiques et pathologiques, il n'avait pas obtenu un grand nombre d'adhésions, tout justement parce que son interprétation manquait de démonstration expérimentale. Ce desideratum paraît avoir été comblé dernièrement par M. Fournié. Par un procédé opératoire qui était déjà venu à l'esprit d'un étudiant de Nancy, il y a 8 ou 10 ans, mais qui n'avait pas été mis en œuvre, ce médecin serait arrivé à constater la vérité des vues théoriques de Luys. La destruction des couches optiques par des injections caustiques supprimerait les fonctions sensorielles, ou les rendrait inefficaces en empêchant la partie essentielle de leur mécanisme de s'effectuer. M. Fournié fait observer judicieusement que de ce que les animaux crient et semblent encore exprimer de la douleur lorsqu'on leur a enlevé les couches optiques, cela ne prouve nullement qu'ils sentent en réalité. Car ces manifestations de douleur peuvent fort bien n'être que des phénomènes réflexes.

Les altérations du mouvement que l'on produit en lésant artificiellement les couches optiques, ne sont pas non plus, selon moi, de nature à infirmer cette localisation. Les expériences de Serres n'offrent pas la rigueur qu'il leur accorde, car ses incisions comprenaient non-seulement la couche optique ou le corps strié, mais encore le lobe cérébral proprement dit; et, à priori, l'effet produit pourrait aussi bien être attribué au cerveau lui-même. En négligeant même cette cause d'erreur, on ne serait pas encore tenu d'accepter ses déductions, puisque l'anatomie nous montre que même celles des fibres du pédoncule qui ne pénètrent pas dans la couche optique et qui vont directement dans le corps strié contractent avec la première des connexions tellement intimes, qu'il est impossible d'agir sur elle sans les intéresser aussi. Ces fibres sont destinées à agir sur les muscles par l'intermédiaire de la protubérance, du bulbe et de la moelle. Quelle que soit la région sur laquelle on irrite ce système de fibres, on produit toujours des phénomènes moteurs. Il n'est donc pas étonnant qu'il en soit de même lorsqu'on agit sur

elles à leur passage contre la couche optique. C'est pourquoi les sections qui portent, même exclusivement, sur cette couche, peuvent produire des paralysies. Par le fait, on détruit la continuité des fibres qui réunissent les muscles aux centres de la volonté; mais on ne supprime pas la fonction propre de la couche optique qui n'est pour elle qu'un terrain de passage ou de voisinage. Si on voit la paralysie musculaire envahir tantôt le membre antérieur, tantôt le membre postérieur, tantôt les quatre membres à la fois, cela tient à ce que les sections n'intéressent pas toujours toutes les fibres, ni toujours les mêmes fibres. C'est pourquoi, aussi, l'excitation d'une seule couche optique peut donner lieu à un mouvement de manége. C'est comme si on irritait les pédoncules avant leur pénétration dans le noyau de l'encéphale; et c'est tout justement un mouvement de ce genre qu'on obtient dans ce cas.

Du reste, la raison elle-même avec les données anatomiques prépare, pour ainsi dire, cette solution. Il n'existe pas de fibres allant d'une manière continue des muscles à la couche corticale du cerveau ou de la peau à cette même couche. Ce qui existe, ce sont des fibres qui, avec des interruptions cellulaires plus ou moins nombreuses, viennent de la périphérie converger vers les deux renflements gris, couche optique et corps strié; puis apparaissent d'autres fibres qui, parties de ces deux renflements, vont en divergeant se distribuer aux différents points de la calotte grise cérébrale. Cette dernière doit toujours intervenir pour donner une détermination volontaire aux mouvements et pour transformer en notions les impressions sensorielles. Pour cela, il est indispensable qu'elle soit mise en relations avec les muscles et les organes des sens, et ces relations ne peuvent s'établir que par l'intermédiaire des couches optiques et des corps striés. Ces deux renflements sont-ils indifféremment affectés l'un et l'autre à la sensibilité et au mouvement, bien chacun d'eux accapare-t-il soit le rôle sensitif, soit le rôle moteur? C'est cette dernière disposition qui, à priori, paraît la plus probable. Car on ne comprendrait pas l'existence de deux organes aussi distincts, aussi différents, pour aboutir à une identité d'action. La spécialité étant probable, il y a lieu aussi de penser que la sensibilité est le lot de la couche optique, puisque l'anatomie et la physiologie expérimentale tendent à le démontrer, et puisque la pathologie nous apportera encore un plus grand nombre de preuves

en ce sens.

ou

Aussi je n'hésite pas à accepter cette localisation. La couche optique achève l'œuvre commencée par la protubérance. L'ébranlement sensitif va, en se perfectionnant, de la périphérie aux couches optiques inclusivement, et ce n'est qu'arrivé à ce dernier terme qu'il engendre une perception aussi complète que possible. En se propageant au delà, les résultats qu'il produit sortent du simple sentiment et sont tout à coup d'une nature plus élevée; ils consistent en des phénomènes intellectuels. Ce sont des idées provoquées par le sentiment. La couche optique représente la limite supérieure du système nerveux sensoriel. Elle touche immédiatement à la sphère psychique, et elle seule a le pouvoir de relier le système nerveux intellectuel au précédent. C'est dans la couche optique que les images sont produites, que les objets sont photographiés, que les vibrations sonores sont transformées en sons, que les effluves des corps odorants deviennent des odeurs, que les ébranlements de contact direct deviennent pour la conscience une impression de tact. Là, le fait sensoriel est accompli et le cerveau n'a plus qu'à discuter, à raisonner, à interpréter ces images, ce son, cette odeur, ce toucher. Les cellules de ce centre ont pour mission de donner un corps, ou plutôt une existence physiologique, aux divers ébranlements venus de la périphérie, d'en faire des phénomènes vitaux tout à fait spéciaux. Mais ces cellules peuvent produire le même résultat sans avoir reçu, pour ainsi dire, la matière première de leur travail spécial. Toutes les fois qu'elles sont suscitées d'une manière quelconque à entrer en activité, elles ne peuvent que créer et créent forcément des images, des sons, des odeurs, etc., puisque c'est là leur lot, leur aptitude spéciale. Dernier rouage de la machine élaboratrice des phénomènes sensoriels, ses produits sont toujours, en toutes circonstances, ceux de la dernière phase de cette élaboration. Lorsqu'une idée, une cellule intellectuelle vient, par un courant centrifuge, stimuler les cellules de la couche optique, l'image ou le son apparaissent comme s'ils avaient été provoqués d'une manière centripète par des objets réels. C'est ainsi que les souvenirs acquièrent la puissance de la réalité. Lorsqu'elles entrent spontanément en action par un afflux de sang, ou par une cause intrinsèque quelconque d'irritation, les mêmes sensations subjectives apparaissent encore, et peuvent à leur tour éveiller dans les cellules intellectuelles des idées qui ne sont pas en rapport avec ce qui nous entoure. C'est ainsi que les rêves peuvent naître, se développer, s'épanouir et s'entretenir par un travail

qui se passe entièrement entre le cerveau et les couches optiques, lesquels ont rompu momentanément toute connexion fonctionnelle avec la moelle, les nerfs sensitifs et les organes des sens réduits à l'inertie par le sommeil, lesquels ont rompu par le fait avec le monde extérieur, dont l'existence est momentanément comme non

avenue.

II. POINCARÉ.

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TRENTE-QUATRIÈME LEÇON.

Physiologie pathologique générale.

MESSIEURS,

Nous allons trouver dans l'observation clinique un appui considérable pour les idées théoriques qu'ont fait naître en nous l'étude anatomique et physiologique de la couche optique. Les altérations de ce centre nerveux peuvent provoquer des troubles du mouvement et de la sensibilité tant générale que spéciale. Ces derniers peuvent même engendrer de véritables hallucinations.

Troubles de la motilité. - Serres a réuni plusieurs observations qu'il regarde comme démontrant que les couches optiques président à la motilité des membres thoraciques, tandis que les corps striés président à celle des membres abdominaux. Dans l'une, il s'agit d'un jeune homme qui eut des convulsions limitées au bras gauche, revenant par accès, et qui, à l'autopsie, montra un foyer purulent considérable, occupant le lobe postérieur de l'hémisphère cérébral droit. Cette première observation est passible de l'objection que nous avons opposée aux vivisections de Serres, puisque le foyer appartenait encore au cerveau proprement dit. Il en est de même du malade Genevay, qui avait une paralysie du bras gauche et un épanchement dans la partie postérieure du lobe droit. Le fait qu'il emprunte à Sandifort rentre encore dans le même cas. L'homme dont ce médecin a rapporté l'histoire avait une sensibilité du bras gauche telle, que le moindre froid, le moindre courant d'air qui venait le frapper donnait lieu aussitôt à des convulsions des muscles de ce membre. Il se trouvait aussi un abcès dans le lobe cérébral droit, siégeant au niveau de la partie inférieure du pariétal. En admettant même que le symptôme signalé puisse être attribué entièrement à la couche optique, on serait encore en droit de se demander si elle n'aurait pas plutôt agi à titre de centre de sensibilité,

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