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provoqués par une impression quelconque, provenant peut-être de la plaie elle-même.

Il est bien évident, en présence de ces faits, que la station et les divers modes de progression sont possibles sans le cerveau, et qu'en dessous des lobes cérébraux il existe une machine locomotrice qui peut fonctionner d'une manière indépendante et avec une régularité mathématique qui, dans l'état normal, obéit en effet au cerveau, mais qui peut entrer en action sous d'autres influences; une machine qui, en outre, porte en elle-même un besoin impérieux de l'équilibre du corps. Elle obéit d'une manière réflexe à l'impression que ressentent les organes lorsqu'ils ne sont plus soutenus; de sorte qu'avec elle seule le repos s'impose, tandis que le cerveau peut contrarier et contrarie à chaque instant ce besoin de la machine. C'est là un fait physiologique que nous mettrons à profit dans la pathologie.

Mais Ꭹ a-t-il entre cette machine et la partie intellectuelle du système nerveux une séparation aussi nette que celle qui est admise généralement ? Je ne le crois pas, tout au moins pour l'homme et les animaux supérieurs. Remarquez, en effet, que plus on s'élève dans l'échelle, plus l'absence du cerveau retentit sur les actes de la locomotion. Si rien ne parait changé pour la grenouille, si elle nage toujours et forcément lorsqu'elle a autour d'elle un terrain aqueux libre, si le poisson progresse aussi irrésistiblement, il n'en est déjà plus de même pour l'oiseau, car il ne vole que pour ne pas tomber; et chez le mammifère, c'est à peine si on obtient de lui quelques pas en le poussant. A mesure que l'animal s'élève dans la sphère intellectuelle, il devient de moins en moins un être machine. Plus l'intelligence se développe, plus le cerveau devient prépondérant sur le reste de l'axe cérébro-spinal, et plus son intervention est indispensable au fonctionnement des autres parties. Sans lui, alors, la machine sous-jacente n'est plus qu'un instrument qui reste muet, faute d'être touché par un artiste. Elle devient une armée sans chef qui reste immobile en attendant des ordres qui ne viennent plus. Voilà pourquoi un idiot ressemble à une masse inerte, quoique les parties inférieures de ces centres nerveux aient souvent un développement suffisant. Voilà pourquoi, chez l'homme, une simple apoplexie cérébrale peut faire ce que ne fait pas chez les animaux l'ablation des lobes cérébraux, c'est-à-dire réduire à l'impuissance une moitié de l'appareil locomoteur. Chez lui, cette lésion cérébrale suffit pour

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PHYSIOLOGIE DU SYSTÈME NERVEUX.

interrompre toute communication entre l'artiste et l'instrument, entre le chef et l'armée. Il y a, toutefois, pour ce résultat, une autre raison plus puissante encore, c'est que, grâce à l'inextensibilité de la boîte crânienne, grâce à l'absence de vide dans sa cavité, les différentes parties de l'encéphale deviennent forcément solidaires et subissent ensemble toutes les causes de pression, quel que soit leur siége.

VINGT-SEPTIÈME LEÇON.

MESSIEURS,

Les expériences pratiquées par Onimus et répétées par nous, nous ont appris que la moelle, le bulbe, la protubérance et le cervelet peuvent ensemble réaliser d'une manière à peu près complète la station et la progression. Faisant en ce moment l'histoire de la protubérance, nous devons nécessairement chercher à faire la part de cet organe dans cette œuvre qui, à priori, pourrait être considérée comme étant commune à toutes ces parties. Pour bien vous faire saisir l'esprit qui va me guider dans cette détermination, je crois nécessaire de vous faire connaître mes idées personnelles sur la machine nerveuse de la locomotion.

Je crois que cette machine est beaucoup plus étendue qu'on ne le suppose, et qu'elle commence en réalité à la couche corticale du cerveau pour se terminer au muscle et au levier osseux. C'est par une longue série de transformations que le mouvement moléculaire qui, né à la surface du cerveau, constitue là un acte intellectuel, devient peu à peu un acte purement mécanique. Un phénomène de l'ordre spirituel ne saurait devenir sans transition un phénomène d'ordre physique. Le fonctionnement, la vibration (ce mot n'étant ici qu'une image) des cellules cérébrales, donne naissance à une manifestation de la faculté dite volonté, à une impulsion volontaire. Cette vibration se propage à travers les fibres blanches qui, parties de la substance grise corticale, convergent vers le corps strié. Là, elle trouve un nouveau centre, riche en cellules. Celles-ci se la communiquent réciproquement, entrent en vibration à l'unisson et multiplient ainsi la force initiale. De plus, elles travaillent la vibration reçue, la modifient de façon à lui ôter de son spiritualisme et à la rapprocher davantage des ébranlements physiques. Ainsi modifiée, la vibration gagne par les pédoncules la protubérance où existe une nouvelle

agglomération de cellules. D'où nouvelle élaboration, nouvelle multiplication, nouveau pas vers un effet mécanique. Puis l'ébranlement, devenu déjà, ainsi, si puissant, s'augmente encore par l'intermédiaire des cellules du bulbe et de la moelle qui correspondent directement aux nerfs qui se rendent aux muscles. Il en est ici comme de ces machines industrielles où un mouvement initial faible finit par acquérir une puissance prodigieuse en passant par des agents multiplicateurs de transmission. Ce sont même ces considérations qui me portent à penser qu'il n'y a pas, pour les cellules des cornes antérieures de la moelle, de fibres encéphaliques gagnant les lobes cérébraux, sans éprouver la moindre solution de continuité, mais bien une série d'arceaux réunissant des cellules de la moelle à des cellules de la protubérance, celles-ci aux cellules des corps striés qui, à leur tour, seraient réunies par des fibres blanches partielles aux cellules cérébrales; ce qui rentrerait tout à fait dans les tendances actuelles des micrographes allemands et hollandais. Du reste, en dehors de ces arceaux étendus d'une station à l'autre, en dehors aussi de la possibilité d'une propagation de mouvement de cellule à cellule à travers toute la colonne grise, il pourrait y avoir des fibres se rendant, sans interruptions, jusqu'à la partie supérieure du cerveau, et affectées à la production des mouvements partiels nécessités par les diverses occupations de la vie. Quoi qu'il en soit, il est bien certain que, dans cette série de mutations, la protubérance représente une des étapes les plus importantes, car elle se trouve à la jonction des parties intellectuelles et des parties purement dynamiques de l'axe cérébro-spinal. Par sa richesse en substance grise, elle doit avoir une influence considérable dans ce travail de multiplication et de transformation.

Si on laisse de côté l'hypothèse que je viens de développer, on doit tout au moins reconnaître et dire que la protubérance est un des principaux centres locomoteurs, et qu'elle acquiert sur les autres une prépondérance d'autant plus grande que l'animal est plus élevé dans l'échelle. C'est probablement pour cela qu'on la voit augmenter de volume à mesure qu'on monte, et que c'est chez l'homme qu'elle atteint les plus fortes proportions. A mesure que l'on descend, la part de la moelle dans la locomotion augmente, au contraire, beaucoup au détriment de celle de la protubérance qui, anatomiquement aussi, se montre très-incomplète. Vous vous le rappelez, la grenouille peut marcher rien qu'avec la moelle. Aussi, les assertions surpre

nantes que j'ai émises antérieurement sur le rôle de l'axe médullaire dans la marche, ne s'appliquent qu'aux vertèbres inférieures. Mais à partir des oiseaux, ce qu'on obtient avec la moelle seule, même en pratiquant la respiration artificielle, est tout à fait insignifiant et s'efface de plus en plus, et il y a toujours une différence énorme avec ce qu'on observe chez les animaux qui sont simplement privés de leurs lobes cérébraux; ce qui vient donner la mesure du rôle de la protubérance dans la motilité. Il est vrai qu'il y a encore à tenir compte ici de la présence du cervelet. Mais, classiquement, on a l'habitude de le mettre facilement hors de cause et de rapporter à la protubérance seule la production de la plus grande force motrice que développe l'animal quand il la possède en même temps que la moelle. On se base pour cela sur des expériences de Flourens, que nous exposerons plus tard et qui tendent à démontrer que le cervelet n'est qu'un organe de coordination et non pas un organe producteur de force. On se base aussi sur des expériences plus directes, pratiquées par Longet. Il a enlevé, chez des mammifères, les lobes cérébraux, les corps striés, les couches optiques, les tubercules quadrijumeaux, le cervelet, ne leur laissant exactement que la protubérance, le bulbe et la moelle; et il a toujours vu ces animaux exécuter avec leurs quatre membres des mouvements tout aussi énergiques qu'à l'état normal. Il est vrai qu'ils ne pouvaient plus marcher. Mais cela tenait évidemment, selon lui, non pas à un affaiblissement musculaire, mais à ce qu'avec le cervelet, ils avaient perdu la faculté de coordonner leurs mouvements. Lorsqu'il enlevait ensuite la protubérance, ces animaux continuaient à respirer régulièrement, mais n'exécutaient plus que de légers mouvements réflexes lorsqu'on les pinçait.

Je crois qu'on s'est montré trop exclusif dans cette circonstance. Sans doute, le cervelet est, avant tout, un agent de coordination. Il est à la fois le couronnement et l'épanouissement de l'édifice coordinateur représenté par les cordons postérieurs. Mais la physiologie expérimentale et la pathologie viendront nous démontrer plus tard qu'il est, en outre, un producteur de force, de sorte qu'il concourt avec la protubérance à former la partie principale de la machine locomotrice. Du reste, physiologiquement, il est difficile de séparer l'action de la protubérance de celle du cervelet. Ces deux organes sont complémentaires l'un de l'autre, et la locomotion véritable n'est possible que grâce à l'association de leurs deux fonctionnements; ce

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