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nous avons accordé au cervelet nous permet bien de lui attribucr une influence indirecte sur l'exercice de l'audition par l'intermédiaire des muscles du marteau qui tendent ou relâchent la membrane du tympan pour atténuer ou accentuer l'intensité des vibrations sonores; ces muscles pourraient fort bien, comme tous les autres, être solidaires des états d'exaltation ou de dépression du cervelet; mais il ne pourrait en résulter qu'un défaut de perfectionnement dans l'exercice de l'audition, et on ne saurait trouver là la cause d'une surdité complète. Celle-ci tient très-probablement à une compression directe du nerf acoustique qui, en définitive, n'est pas hors de la portée du cervelet.

Troubles de la génération. Lussana n'accorde pas seulement au cervelet une influence sur les actes moteurs de la génération par l'intermédiaire du sens musculaire: dans une de ses lettres, il entre plus franchement dans les vues de Gall, et il attribue au lobe médian le siége du sens érotique. Il prétend que chaque fois que ce lobe est intéressé, et uniquement quand il l'est, il existe des troubles de la fonction génératrice. Chez le séminariste auquel il a donné des soins, et dont le lobe médian était manifestement malade, il y avait une tendance continuelle et effrénée aux rapports sexuels. Chez le paysan de Renzi, dont l'état anatomique était analogue, il y avait des emportements sexuels avec priapisme. Un jeune homme, dont le lobe médian passa par une période inflammatoire avant sa destruction, montra au début de sa maladie des penchants vénériens très-vifs; puis il manifesta de la froideur et devint tout à fait impuissant. Il fait observer, en outre, que ceux qui ont abusé des plaisirs vénériens sont souvent atteints d'une espèce toute particulière de vertige, ayant pour caractères de la titubation, de la faiblesse et un défaut notable du sens musculaire. Il a bien paru, en outre, dans les journaux, çà et là quelques observations favorables à cette opinion; mais que signifient ces quelques faits à côté de ceux, beaucoup plus nombreux, qui semblent indiquer que le cervelet n'exerce aucune influence sur les organes génitaux? D'ailleurs, puisque la pathologie et la physiologie s'accordent à nous montrer que les facultés instinctives siégent dans le cerveau proprement dit, pourquoi y aurait-il une exception pour l'instinct génital. La jeune fille du Dr Combettes avait cet instinct très-développé puisqu'elle se livrait à l'onanisme avec passion, et cependant elle n'avait point de cervelet.

Troubles de la phonation. L'articulation des sons se trouve

compromise environ dans le cinquième des cas. On peut assister à tous les degrés, depuis le simple embarras de la parole et l'affaiblissement de la voix, jusqu'à l'impossibilité complète d'articuler les sons. Les malades ont une parole lente et monotone. Il en est qui ne répondent que par des monosyllabes ou qui ne donnent leur réponse qu'à de longs intervalles. Ces phénomènes sont la conséquence de l'affaiblissement des muscles de la langue, du pharynx et du larynx. En effet, quand on leur demande de tirer la langue, ils ne le font qu'avec une extrême lenteur et après une série d'oscillations successives. Du reste, leurs lèvres sont prises de tremblements chaque fois qu'ils veulent parler. La lenteur de la parole ne tient pas à la lenteur de la formation des idées, car leurs facultés intellectuelles sont intactes et leurs réponses sont nettes et précises.

Troubles digestifs et respiratoires. - On observe quelquefois dans les maladies du cervelet une constipation opiniâtre, ce qui semblerait indiquer que la force motrice produite par le cervelet profite aux muscles intestinaux comme aux muscles de la vie de relation, et ce qui tendrait à prouver que l'idée de Willis n'avait que le tort d'être trop exclusive. Mais le symptôme le plus constant du côté des voies digestives est bien certainement le vomissement, qui se montre dans le tiers des cas. Gendrin et Vagner le rapportent à une lésion concomitante de la protubérance. Brown Sequard l'attribue à ce que l'irritation du cervelet provoquerait une action réflexe de la part du bulbe. Hillairet pense que le pneumo-gastrique est assez voisin pour pouvoir être irrité directement. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il n'implique pas le moins du monde une action spéciale du cervelet, car c'est là un symptôme à peu près commun aux maladies de toutes les parties de l'encéphale.

L'irrégularité du pouls et la respiration stertoreuse n'apparaissent qu'à la fin des affections cérébelleuses et indiquent que le bulbe est à son tour compromis. C'est encore à cette propagation du processus morbide qu'on doit attribuer les syncopes auxquelles les malades sont sujets.

Modifications dans le caractère. La physiologie nous a fait refuser au cervelet toute intervention dans les phénomènes intellectuels. La pathologie conduit aux mêmes conclusions, car l'intelligence reste parfaitement intacte dans les maladies de cet organe. L'imagination, le raisonnement, le jugement conservent leur degré de développement antérieur. Luys le reconnaît avec tout le monde, mais il

II. POINCARÉ.

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prétend que la force nerveuse engendrée par le cervelet peut, par l'intermédiaire du corps strié, agir sur les manifestations de la volonté; qu'il peut donner plus ou moins d'impétuosité, d'énergie et de ténacité aux déterminations de cette faculté, particulièrement aux déterminations de nature motrice. Il s'appuie sur quelques observations empruntées à Calmeil et à Andral. Ces observations méritent d'être mentionnées avec indication de leurs traits principaux. Un homme meurt après avoir montré subitement une grande exaltation et une agitation excessive, et, à l'autopsie, on trouve le cervelet et le corps strié fortement injectés, d'une teinte violacée même. Un aliéné, devenu très-violent et en proie à des impulsions irrésistibles, présenta un ramollissement du cervelet et le corps strié zébré de violet. Un autre malade, qui se livrait à des gesticulations continuelles et qui ne prenait pas une seconde de repos, offrit une congestion considérable du cervelet, du corps strié et de la protubérance. Un quatrième, en proie à des accès de fureur, montra un cervelet violacé et des corps striés rouges. Un cinquième, qui s'était signalé par une pétulance insolite, une activité dévorante, des accès d'emportement avec vociférations et mouvements désharmoniques, avait une congestion considérable du cervelet et des corps striés. Dans la collection d'Andral, on trouve un fait d'atrophie unilatérale du cervelet dont les symptômes principaux furent une grande timidité, une disposition à la frayeur, une manie irrésistible de déplacer les objets, une grande lenteur de pensée et de mouvement.

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Troubles du sentiment d'équilibre. Un des symptômes les plus fréquents des maladies du cervelet est le vertige. C'est au point que beaucoup d'auteurs ont voulu attribuer au cervelet seul ce phénomène morbide, quoiqu'il se montre souvent dans les maladies des autres parties du système nerveux et quoiqu'il puisse apparaître aussi sans qu'il existe aucune lésion apparente. Quelques-uns, voulant mieux préciser le mode de production du vertige, ont prétendu qu'il traduisait toujours un défaut de synergie entre les deux lobes du cervelet. D'autres, ne concédant plus à cet organe qu'un rôle de collaboration, ont présenté ce symptôme comme résultant de la cessation de la synergie qui existe normalement entre le cerveau et le cervelet. Y a-t-il réellement lieu d'accorder à ce dernier organe un pareil monopole plus ou moins mitigé? Ce fait que le vertige peut être engendré aussi par des altérations des lobes cérébraux, des couches optiques, des tubercules quadrijumeaux; qu'il peut être

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provoqué par une sensation pénible ou par une émotion morale qu'il peut même reconnaître pour cause première une maladie périphérique, notamment un état dyspeptique de l'estomac, ce fait, disje, ne me semble pas une raison suffisante pour faire rejeter d'emblée cette localisation, car toutes ces circonstances pourraient fort bien, par action réflexe, déterminer dans le cervelet les modifications fonctionnelles capables d'aboutir à la production du vertige. Pour arriver à juger convenablement la question, il faut avant tout chercher à pénétrer la nature et le mécanisme de ce phénomène.

Il est d'abord bien établi que celui-ci est loin de se présenter toujours sous la même forme. Chez les uns, il consiste en un simple brouillard qui leur voile tout ce qui se trouve dans leur champ visuel. D'autres, tout en distinguant nettement les objets, croient les voir entraînés dans un mouvement de rotation plus ou moins rapide, ou exécutant des mouvements alternatifs de bas en haut et de haut en bas. D'autres sont, au contraire, persuadés qu'ils subissent euxmêmes ou qu'ils vont subir des déplacements du même genre. Ils se sentent entraînés. Parfois, il y a plus qu'une illusion : ils chancellent et tombent ou tout au moins ils titubent pendant un certain temps. Dans tous ces cas, il peut y avoir en même temps des tintements d'oreille, des éblouissements, des images lumineuses subjectives, de l'hémiopie ou de la diplopie. Chez une personne sujette à des vertiges complets, certains accès peuvent être restreints à l'un de ces derniers symptômes.

Rien que cette variété d'aspects prouve que le mécanisme du vertige n'est pas toujours identique et que ce n'est pas toujours la même partie du système nerveux qui représente la cheville ouvrière du travail pathologique. Évidemment, lorsque le vertige consiste simplement en des éblouissements ou des tintements d'oreille, le théâtre du phénomène pathologique doit se trouver exclusivement dans le système nerveux de la vision ou de l'audition. Lorsque le vertige est plus complet et que les troubles visuels ou auditifs ne font que le précéder ou l'accompagner, ces mêmes organes nerveux représentent encore une partie de ce théâtre. Dans ces deux conditions, le vertige constitue bien une véritable hallucination, comme l'a dit Sauvage. Max-Simon le nie en prétextant que, dans les véritables hallucinations, le sujet reste, pour ainsi dire, dupe de la sensation erronée qu'il croit éprouver; tandis que, dans le vertige, il se rend parfaitement compte de l'illusion et n'est à aucun moment trompé par

elle. L'argument est plus spécieux que réel. Ici l'hallucination ne consiste pas dans la vue d'objets qui n'existent pas, mais dans des déplacements apparents d'objets dont l'existence est réelle, et l'intelligence conserve encore assez ses droits pour que le moi reste convaincu que ces mouvements sont impossibles. C'est tellement vrai, que les gens dont l'éducation a été à peu près nulle sont, eux, tout à fait victimes de l'illusion et croient à un véritable déplacement. De ce que les mêmes illusions peuvent avoir lieu chez les aveugles ou chez les sourds, ça ne prouve pas non plus que le vertige ne soit jamais d'origine sensorielle, puisque les véritables hallucinations, qui sont plus que des images subjectives, prennent naissance dans les centres nerveux eux-mêmes de ces sens. Ce premier genre de vertige, de nature hallucinatoire, doit avoir son siége dans la couche optique, puisque nous serons conduits plus tard à attribuer la production des hallucinations à ce renflement nerveux.

Lorsque le vertige se traduit par un chancellement et surtout lorsqu'il aboutit à une chute, lorsqu'en un mot l'individu qui est en proie à un vertige perd en réalité l'équilibre, il est évident qu'alors les centres locomoteurs sont mis en jeu et jouent même le rôle principal dans l'ensemble du phénomène. Dans ce cas, il est incontestable que le cervelet intervient pour une large part; mais, même alors, son action est inséparable de celle de la protubérance et des autres centres locomoteurs. Je ne saurais trop le répéter, il est fâcheux que l'anatomie et les besoins de la méthode nous forcent à étudier à part les fonctions des diverses parties affectées aux mouvements d'ensemble, car la protubérance et le cervelet n'ont réellement d'existence physiologique que parce qu'ils sont engrenés l'un dans l'autre. Isolés l'un de l'autre, ces deux organes seraient réduits à l'impuissance. Lorsque le malade croit seulement tourner et n'éprouve en réalité aucun déplacement, je crois que le siége principal se trouve encore être dans la même région. Il ne s'agit pas, dans ce cas, d'une simple hallucination, il y a un véritable entraînement et ce n'est qu'en luttant qu'il n'y cède pas.

Enfin, lorsque le vertige aboutit à une syncope ou à une perte de connaissance plus ou moins complète, cela tient à ce que le trouble central, qui est d'abord resté limité aux centres sensoriels et locomoteurs, s'est étendu au centre intellectuel, c'est-à-dire au cerveau. Alors le théâtre du vertige est aussi vaste et aussi complet que possible.

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