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une seule de ces interprétations à l'exclusion des autres, que moi, médecin, je n'hésiterais pas à me prononcer pour celle de Luys. Car si la physiologie expérimentale nous fournit généralement des faits qui nous procurent l'image d'une machine détraquée et non affaiblie, si, autrement dit, elle paraît donner raison plutôt à Flourens, la pathologie au contraire donne, d'une manière plus complète encore, raison à Luys, vu que, dans les maladies du cervelet, la faiblesse musculaire est des plus évidentes. Mais, même sans tenir compte des faits cliniques, moi qui crois à l'existence d'une machine coordinatrice dans le système nerveux central, je déclarerais encore que le cervelet, tout en faisant probablement partie de cette machine est avant tout un foyer créateur, vu qu'il renferme une grande quantité de cellules. Dans le système nerveux, des agents de coordination ne peuvent consister qu'en des fibres commissurantes réunissant entre elles deux cellules déterminées et les associant dans un travail d'ensemble. Les cordons postérieurs que nous avons regardés comme constituant la partie coordinatrice des actions motrices de la moelle ne sont formés que par un amas de fibres remplissant cette destination; il doit en être de même pour le cervelet. Là aussi les cellules doivent représenter les agents de création et les fibres, les moyens d'association. Là, la machine coordinatrice doit être constituée par les fibres blanches qui, en se rendant au corps rhomboïdal, font converger vers un nouveau centre plus restreint toutes les actions de détail de la substance grise de la périphérie, et surtout par les pédoncules cérébelleux qui combinent entre elles les actions des cellules du cervelet et avec celles des corps striés, de la protubérance et de la moelle. Le cervelet, c'est la moelle grossie et étalée qui se retrouve là avec ses cornes antérieures et ses cordons postérieurs affectant une nouvelle disposition respective. Dans la machine locomotrice, la partie coordinatrice ne peut pas être séparée de la partie créatrice. Ces deux parties sont forcément complémentaires l'une de l'autre. Elles se fusionnent entre elles anatomiquement et physiologiquement. Voilà pourquoi le cervelet doit être considéré comme étant à la fois un centre créateur et coordinateur, et c'est à ce double titre que ses lésions produisent de l'ataxie. Voilà pourquoi les deux interprétations de Flourens et de Luys sont peut-être également vraies. Dussé-je être accusé de vouloir faire de l'éclectisme à tout prix, j'ajouterai que je ne serais pas étonné qu'il y eût aussi du vrai dans l'interprétation de Lussana, puisque si le sens musculaire existe

II. POINCARÉ.

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PHYSIOLOGIE DU SYSTÈME NERVEUX.

réellement, il ne saurait être efficace qu'à la condition de venir surtout retentir là-même où s'engendre le mouvement. C'est d'autant plus probable que ce sens est à peu près inconscient. Il ne serait donc pas étonnant que le cervelet, qui est un centre considérable de production de force motrice et de coordination des actes moteurs, le cervelet qui, par sa position et son développement, domine les autres centres du mouvement, soit en même temps (passez-moi l'expression) un bureau de renseignements nécessaire pour l'accomplissement de ces actes.

Anatomie pathologique générale.

Après tous les détails dans lesquels nous sommes entrés sur les résultats nécroscopiques à propos de la moelle et surtout de la protubérance, nous n'avons que fort peu de chose à dire ici. Le cervelet s'est montré passible de toutes les altérations qu'on a pu rencontrer dans les autres centres nerveux, et celles-ci n'y présentent même aucun caractère particulier. Elles sont là, au microscope comme à l'œil nu, ce qu'elles sont partout ailleurs. La production morbide qu'on y rencontre le plus fréquemment est le tubercule. Viennent ensuite, comme fréquence, les hémorrhagies. Les tumeurs se montrent presque aussi souvent que les épanchements de sang. Il est vrai que, jusque dans ces dernières années, la sclérose a été confondue avec les tumeurs fibreuses. Le ramollissement occupe le quatrième rang. Le ramollissement inflammatoire paraît y aboutir à la suppuration avec la plus grande facilité, car on y rencontre très-souvent des abcès qui acquièrent même un volume considérable. Quant aux kystes, ils se tiennent, pour la fréquence, à une grande distance de toutes les lésions précédentes. Dans un des cas relatés par Andral, les parois s'étaient ossifiées en partie. Un fait digne de remarque, c'est que ces altérations, quelle qu'en soit la nature, siégent excessivement rarement dans le lobe médian. Elles occupent presque toujours un des lobes latéraux et plus souvent le droit que le gauche. Disons, enfin, que cet organe se prête à des absences congéniales portant sur un des lobes et même sur le cervelet entier. Ce dernier cas a été observé par le docteur Combettes sur une jeune fille qui a même vécu jusqu'à l'âge de 21 ans. Ce fait est même très-embarrassant pour toutes les théories qui ont été enfantées jusqu'à ce jour, puisqu'il n'a donné lieu qu'à une symptomatologie presque nulle.

TRENTE-DEUXIÈME LEÇON.

MESSIEURS,

Les altérations anatomiques, qui siégent dans le cervelet et dont j'ai indiqué la nature dans la dernière leçon, donnent lieu à des troubles variés qui ne concordent pas toujours parfaitement avec les résultats fournis par la physiologie expérimentale. Nous allons, dans une étude générale, soumettre à l'analyse physiologique les plus importants de ces troubles.

Physiologie pathologique générale.

Troubles de la motilité. Examen fait de toutes les observations publiées jusqu'à ce jour, on peut assurer que les troubles de la motilité consistent, le plus souvent, dans un affaiblissement progressif de la force musculaire. Cette faiblesse peut porter sur tout le système musculaire, ou sur une partie seulement. Elle peut même rester localisée dans un groupe très-restreint de muscles. Au début, elle ne se traduit que par un simple sentiment de lassitude. Le malade se sent fatigué. Il est incapable de fournir une dépense, même ordinaire, de mouvements. Cette incapacité se prononce de plus en plus et finit par se transformer en un accablement profond et même en une résolution presque complète. Le malade exprime lui-même l'état dans lequel il se trouve par le mot affaiblissement. Il dit qu'il perd ses forces de jour en jour. Il veut toujours rester couché et il tombe dans une apathie telle, que ce n'est que par des menaces qu'on arrive à le faire lever. Il ne peut marcher qu'à l'aide d'un bâton et il est obligé de se reposer à chaque instant. Cet affaiblissement progressif des forces a réellement quelque chose de caractéristique. Dans les hémiplégies produites par les maladies du cerveau, du corps strié

ou de la protubérance, dans les paraplégies produites par les maladies de la moelle, la paralysie est presque toujours complète pour les muscles atteints. Dans les maladies du cervelet, il y a rarement des paralysies complètes. Elles sont toujours lentes à s'établir, au point que, pendant longtemps, elles peuvent passer inaperçues. C'est qu'en effet, dans le premier cas, la lésion, par le fait même de son siége, interrompt brusquement et tout à fait la communication entre les ordres de la volonté et les muscles qui doivent obéir. Dans le second cas, cette communication persiste. Il n'y a de perdu, pour le mouvement, que la part de force que les cellules cérébelleuses sont appelées à fournir; et cette perte ne peut se faire sentir que graduellement, parce que l'altération anatomique ne supprime ellemême que peu à peu les cellules créatrices. Même quand cette suppression est arrivée à être aussi complète que possible, il ne saurait encore y avoir une paralysie absolue, parce que le corps strié, la protubérance et les cornes antérieures de la moelle peuvent encore alimenter la contraction musculaire et se mettre au service de la volonté.

Quelques auteurs ont signalé au lieu de cet affaiblissement général, une hémiplégie qu'ils assimilaient complétement à celles que peuvent déterminer les maladies du cerveau. D'autres ont même indiqué l'existence d'une paraplégie identique à celles qu'engendre la moelle. Mais en lisant attentivement ces observations exceptionnelles, on constate qu'à part celles où le cerveau et la protubérance ont été mis en cause, directement ou indirectement, ainsi que l'attestaient les troubles intellectuels ou l'état comateux, ces hémiplégies ou ces paraplégies se sont établies avec une certaine lenteur, et que jamais elles ne sont devenues absolues. Au fond, il s'agissait d'affaiblissements partiels qui, pour des raisons qu'il est impossible de connaître actuellement, se trouvaient nettement localisés à une moitié du corps. Il n'y avait, du reste, nullement lieu à rapprocher ces hémiplégies de celles qui sont d'origine cérébrale. Celles-ci sont toujours en correspondance régulière avec l'hémisphère cérébral du côté opposé. Il n'en est plus de même pour le cervelet: tantôt la paralysie siégeait du même côté que la lésion, tantôt du côté opposé. Le plus souvent, un seul lobe malade suffit pour affaiblir en même temps les deux moitiés du corps. Il est absolument impossible d'établir une relation fixe entre la région paralysée et le point malade du cervelet. Notez, du reste, que les faits d'hémiplégie véritable se sont surtout

montrés dans les cas d'Hillairet, c'est-à-dire dans les apoplexies cérébelleuses. Or, les épanchements sanguins, en raison même de leur formation brusque, font retentir la compression qu'ils exercent sur toutes les parties de l'encéphale et, malgré la présence de la tente du cervelet, le foyer de sang qui s'est formé instantanément dans le cervelet, peut agir sur le cerveau ou la protubérance.

Le tableau que je viens de tracer de l'état de la motilité dans les maladies du cervelet n'est certainement pas applicable à tous les cas. Il est des sujets chez lesquels il semble n'exister aucun affaiblissement musculaire, mais ils forment des exceptions tellement rares qu'on peut se demander s'il n'y a pas eu un degré d'asthénie assez faible pour échapper à l'observateur non prévenu. Je n'ai encore été témoin que de deux cas de maladies du cervelet vérifiées par l'autopsie, et j'ai été frappé de cette paralysie progressive qui m'a rappelé tout à fait celle que nous rencontrerons dans la maladie appelée paralysie générale des aliénés. Dans tous les cas, je crois qu'elle est assez constante pour que le médecin physiologiste n'hésite pas à déclarer que le cervelet est avant tout un centre locomoteur, et qu'il n'est pas seulement un centre coordinateur, comme le veut Flourens.

Poursuivons du reste notre analyse des phénomènes morbides, et voyons jusqu'à quel point la thèse de Flourens peut être soutenue au lit du malade et s'il y a lieu d'annexer ce rôle de coordination au précédent. Beaucoup de malades présentent, dès le début, une certaine irrégularité dans la démarche. Leurs pas semblent se faire avec une grande hésitation, ils trébuchent à chaque instant et tombent même souvent; ils sont, comme le dit Luys, constamment à l'état d'équilibre instable. Il y a des moments où ils sont tout à fait incapables de se tenir debout. Quelques-uns présentent même une telle désharmonie dans la locomotion et la station, qu'ils reproduisent exactement l'aspect d'un homme ivre. Il s'est passé à Paris un fait qui prouve bien cette ressemblance avec l'ivresse. Une femme de 42 ans se présente dans un hôpital. Tout le monde reste convaincu qu'elle est ivre et on la met à la porte. Elle fait une nouvelle tentative dans un autre hôpital où elle est enfin admise. Elle y meurt au bout de 5 jours et à l'autopsie on trouve des tumeurs gommeuses dans le cervelet. Lallemand avait du reste déjà rapporté un fait analogue. Sans doute les choses ne sont pas toujours aussi prononcées, mais il y a, la plupart du temps, des troubles du même genre assez apparents pour que Lewen et Olivier aient pu déclarer que, dans les maladies

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