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postérieure du cervelet. Le premier effet du froid était d'abord la marche en avant; puis après venait le recul; on aurait dit le premier effort d'un animal égaré qui cherche à fuir. Il a vu aussi de la titubation; mais il croit que cette confusion dans les mouvements pourrait bien provenir d'actions musculaires réflexes. Ces actions réflexes contre-balanceraient pendant quelque temps l'influence des centres de la volonté, qui d'ordinaire sont tout-puissants. De l'ensemble de ses expériences, il conclut que le cervelet n'est point un centre particulier dont l'irritation ou la suppression retentisse sur une fonction déterminée; qu'il n'est sans doute qu'un renflement, qu'un épanouissement du système spinal; que sa substance grise a absolument les mêmes propriétés et les mêmes fonctions que la substance grise de la moelle; qu'il n'est en définitive qu'un moyen de renforcement de l'axe médullaire. Notons enfin l'opinion plus radicale encore de Brown Sequard qui déclare que le cervelet ne possède aucune des fonctions qu'on a voulu lui attribuer jusqu'à présent, et que les phénomènes si variés qu'on observe dans les vivisections ne sont que l'expression de retentissements réflexes de cet organe sur les diverses parties du système nerveux, d'où l'inconstance de ces résultats. Messieurs, nous venons de passer en revue les nombreuses hypothèses physiologiques dont le cervelet a été l'objet jusqu'alors. Je vous avoue que je suis bien embarrassé de formuler une opinion personnelle, au milieu de ce conflit d'assertions et d'expériences. Cependant il me paraît possible de circonscrire un peu les débats et d'arriver pas à pas à une solution provisoire qui pourra peut-être se fortifier encore sur le terrain de la pathologie. En effet, toutes ces théories, toutes ces expériences, quelque disparates qu'elles puissent paraître, peuvent être rapportés aux cinq chefs suivants : 1° le cervelet est préposé à l'exercice des facultés intellectuelles ou instinctives; 2o il est le centre nerveux de la génération; 3° il est un centre moteur pour les phénomènes mécaniques des fonctions végétatives; 4o il est un centre de sensibilité générale et spéciale; 5° il est un centre affecté à la locomotion et à la station. Tels sont en définitive les divers points de vue qu'il nous faut chercher à juger.

1o On peut déjà, sans la moindre hésitation, passer condamnation sur la première de ces idées. Le cervelet n'est pour rien dans la formation des idées. Il n'est pas non plus, quoi qu'ait pu dire Bourillon, le centre des facultés instinctives. Tous les expérimentateurs ont reconnu, ainsi que Flourens l'avait annoncé, que les animaux privés

de leurs lobes cérébraux se montraient complétement dépourvus d'intelligence, malgré l'intégrité de leur cervelet; que ceux, au contraire, dont on avait respecté le cerveau, après avoir détruit leur cervelet, prouvaient par leur physionomie et leurs actes qu'ils possédaient encore leur degré ordinaire d'intelligence. Ce pigeon auquel nous venons d'enlever une bonne partie de sa masse cérébelleuse, présente bien certains troubles dont nous aurons à tenir compte ultérieurement, mais il ne paraît pas avoir perdu quelque chose de son modeste entendement. Il en est de même pour les instincts. Ainsi que les oiseaux de Flourens, celui-ci mange, cherche lui-même sa nourriture. Il a conservé toutes les tendances instinctives préposées à la nutrition et à la conservation de l'individu. Il est accessible au sentiment de la peur, il évite ce qu'il croit être un danger pour lui, il prend des précautions contre les causes d'accident. La chose est parfaitement jugée depuis longtemps du reste le cervelet n'est pas un agent direct des phénomènes psychiques. La pathologie viendra encore confirmer cette donnée des plus positives de la physiologie. Les cellules de la couche corticale du cerveau sont seules affectées à ces phénomènes. Quant à savoir si le cervelet peut indirectement venir fouetter ces cellules et les provoquer à agir avec plus d'impétuosité et de ténacité comme le veut Luys, c'est là une supposition que la physiologie n'autorise ni à rejeter ni à accepter. Les faits pathologiques ont pu seuls lui faire prendre naissance dans un esprit aussi judicieux. Nous verrons s'ils sont de nature à lui donner raison.

2o La seconde idée, celle de Gall, est loin aussi d'être bien établie, car presque tous les arguments que cet auteur a mis en avant sont passibles d'une réfutation facile. On ne peut pas déclarer que le cervelet est d'autant plus développé qu'il s'agit d'une espèce plus portée vers les rapports sexuels, puisque cet organe est presque nul chez la grenouille rainette, les crapauds et les vipères qui se livrent à des accouplements fréquents; puisqu'il a des proportions mesquines chez les singes cynocéphales qui se font remarquer par leur lascivité. Il n'est pas vrai non plus qu'il existe une espèce de parallélisme entre le développement du cervelet et celui des organes génitaux, puisque ce centre nerveux acquiert des proportions presque définitives avant la puberté, et puisqu'il ne s'atrophie pas dans la vieillesse. La femme a bien, comme le dit Gall, le cervelet un peu plus petit que celui de l'homme, mais c'est au même titre que le cer

veau lui-même, en raison de ses conditions physiques et sociales particulières. Du reste, il est loin d'être prouvé qu'elle a moins d'instincts érotiques que l'homme. C'est aussi une erreur de prétendre que le cervelet est moins volumineux chez les animaux qui ont été soumis à la castration, car tous les vétérinaires s'accordent à dire que, dans l'espèce chevaline, c'est le contraire qui a lieu. C'est une prétention, non-seulement erronée, mais même ridicule, que de dire que le cervelet est plus turgescent au printemps qu'en hiver. L'argument relatif aux idiots est beaucoup plus rationnel que ceux qui précèdent, car en général, chez eux, les proportions du cervelet contrastent avec l'atrophie du cerveau, mais ce n'est là ordinairement qu'un effet de comparaison. Serait-il du reste réellement plus développé, que cela pourrait tout aussi bien se rattacher aux convulsions épileptiformes dont ces êtres sont très-souvent atteints.

Les vivisections ne semblent pas non plus capables d'apporter une lumière bien grande sur ce sujet, car elles ont conduit depuis Gall à des résultats tout à fait contradictoires. Segalas déclare n'avoir rien observé du côté des organes génitaux en irritant le cervelet. Budge et Valentin prétendent au contraire avoir vu les trompes et les vésicules séminales se contracter manifestement dans les mêmes circonstances. Vulpian, Brown Sequard ont eu des résultats variables, tantôt positifs, tantôt négatifs. D'autre part, Flourens a vu l'instinct de la propagation parfaitement conservé chez un coq qui avait survécu à l'extirpation du cervelet, tandis que Lussana déclare qu'un dindon, qui s'était toujours montré très-libidineux avant l'extirpation du cervelet, resta désormais parfaitement calme quoique restant en rapports continuels avec ses anciennes femelles. Somme toute, la physiologie ne permet pas de rejeter complétement l'idée de Gall. Nous verrons qu'il en sera de même pour la pathologie. Il semble y avoir là en effet une certaine influence, mais qui est si peu marquée et si inconstante que Vulpian n'hésite pas à l'attribuer à la propagation de l'irritation au bulbe, et Brown Sequard à une irritation sensitive agissant d'une manière réflexe sur un autre centre nerveux. Lussana, qui regarde l'effet comme constant, l'attribue, non pas à une action psychique, ni à une action motrice, ni à une action sécrétoire, mais uniquement à la perte du sens musculaire qui donnerait aux organes génitaux, comme aux organes de la locomotion, une paralysie apparente. Quoi qu'il en soit, que l'influence génitale du cervelet existe ou n'existe pas; qu'elle soit directe ou indirecte, il n'en

est pas moins évident que ce genre d'action serait secondaire et que le cervelet serait en même temps affecté à des fonctions plus importantes; car on ne peut pas admettre que la nature ait attribué uniquement à la propagation de l'espèce une partie si considérable de la masse encéphalique. Évidemment ce rôle ne pourrait être qu'un point de détail, qu'une des facettes du fonctionnement du cervelet.

3o L'idée de Villis, qui de sa part n'était en définitive qu'une conception d'amphithéâtre, ne saurait non plus être admise dans son entier. Plusieurs expérimentateurs modernes prétendent que les lésions du cervelet retentissent sur les battements du cœur ou sur les mouvements de l'intestin. Cl. Bernard lui-même dit avoir arrêté la sécrétion du jabot sur des pigeons par une blessure du cervelet. Mais, outre que le fait est contesté par Vagner, on peut encore opposer à ces assertions, celles d'un plus grand nombre d'observateurs qui, tous, déclarent que les phénomènes mécaniques des fonctions végétatives ne sont pas troublés par l'ablation du cervelet. La pathologie humaine nous conduira aussi aux mêmes conclusions. De sorte qu'il est bien probable que les influences signalées plus haut étaient dues exceptionnellement à une action réflexe. Aussi Luys est-il à peu près seul aujourd'hui à lui accorder une intervention directe dans les actes moteurs de la vie organique. Quant à Lussana, il n'admet qu'une influence indirecte due à la perte du sens musculaire.

4o Le cervelet n'est pas non plus un centre de sensibilité générale ou spéciale. Ce quatrième point de vue n'a absolument pour lui que quelques faits cliniques qui, au premier abord, semblent favorables à cette théorie et sur lesquels nous aurons à nous prononcer plus tard; et les résultats des dissections particulières de Foville qui sont loin d'être acceptés par les anatomistes les plus autorisés. Mais sur le terrain de la physiologie expérimentale, elle ne rencontre que des données qui lui sont tout à fait opposées. Flourens, Vulpian, etc., n'ont jamais observé le moindre affaiblissement de la sensibilité, après avoir lésé le cervelet de mille manières et très-profondément, même après l'avoir enlevé complétement. Vulpian a rencontré quelquefois une exagération de la sensibilité. Mais l'examen des faits expérimentaux l'a convaincu qu'il s'agissait d'une hypéresthésie due à une irritation des parties voisines, de sorte que, classiquement, il est à peu près établi aujourd'hui que les maladies et les vivisections n'ont jamais pu troubler la sensibilité générale qu'à la condition d'avoir retenti sur la protubérance elle-même. D'autres expériences

de Flourens démontrent que l'exercice de la vision et de l'audition reste intact après l'ablation du cervelet. Quand on approche, chez un animal ainsi mutilé, la main de l'un des yeux, il retire sa tête pour éviter le coup. De même il cherche à fuir quand on fait un bruit intense. Ce pigeon voit parfaitement et entend de même. Il sent aussi le moindre contact, n'importe où on le touche. D'ailleurs un résultat contraire aurait été de nature à nous faire renoncer complétement à tout ce que nous avons admis antérieurement. Nous avons reconnu que les impressions sensitives sont transmises uniquement par la substance grise. Or il n'y a pas, entre le cervelet et les autres parties du centre cérébro-rachidien, continuité de cette substance.

5o Nous voilà donc conduits par voie d'exclusion à n'avoir plus en face de nous que le cinquième point de vue qui regarde le cervelet comme étant avant tout un organe attaché à la locomotion. Cette opinion ne va pas être pour nous un simple pis-aller, car elle s'impose évidemment à toute personne qui n'est pas dominée par un esprit de système. En effet, il est une chose qui me paraît parfaitement acquise aujourd'hui, c'est que la suppression ou même la diminution d'action du cervelet amène des désordres dans la locomotion ou dans la station, chez tous les animaux. Tous les expérimentateurs modernes signalent même l'apparition d'une grande ataxie dans les mouvements. Flourens, Magendie, Duchenne, Lussana, Luys, Lewen et Olivier, Weir-Michell le déclarent de la façon la plus unanime. Un seul prétend qu'ils ne sont pas constants, c'est Vagner. Vous pouvez constater, d'ailleurs, qu'il en est ainsi sur notre pigeon. Pour les modernes, il n'y a de dissentiment que sur l'interprétation à donner de cette ataxie. Flourens veut qu'elle tienne à ce que le cervelet a pour mission de coordonner les mouvements voulus par le cerveau, engendrés par la protubérance et l'axe médullaire. Luys ne voit en elle que l'expression d'un affaiblissement de la force motrice à la création de laquelle le cervelet prendrait une large part. Enfin, Lussana veut qu'elle soit due à ce que le cervelet serait le centre du sens musculaire qui doit fournir les renseignements nécessaires à la juste exécution des actes de la locomotion. Il est incontestable que les faits dont on est témoin dans les vivisections peuvent également s'expliquer par l'une ou l'autre de ces trois hypothèses, de sorte qu'en s'en tenant au point de vue rationnel, on se trouve fort embarrassé de faire un choix. On serait réellement forcé d'accepter

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