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à se tenir debout qu'en s'appuyant sur leurs ailes et sur leurs queues. Ils marchaient absolument comme s'ils étaient ivres. Ils tombaient souvent et roulaient sur eux-mêmes. Lorsque les dernières couches furent retranchées, la marche, le vol, la station, devinrent tout à fait impossibles. Placés sur le dos, les animaux étaient tout à fait incapables de se relever. « En un mot, dit Flourens, la volition, les « sensations, les perceptions persistent: la possibilité d'exécuter des « mouvements d'ensemble persiste aussi. Mais la coordination de «< ces mouvements en mouvements de locomotion réglés et déter«minés est perdue. Dans le cervelet il existe donc une propriété « qui consiste à coordonner les mouvements voulus par certaines << parties du système nerveux, excités par d'autres. » Dans une autre série d'expériences, Flourens a obtenu des résultats qui avaient déjà été signalés par Magendie, et qui, selon lui, viennent à l'appui de la première conclusion. Les lésions de la partie postérieure du cervelet ont souvent produit une tendance à marcher ou à courir en avant; et les lésions des parties postérieures une tendance au recul. Il attribue ces effets à ce que les lésions partielles ne pouvaient que troubler les conditions d'équilibre. Duchenne de Boulogne va plus loin que Flourens. Se basant uniquement sur des faits pathologiques, il voit dans le cervelet quelque chose de plus qu'une machine bien organisée de coordination. Il en fait le siége d'une certaine faculté psychique d'harmonisation des mouvements.

Un physiologiste italien, Lussana, a, comme tout le monde, constaté la vérité des faits signalés par Flourens. II reconnaît aussi que ces faits ne doivent pas être attribués à une faiblesse musculaire. Mais il prétend que le cervelet n'est pas non plus un agent de coordination; que ce qu'on supprime en lésant cet organe, c'est le sens musculaire, et que le défaut d'harmonie n'est que la conséquence de cette suppression. Pour lui, le cervelet serait le centre de perception des impressions nées dans les muscles. Il serait l'agent central de cette sensibilité particulière qui nous donne la faculté de mesurer et par suite de gouverner les contractions musculaires. Dans l'échelle animale, il y aurait une correspondance parfaite entre la finesse du sens musculaire et le développement du cervelet. Ce sens, en effet, est assez prononcé chez les poissons qui montrent tant d'agilité à la nage. Il l'est peu chez les reptiles qui rampent ou sautent sans mesure. Aussi leur cervelet est-il plus petit que chez les poissons. Les oiseaux, qui, anatomiquement, sont mieux favorisés que les ani

maux précédents, ont déjà un sens musculaire plus délicat; car ils nuancent parfaitement leur vol. Mais c'est chez les quadrupèdes plus riches encore en masse cérébelleuse que les mouvements sont le plus souples et le moins saccadés. Lussana signale une expérience qui, à ses yeux, prouve bien la nature du désordre. Lorsqu'un dindon, privé de son cervelet, veut saisir un morceau de pain, il pointe son bec bien nettement. Mais il ne mesure pas bien la force de projection et il va pointer à un pouce de distance. Il essaye de nouveau et tombe toujours à côté. Le mouvement est bien coordonné dans ses détails, mais il n'est pas bien dosé. Dans d'autres expériences plus récentes et plus nombreuses, il a obtenu des résultats qu'il regarde encore comme confirmant son idée. Lorsqu'il se contentait d'irriter l'organe sans ablation d'aucune de ses parties, il n'observait aucun trouble des mouvements volontaires. Il en était de même lorsqu'il n'en enlevait qu'une très-faible portion, ou tout au moins, les troubles étaient tellement peu apparents qu'ils passaient inaperçus, parce qu'alors le sens musculaire n'était qu'un peu affaibli. Ils ne devenaient appréciables que dans l'obscurité, parce qu'alors la vue ne pouvait plus rectifier les erreurs dues à l'affaiblissement du sens musculaire. Lorsqu'enfin il enlevait la plus grande partie du cervelet, la perte du sens musculaire était telle, qu'il semblait y avoir une paralysie réelle, absolument comme chez la grenouille à laquelle on a coupé toutes les racines postérieures. Lussana complète son système en annexant les renseignements fournis par l'audition et la vision à ceux qui sont apportés par les nerfs sensitifs du système musculaire. Le cervelet centraliserait en lui toutes les impressions capables d'éclairer l'action des muscles dans la locomotion, qu'elles soient d'ordre tactile, ou visuel, ou auditif. Selon lui, la membrane nerveuse blanche, décrite par Foville et qui s'étendrait depuis la couche corticale du cervelet jusqu'aux tubercules quadrijumeaux, existerait réellement et serait chargée d'établir les rapports nécessaires entre le centre visuel et celui du sens musculaire. Ce serait grâce à elle que, toutes les fois qu'on incise le cervelet, les bulbes oculaires sont aussitôt saisis de contractions violentes. Sans doute qu'alors naissent des hallucinations visuelles, comme si les objets tournaient autour des animaux. Ce serait grâce à elle que les lésions spontanées du cervelet peuvent produire de l'amaurose ou tout au moins de l'affaiblissement de la faculté visuelle. Cette corrélation aurait surtout pour but d'aider le cervelet dans la direction géné

rale des mouvements volontaires. D'un autre côté, dans le même but, le cervelet s'associerait aussi l'action de l'audition par l'intermédiaire du nerf vestibulaire qui apporterait les renseignements fournis par la direction des sons. Mettant toujours à profit les vues anatomiques de Foville, Lussana fait remarquer que la branche limacéenne, qui est pour la tonalité et qui ne peut en rien aider le sens musculaire, prend naissance dans le bulbe de même que le nerf du goût, tandis que la branche vestibulaire va au cervelet.

En 1865, Luys a publié sur le système nerveux un ouvrage des plus remarquables où se presse une foule de vues nouvelles rehaussées par un style des plus imagés. Dans ce livre, il reprend l'idée de Rolando en la développant et en la mettant au niveau de la science actuelle, et il attaque de front l'interprétation rendue classique par Flourens. I reconnaît que les résultats qu'il a obtenus sur les animaux rappellent ceux signalés par Flourens et qu'au premier abord ils semblent justifier l'opinion de ce physiologiste. Les pigeons auxquels il avait enlevé successivement, dit-il, diverses portions du cervelet, se mouvaient en chancelant dans toutes les directions, d'une manière tout à fait irrégulière. Placés sur un bâton ou sur une table, ils cherchaient incessamment à se maintenir en équilibre, tantôt en balançant leurs ailes, tantôt à l'aide de leurs queues. Ils étaient en titubation continuelle et toujours sur le point de tomber en avant ou en arrière. Les phénomènes étaient encore plus apparents chez les poissons de rivière à forme plate. Ils n'avaient plus qu'une sorte de balancement latéral, irrégulier, qui portait immédiatement à comparer ces poissons à des corps flottants, dépourvus de lest, et réduits à l'état d'équilibre instable. Toutefois, en raison de son observation propre, il n'hésite pas à attribuer ces résultats, non pas à un défaut de coordination, mais à un affaiblissement de la force musculaire. Après les lésions du cervelet, la marche serait désordonnée comme chez les convalescents, uniquement parce qu'elle n'aurait plus assez de force à sa disposition. Pour lui, le cervelet représente le plus puissant centre de force motrice; par les pédoncules moyens, il déverse dans la protubérance, pour les besoins de la locomotion, une partie de la force qu'il produit. Par les pédoncules inférieurs, il contribue à l'innervation motrice du cœur, de la respiration, de l'intestin et de la vessie. Par les pédoncules supérieurs, non-seulement il va prendre une part active dans le rôle que le corps strié remplit dans la locomotion, mais il exerce même une véritable in

fluence psychique. L'influx envoyé par le cervelet dans le corps strié réveille l'action des cellules intellectuelles et leur donne de l'initiative. Il est pour beaucoup dans les déterminations de la volonté. L'insuffisance de cet influx peut au contraire produire l'asthénie morale. Peut-être même, faut-il chercher dans cette insuffisance la cause de la pusillanimité et de la timidité; à un degré moins avancé, chez d'autres, la circonspection et l'absence d'entraînement; chez d'autres enfin, où l'insuffisance est plus grande et même morbide, la mélancolie..

Messieurs, les théories dont je vous ai entretenus jusqu'à présent étaient basées sur des interprétations en partie enfantées par des vues systématiques. Depuis, les médecins ont cherché à entrer dans une voie peut-être un peu vague mais plus impartiale. Ils ont pratiqué des vivisections, ils ont interrogé la nature, enregistrant tous les faits sans s'inquiéter des déductions plus ou moins contradictoires auxquelles conduisaient leurs expériences. Ce sont ces groupes d'expériences, qui n'ont différé entre eux que par le procédé opératoire, qu'il me reste à vous indiquer.

MM. Lewen et Olivier se sont servis d'une aiguille d'acier fortement trempée, permettant de piquer l'organe à travers le crâne. Comme cette aiguille ne donnait lieu à aucune déchirure grave des parties molles extérieures et à aucune hémorrhagie capable de comprimer le cervelet, ils ont pensé avec raison qu'ils se plaçaient ainsi dans des conditions non complexes et aussi nettes que possible. De plus, l'aiguille étant munie d'un curseur, on pouvait limiter à volonté l'étendue de pénétration de l'aiguille. Les autopsies faites après coup leur ont permis de diviser leurs expériences en deux catégories, celles où il n'y eut point d'hémorrhagie cérébelleuse et où les phénomènes restèrent simples et non compliqués; celles au contraire où il y eut épanchement de sang déterminant des phénomènes afférents aux organes voisins. De la première catégorie d'expériences ils ont pu conclure :

1o Que les piqûres simples du cervelet ne déterminent jamais la mort et que, même au bout de huit à quinze jours, tout paraît rentré dans l'ordre;

2o Qu'elles ne troublent jamais ni la sensibilité générale, ni les organes des sens;

3° Qu'elles ne produisent jamais ni vomissements, ni diarrhée, ni perte d'appétit;

4° Qu'elles ne déterminent jamais que des troubles de motilité qui sont très-inconstants et très-variables. Le plus souvent il en résulte seulement une certaine lenteur dans la progression; parfois une hémiplégie incomplète, double fait qui viendrait peut-être à l'appui de Luys. D'autres fois on observe des mouvements de rotation ou de manége, ou des inflexions de la tête sur le tronc. Si on pique un seul lobe, la rotation commence de suite et s'exécute avec une grande rapidité. L'animal fait plusieurs tours en une minute, la vitesse diminue ensuite; puis quand il revient au repos, il reste couché sur le côté lésé.

Dans la deuxième série d'expériences, ils ont constaté, en outre des phénomènes précédents, de l'incontinence d'urine, des déjections alvines fréquentes. Lorsque l'hémorrhagie avait envahi le bulbe, l'animal tombait dans un état de mort apparente pendant quelques secondes; puis, douze heures après, survenaient des mouvements convulsifs. La respiration devenait anxieuse. Il y avait des vomissements fréquents; puis la mort terminait la scène.

D'après Vagner, lorsqu'on n'enlève que 70 à 80 milligrammes des couches superficielles du cervelet, on n'observe rien. Si on enlève plus profondément, on constate en effet un certain défaut d'équilibration. Mais ce défaut ne persiste pas: bientôt il ne reste plus qu'un peu d'incertitude; puis, plus tard, tout rentre dans l'ordre. Aussi croitil que les troubles du début sont dus au tiraillement des parties plus profondes, telles que les pédoncules cérébelleux. Si on enlève la presque totalité du cervelet, l'animal reste couché sur le ventre; les extrémités postérieures tendent de plus en plus à se placer dans l'extension. Si on touche l'animal, aussitôt l'extension s'exagère. On dirait un animal strychnosé. Le cou se tourne de plus en plus en spirale; puis, par moments, l'animal est pris d'un tremblement analogue à la paralysis agitans qu'exagère le moindre contact. Quelquefois surviennent des vomissements et une diarrhée aqueuse.

Plus récemment encore, Weir-Michell a interrogé la nature par divers procédés. Il a injecté du mercure; il a lié diverses parties de l'organe; il a enfoncé des tiges de bois dans plusieurs directions; il a eu aussi le premier recours à la congélation qu'il produisit surtout avec la rhigoline. Le premier phénomène a toujours été un renversement de la tête en arrière qui donnait à la démarche des oiseaux un air de fierté. Il a vu la marche en avant et la marche à reculons, toutes les deux produites par une seule et même lésion de la région

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