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Faute de preuves expérimentales positives, nous ne pouvons qu'enregistrer l'assertion, en la modifiant toutefois, en raison même de ce que nous avons indiqué à propos du bulbe. Dans cet organe, l'entrecroisement n'est que partiel, et puisque la marche des paralysies nous montre qu'il doit être complet immédiatement au-dessous du bulbe, il faut bien qu'il se soit déjà opéré en partie dans la protubérance, d'autant plus que le fait serait matériellement impossible plus haut dans les pédoncules cérébraux qui sont tout aussi indépendants que les lobes du cerveau entre eux. La transmission du mouvement dans le nœud de l'encéphale serait donc en partie directe et en partie croisée. Cette interprétation théorique s'accordera beaucoup mieux avec les faits pathologiques. (Voir la figure 32, tome Ior.)

D'autre part, Longet, convaincu que les impressions sensitives apportées par les racines postérieures étaient conduites plus haut par les cordons postérieurs de la moelle et la partie pòstérieure du bulbe, a cru devoir déclarer que ces mêmes impressions gagnaient les pédoncutes cérébraux en passant aussi par la partie postérieure de la protubérance; que c'était d'autant plus probable que cette partie postérieure est sensible et que les faits pathologiques réunis par lui semblaient confirmer cette manière de voir. Mais nous ne pouvons plus le suivre dans cette voie, puisque nos études nous ont montré qu'en réalité les impressions passent, non pas par les cordons postérieurs et les corps restiformes, mais par la substance grise de la moelle et du bulbe. Logiquement, nous sommes donc conduits à penser qu'elles passent encore par la substance grise centrale de la protubérance.

Toutefois, pour nous prononcer sur cette double question: transmission du mouvement et transmission du sentiment, nous sommes obligés d'attendre les enseignements de la pathologie, puisque la physiologie expérimentale est incapable de fournir la moindre donnée à ce sujet. Dans la moelle, la physiologie a pu éclairer la pathologie sur le mécanisme de la conductibilité. Ici, c'est au contraire la pathologie qui sera appelée à éclairer la physiologie qui, livrée à elle-même, en est réduite à faire des suppositions. Nous nous contentons donc d'énoncer maintenant ces suppositions; nous réservant de poser nos conclusions quand la pathologie nous aura mis à même de nous prononcer. La physiologie sera beaucoup plus heureuse en ce qui concerne l'étude des phénomènes que la protubérance peut produire à titre de centre nerveux.

De la protubérance considérée comme centre d'innervation.

Considérons-la d'abord dans l'ordre des phénomènes de motilité, nous l'examinerons ensuite dans ceux des phénomènes de sensibilité et de nutritivité.

- Dans le monde

Rôle de la protubérance comme centre moteur. on s'imagine que les mouvements complexes de la locomotion s'exécutent nécessairement tous sous l'influence incessante de la volonté ; que c'est cette faculté de nature intellectuelle et cérébrale qui, nonseulement ordonne l'acte, mais qui choisit les muscles qui doivent servir à la progression, qui les fait se contracter dans l'ordre voulu; en un mot, qui s'occupe de tous les détails de la fonction, de sorte que, si chaque mouvement est en lui-même un phénomène d'ordre mécanique, l'ensemble de l'acte locomotion se trouve être un phénomène d'ordre intellectuel. Le fait est que ce qui se passe dans l'espèce humaine, semble justifier pleinement cette interprétation. Ce n'est que longtemps après sa naissance que l'enfant commence à marcher. Il lui faut pour cela de véritables leçons, qui paraissent s'adresser tout autant à son intelligence qu'à ses muscles. Parmi les animaux supérieurs, il en est aussi plusieurs pour lesquels la marche semble être le résultat d'un travail d'imitation d'assez longue durée. Aussi, cette opinion a-t-elle été longtemps celle, non-seulement des médecins, mais encore des physiologistes. Elle subsistait même, au moins en partie, dans l'esprit de Longet, lorsque ses expériences l'avaient conduit à regarder la protubérance comme le foyer créateur de la force motrice employée dans les actes de la locomotion. Pour lui, le cerveau n'en restait pas moins le mécanicien qui, seul, peut utiliser à son gré la vapeur produite par la chaudière. Lui seul met cette chaudière en ébullition; lui seul en dirige la vapeur dans telle ou telle direction, en telle ou telle proportion.

L'observation de ce qui se passe chez la plupart des animaux, tant dans l'état normal que dans l'état de vivisection, a changé depuis quelques années la manière de voir des physiologistes. Aujourd'hui on admet généralement que le cerveau ne fait que vouloir le mouvement d'ensemble, le commander; mais qu'il n'est pour rien dans le mécanisme de la locomotion, dont les agents nerveux existent en dehors de lui et se trouvent agencés anatomiquement entre

eux, de façon à s'entraîner mutuellement dans un travail commun, suivant un ordre préétabli. Le cerveau se réserve seulement le droit d'ordonner à cette machine de commencer, d'arrêter ou d'accélérer son jeu. Il est le joueur d'orgue dont l'instrument porte en lui-mêine le mécanisme des airs qu'il est susceptible de produire, mais qui peut choisir le morceau, ralentir ou précipiter le mouvement musical. On pense qu'il en est ainsi chez tous les animaux et même chez l'homme. Si ce dernier, si le chien, si le lapin ne marchent pas ou marchent mal dans les premiers temps de leur vie, cela tient, non pas à un besoin d'éducation intellectuelle, mais à ce que leurs muscles et les centres locomoteurs de l'axe cérébro-spinal sont encore en voie de formation et ne sont pas encore arrivés à un degré de développement suffisant. Si ces moyens matériels de locomotion se trouvaient, dès la naissance, aussi perfectionnés chez eux que chez le cochon d'Inde, nul doute qu'eux aussi pourraient marcher immédiatement.

En un mot, d'après l'opinion ancienne, les mouvements de détail de la locomotion seraient tous essentiellement volontaires. D'après la nouvelle, ils seraient purement automatiques. Où se trouve la vérité ? Y a-t-il, oui ou non, dans l'axe cérébro-spinal, une machine nerveuse de la locomotion, donnée tout organisée par la nature et mise seulement à la disposition des caprices de la volonté et du cerveau? Nous avons déjà touché à cette question à propos de la moelle. Le moment est venu de la traiter dans tout son développement, car presque tous les physiologistes accordent à la protubérance un rôle considérable dans la locomotion. Nous allons d'abord constater ce que les animaux des diverses classes peuvent faire sans lobes cérébraux, comme station et comme progression. Pour cela, le mieux sera de chercher à reproduire ici, en partie, les expériences pratiquées par M. Onimus. Puis, ces résultats constatés, comme l'animal, après la mutilation indiquée, se trouve avoir conservé nonseulement sa protubérance, son bulbe et sa moelle, mais encore son cervelet, nous chercherons à faire la part réelle de la partie qui nous occupe.

Comparez ces deux grenouilles, dont l'une est intacte et l'autre a subi l'ablation des deux lobes cérébraux, elles ont exactement la même attitude. Il vous serait impossible de trouver la moindre différence dans leur mode de station. Si, il y en a une, mais en faveur de l'animal mutilé. Chez ce dernier, l'attitude est plus ferme et plus

mathématiquement régulière. En outre, elle est toujours la même à tous les moments. Elle n'est pas à chaque instant plus ou moins modifiée par une volonté capricieuse. Elle s'impose à lui. Si on place la grenouille intacte sur le dos, parfois elle y reste. La grenouille sans cerveau ne peut pas y rester. Sitôt que la main cesse de l'y maintenir, elle se retourne brusquement, comme si elle était mue par un ressort, et elle reprend immanquablement son attitude réglementaire. Quand la première se redresse, elle prend, au contraire, des maintiens variés. Un fait signalé par Onimus et que je n'arrive pas à reproduire en ce moment, mérite l'attention des pathologistes. Si on déplace très-lentement un des membres, et si on l'amène peu à peu dans une situation même difficile à tenir, ce membre reste comme figé dans la position communiquée. L'animal ne le retire pas sous lui, comme quand il possède son cerveau. Le phénomène est tout à fait identique avec le symptôme caractéristique de la catalepsie, maladie que nous rapporterons, en effet, à la protubérance.

Je pince la grenouille intacte. Un heureux hasard fait qu'en ce moment elle a la volonté de ne pas fuir. Elle se contente d'agiter le membre pincé, et elle montre qu'il est en son pouvoir de ne point céder à l'incitation étrangère. Il n'en est plus de même de l'opérée. Sitôt qu'on la sollicite, même faiblement, elle marche toujours droit devant elle, et toujours avec le même rhythme. Mises dans l'eau, les deux grenouilles ne se conduisent pas non plus de la même façon. La première va se blottir au fond du vase, parfois elle sort de son immobilité, nage un instant tantôt dans une direction, tantôt dans une autre, s'arrête, puis reprend sa course ou se blottit encore. En un mot, il est évident qu'elle est maîtresse de sa locomotion et qu'elle satisfait tous ses caprices. La seconde reste à la surface. Elle nage aussitôt en ligne droite, de la façon la plus méthodique, jusqu'à ce qu'elle rencontre la paroi du vase, où elle resterait arrêtée indéfiniment, si je ne la ramenais au centre. Je ne l'ai pas plutôt abandonnée à elle-même, qu'elle repart avec la même régularité pour s'arrêter encore contre la paroi. La première peut condamner à l'inertie la machine qu'elle porte en elle-même. La seconde est obligée de subir son travail que provoque impérieusement le milieu.

Si on plonge une petite planchette devant la grenouille intacte en marche, elle se détourne la plupart du temps et passe à côté de l'obstacle. L'opérée n'a pas plutôt touché la planchette, qu'elle s'y

II. POINCARÉ.

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cramponne dans une situation déterminée. La soumettrait-on 50 fois à la même épreuve, dit Onimus, que toujours elle se conduirait de la même manière et reprendrait la même situation. Quoique l'expérience n'ait pas ici un plein succès, je tiens à souligner l'assertion de cet expérimentateur, car elle peut jeter un certain jour sur les conditions pathogéniques de la manie, dont nous ferons la physiologie pathologique dans l'étude du cerveau.

Après avoir vu ces faits, on ne saurait nier qu'il existe réellement, chez les batraciens, en dehors du cerveau, une machine locomotrice tout organisée. Il paraît en être de même chez les poissons. La carpe, privée de ses lobes cérébraux, nage aussi impérieusement en ligne droite, jusqu'à ce qu'elle soit épuisée ou arrêtée par un obstacle. Ses mouvements de natation sont plus lents que ceux de la carpe intacte, mais ils sont plus énergiques et plus mathématiquement espacés. C'est une machine et non plus un artiste qui nage.

Les oiseaux auxquels on a enlevé les lobes cérébraux ont bien une tendance à rester constamment immobiles, tant que leurs pattes reposent sur un plan leur permettant de se maintenir en équilibre ; mais du moment où on les abandonne dans l'atmosphère, ils se mettent à voler jusqu'au moment où le hasard leur fait rencontrer un nouveau plan sur lequel ils peuvent reprendre leur position première d'équilibre. Dans ces circonstances, leur vol est parfait sous tous les rapports, plus parfait même que dans les conditions naturelles. Toutefois, il n'a jamais qu'un but, c'est de lutter contre l'influence de la pesanteur, de ramener toujours un équilibre stable et d'obtenir la possibilité d'une immobilisation complète. Quand on fait tourner le bâton sur lequel est perché un oiseau intact, presque toujours celui-ci s'envole et abandonne la place. L'oiseau mutilé se contente d'agiter ses ailes, de s'en servir comme d'un balancier pour ramener son centre de gravité dans la position voulue. Il fait le strict nécessaire pour ne pas tomber, tandis que le premier fuit les causes de chute.

Enfin, si on pratique l'ablation du cerveau sur un lapin, c'est-à-dire sur l'un des animaux qui ne parviennent à marcher qu'un certain temps après leur naissance, on constate qu'il reste immobile avec le maintien qu'il affecte habituellement dans l'état de repos. Si on le pousse, il fait plusieurs pas d'une régularité parfaite, puis il reprend bien vite son immobilité première. Parfois même il fait quelques pas qui paraissent spontanés et volontaires, mais qui sont sans doute

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