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et lequel de tous ces fentimens il embraffait, je répondrai qu'il n'en fuivait aucun. Que favait donc fur cette matière celui qui avait foumis l'infini au calcul, et qui avait décou vert les lois de la pefanteur? il favait douter.

CHAPITRE

VIII.

DES PREMIERS PRINCIPES DE LA MATIERE.

Examen de la matière première. Méprife de Newton. Il n'y a point de tranfmutations véritables. Newton admet des atomes.

Il ne s'agit pas ici d'examiner quel fyftême était plus ridicule, ou celui qui fefait l'eau principe de tout, ou celui qui attribuait tout au feu, ou celui qui fuppofe des dés mis fans intervalle les uns auprès des autres, et tournant je ne fais comment fur eux-mêmes.

Le fyftême le plus plaufible a toujours été qu'il y a une matière première indifférente à tout, uniforme et capable de toutes les formes, laquelle différemment combinée conftitue cet univers. Les élémens de cette matière font les mêmes; elle fe modifie felon les différens moules où elle paffe, comme un métal

en fufion devient tantôt une urne, tantôt une ftatue ; c'était l'opinion de Descartes, et elle s'accorde très-bien avec la chimère de fes trois élémens. Newton penfait en ce point fur la matière comme Defcartes ; mais il était arrivé à cette conclufion par une autre voie. Comme il ne formait presque jamais de jugement qui ne fût fondé, ou fur l'évidence mathématique, ou fur l'expérience, il crut avoir l'expérience pour lui dans cet examen. L'illuftre Robert Boyle, le fondateur de la phyfique en Angleterre, avait long-temps tenu de l'eau dans une cornue à un feu égal; le chimiste qui travaillait avec lui, crut que l'eau s'était enfin changée en terre; le fait était faux, comme l'a depuis prouvé Boerhaave, phyficien auffi exact que médecin habile; l'eau s'était évaporée, et la terre qui avait paru en fa place venait d'ailleurs. (4)

A quel point faut-il fe défier de l'expérience, puifque celle-ci trompa Boyle et Newton? Ces grands philofophes n'ont pas fait difficulté de croire que, puisque les parties primitives de

(4) Cette converfion de l'eau en terre eft encore une queftion, quoique l'opinion de Boerhaave foit la plus vraisemblable. Au refte, ce ne ferait pas une vraie tranfmutation: l'eau eft une espèce de terre fufible à très-petit degré de chaleur, et cette terre pourrait perdre cette propriété par la digestion dans les vaiffeaux clos, foit en fe combinant avec le feu libre qui paffe à travers les vaiffeaux, foit en vertu d'une nouvelle combinaifon de fes propres élémens.

la

l'eau fe changeaient en parties primitives de terre, les élémens des chofes ne font que même matière différemment arrangée. Si une fauffe expérience n'avait pas conduit Newton à cette conclufion, il eft à croire qu'il eût raifonné tout autrement. Je fupplie qu'on life avec attention ce qui fuit.

La feule manière qui appartienne à l'homme de raifonner fur les objets, c'eft l'analyse. Partir tout d'un coup des premiers principes n'appartient qu'à DIEU; et fi l'on peut fans blafphémer comparer DIEU à un architecte, et l'univers à un édifice, quel eft le voyageur qui, en voyant une partie de l'extérieur d'un bâtiment, ofera tout d'un coup imaginer tout l'artifice du dedans? Voilà pourtant ce qu'ont ofé faire prefque tous les philofophes avec mille fois plus de témérité. Examinons donc cet édifice autant que nous le pouvons : que trouvons-nous autour de nous ? des animaux, des végétaux, des minéraux, fous le genre defquels je comprends tous les fels, foufres, &c. du limon, du fable, de l'eau, du feu, de l'air, et rien autre chofe, du moins jusqu'à préfent.

Avant que d'examiner feulement fi ces corps font des mixtes ou non, je me demande à moi-même s'il eft poffible qu'une matière prétendue uniforme, qui n'eft en elle-même rien

de tout ce qui eft, produise cependant tout ce qui eft.

1. Qu'est-ce qu'une matière première, qui n'eft rien des chofes de ce monde et qui les produit toutes? C'eft une chofe dont je ne puis avoir aucune idée, et que par conféquent je ne dois point admettre. Il eft vrai que je ne puis pas me former en général l'idée d'une fubftance étendue, impénétrable et figurable, fans déterminer ma pensée à du sable ou à du limon, ou à de l'or, &c. mais cependant cette matière eft réellement quelqu'une de ces chofes, ou elle n'eft rien du tout. De mêmẹ je puis penser à un triangle en général, fans m'arrêter au triangle équilatéral, au scalène, à l'ifocèle, &c. mais il faut pourtant qu'un triangle qui exifte foit l'un de ceux-là. Cette idée feule bien pesée fuffit peut-être pour détruire l'opinion d'une matière première.

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2. Si la matière quelconque mife en mouvement fuffifait pour produire ce que nous voyons fur la terre, il n'y aurait aucune raifon pour laquelle de la pouffière bien remuée dans un tonneau ne pourrait produire des hommes et des arbres, ni pourquoi un champ femé de blé ne pourrait pas produire des baleines et des écreviffes au lieu de froment. C'eft en vain qu'on répondrait que les moules et les

filières qui reçoivent les femences s'y oppofent; car il en faudra toujours revenir à cette queftion, pourquoi ces moules, ces filières font-elles fi invariablement déterminées? Or fi aucun mouvement, aucun art, ne peut faire venir des poiffons au lieu de blé dans un champ, ni des nèfles au lieu d'un agneau dans le ventre d'une brebis, ni des roses au haut d'un chêne, ni des foles dans une ruche d'abeilles, &c. fi toutes les espèces font invariablement les mêmes, ne dois-je pas croire d'abord avec quelque raifon, que toutes les efpèces ont été déterminées par le maître du monde; qu'il y a autant de deffeins différens qu'il y a d'espèces différentes, et que de la matière et du mouvement il ne naîtrait qu'un chaos éternel fans ces deffeins?

Toutes les expériences me confirment dans ce sentiment. Sij'examine d'un côté un homme et un ver à foie, et de l'autre un oiseau et un poiffon, je les vois tous formés dès le commencement des chofes ; je ne vois en eux qu'un développement. Celui de l'homme et celui de l'infecte ont quelques rapports et quelques différences; celui du poisson et celui de l'oifeau en ont d'autres; nous fommes un ver avant que d'être reçus dans la matrice de notre mère, nous devenons chryfalides, nymphes dans l'uterus, lorfque nous fommes dans

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