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CHAPITRE I I.

QUE LES TOURBILLONS DE DESCARTES ET LE PLEIN SONT IMPOSSIBLES, ET QUE PAR CONSEQUENT IL Y A UNE AUTRE CAUSE DE LA PESANTEUR.

Preuves de l'impoffibilité des tourbillons. Preuves contre le plein.

DESCARTES fuppofe un amas immense de particules infenfibles, qui emporte la terre d'un mouvement rapide d'Occident en Orient, et qui d'un pôle à l'autre fe meut parallèlement à l'équateur : ce tourbillon, qui s'étend au-delà de la lune, et qui entraîne la lune dans fon cours, eft lui-même enchâffé dans un autre tourbillon plus vafte encore,qui touche à un autre tourbillon fans fe confondre avec lui, &c.

I. Si cela était, le tourbillon qui est supposé fe mouvoir autour de la terre d'Occident en Orient, devrait chaffer les corps fur la terre d'Occident en Orient; or les corps en tombant décrivent tous une ligne qui, étant prolongée, pafferait à peu-près par le centre de la terre; donc ce tourbillon n'exifte pas.

Phyfique, &c. Tome I.

* S

II. Si les cercles de ce prétendu tourbillon fe mouvaient et agisfaient parallèlement à l'équateur, tous les corps devraient tomber, chacun perpendiculairement fous le cercle de cette matière fubtile auquel il répond un corps en A près du pôle P devrait, felon Defcartes, tomber en R: mais il tombe à peuprès felon la ligne AB (figure 29), ce qui fait une différence d'environ quatorze cents lieues; car on peut compter quatorze cents lieues communes de France du point R à l'équateur de la terre B; donc ce tourbillon n'exifte pas.

III. Si, pour foutenir ce roman de tourbillons, on se plaît encore à fuppofer qu'un fluide qui tourbillonne ne tourne point fur fon axe ; fi on imagine qu'il peut tourner dans des cercles qui tous auront pour centre le centre du tourbillon même il n'y a qu'à faire l'expérience d'une goutte d'huile, ou d'une groffe bulle d'air enfermée dans une boule de cristal pleine d'eau ; faites tourner la boule fur fon axe, vous verrez cette huile ou cet air s'arranger en cylindre au milieu de la boule, et faire un axe d'un pôle à l'autre ; car toute expérience, comme tout raisonnement, ruine les tourbillons.

IV. Si ce tourbillon de matière autour de la terre, et ces autres prétendus tourbillons

autour de Jupiter et de Saturne, &c. exiftaient, tous ces tourbillons immenfes de matière, roulant fi rapidement dans des directions différentes, ne pourraient jamais laisser venir à nous, en ligne droite, un rayon de lumière dardé d'une étoile. Il eft prouvé que ces rayons arrivent en très-peu de temps par rapport au chemin immenfe qu'ils font; donc ces tourbillons n'existent pas.

V. Si ces tourbillons emportaient les planètes d'Occident en Orient, les comètes, qui traversent en tous fens ces efpaces d'Orient en Occident, et du Nord au Sud, ne les pourraient jamais traverser; et quand aucune comète n'aurait été en effet du Nord au Sud, ni d'Orient en Occident, on ne gagnerait rien par cette évafion; car on fait que, quand une comète fe trouve dans la région de Mars, de Jupiter, de Saturne, elle va incomparablement plus vite que Mars, que Jupiter, que Saturne; donc elle ne peut être emportée par la même couche du fluide qui eft fuppofé emporter ces planètes; donc ces tourbillons n'exiftent pas.

VI. Si ces fluides exiftaient, un petit espace de temps fuffirait pour détruire tout mouvement dans ces aftres. Newton a démontré que tout corps qui fe meut uniformément dans un

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fluide de même denfité, perd la moitié de fon mouvement après avoir parcouru trois de fes diamètres. Cela eft fans aucune réplique.

VII. Suppofé encore, ce qui eft impoffible, que ces planètes puffent être mues dans ces tourbillons imaginaires, elles ne pourraient fe mouvoir que circulairement, puisque ces tourbillons à égales diftances du centre feraient également denfes; mais les planètes se meuvent dans des ellipfes; donc elles ne peuvent être portées par des tourbillons; donc, &c.

VIII. La terre a fon orbite, qu'elle parcourt entre celui de Vénus et celui de Mars: tous ces orbites font elliptiques, et ont le foleil pour centre: or, quand Mars et Vénus et la terre font plus près l'un de l'autre, alors la matière du torrent prétendu qui emporte la terre ferait beaucoup plus refferrée : cette matière fubtile devrait précipiter fon cours comme un fleuve rétréci dans fes bords, ou coulant fous les arches d'un pont: alors ce fluide devrait emporter la terre d'une rapidité bien plus grande qu'en toute autre pofition; mais au contraire, c'eft dans ce temps-là même que le mouvement de la terre eft plus

ralenti.

IX. Parmi des démonftrations plus recherchées, qui anéantiffent les tourbillons, nous

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choifirons celle-ci. Par une des grandes lois de Kepler, toute planète décrit des aires égales en temps égaux: par une autre loi non moins sûre, chaque planète fait fa révolution autour du foleil en telle forte que fi, par exemple, fa moyenne diftance au foleil eft dix, prenez le cube de ce nombre, ce qui fera mille, et le temps de la révolution de cette planète autour du foleil fera proportionnel à la racine quarrée de ce nombre mille. Or, s'il y avait des couches de matière qui portaffent les planètes, ces couches ne pourraient suivre ces lois; car il faudrait que les vîtesses de ces torrens fuffent à la fois réciproquement proportionnelles à leurs diftances au foleil, et aux racines quarrées de ces diftances; ce qui eft incompatible.

X. Pour comble enfin, tout le monde voit ce qui arriverait à deux fluides circulant l'un dans l'autre : ils fe confondraient néceffairement, et formeraient le chaos au lieu de le débrouiller. Cela feul aurait jeté fur le fyftême cartéfien un ridicule qui l'eût accablé fi le goût de la nouveauté, et le peu d'usage où l'on était alors d'examiner, n'avaient prévalu.

Il faut prouver à préfent que le plein, dans lequel ces tourbillons font fuppofés se mouvoir, eft auffi impoffible que ces tourbillons.

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