Page images
PDF
EPUB

qui finit par lui dicter un testament, où il réduit son fiis à la légitime'.

Pour gouverner quelqu'un longtemps et absolument, il faut avoir la main légère, et ne lui faire sentir que le moins qu'il se peut sa dépendance.

Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui au delà sont intraitables et ne se gouvernent plus; on perd tout à coup la route de leur cœur et de leur esprit; ni hauteur ni souplesse, ni force ni industrie, ne les peuvent dompter; avec cette différence que quelques-uns sont ainsi faits par raison et avec fondement, et quelques autres par tempérament et par humeur.

Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raison ni les bons conseils, et qui s'égarent volontairement par la crainte qu'ils ont d'être gouvernés.

D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de les gouverner à leur tour en des choses graves et de conséquence.

Drance veut passer pour gouverner son maître, qui n'en croit rien, non plus que le public: parler sans cesse à un grand que l'on sert, en des lieux et en des temps où il convient le moins; lui parler à l'oreille ou en des termes mystérieux, rire jusqu'à éclater en sa présence, lui couper la parole, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner ceux qui viennent faire leur cour, ou attendre impatiemment qu'ils se retirent; se mettre proche de ui en une posture trop libre, figurer avec lui le dos appuyé à une cheminée, le tirer par son habit, lui marcher sur les talons, faire le familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un favori.

Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni ne cherche à gouverner les autres: il veut que la raison gouverne seule, et tou jours.

Je ne haïrais pas d'être livré par la confiance à une personne

4. La légitime. « Droit que la loi donne aux enfants sur les biens de leurs père et mère, et qui leur est acquis en sorte qu'on ne les en peut priver par une disposition contraire. La légitime des enfants selon la coutume de Paris est la moitié de ce que chacun aurait eu ab intestat. FURETIÈRE.

2. Dance. Le comte de Tonnerre, premier gentilhomme de Monsieur qui le dé. testait. Saint-Simon nous le représente comme un malhonnête homme à la fois trèssatirique et très-poltron.

3. Que l'on sert. A la maison duquel on est attaché.

raisonnable', et d en être gouverné en toutes choses, et absolu ment, et toujours; je serais sûr de bien faire sans avoir le soin de délibérer; je jouirais de la tranquillité de celui qui est gouverné par la raison.

Toutes les passions sont menteuses; elles se déguisent autant qu'elles le peuvent aux yeux des autres; elles se cachent à ellesmêmes: il n'y a point de vice qui n'ait une fausse ressemblance avec quelque vertu, et qui ne s'en aide 3.

* On trouve un livre de dévotion, et il touche: on en ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression. Oserai-je dire que le cœur seul concilie les choses contraires, et admet les incompatibles?

3

* Les hommes rougissent moins de leurs crimes que de leurs faiblesses et de leur vanité : tel est ouvertement injuste, violent, perfide, calomniateur, qui cache son amour ou son ambition, sans autre vue que de la cacher.

4

* Le cas n'arrive guère où l'on puisse dire, J'étais ambitieux, ou on ne l'est point, ou on l'est toujours: mais le temps vient où l'on avoue que l'on a aimé.

* Les hommes commencent par l'amour, finissent par l'ambition, et ne se trouvent souvent dans une assiette plus tranquille que lorsqu'ils meurent.

* Rien ne coûte moins à la passion que de se mettre au-dessus de la raison; son grand triomphe est de l'emporter sur l'intérêt. * L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce par le cœur que par l'esprit.

* Il y a de certains grands sentiments, de certaines actions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de notre esprit, qu'à la bonté de notre naturel.

1. Raisonnable paraît signifier ici: doué d'une grande raison.

[ocr errors]

2. Qui ne s'en aide. Les passions les plus à craindre ne sont pas celles qui, en nous faisant une guerre ouverte, nous avertissent de nous mettre en défense; qui nous laissent, quoi qu'elles fassent, la conscience de toutes nos fautes, et auxquelles on ne cède jamais, qu'autant qu'on leur veut céder. Il faut plutôt redouter celles dont l'illusion trompe au lieu de contraindre, et nous fait faire, sans le savoir, autre chose que ce que nous voulons. J.-J. ROUSSEAU.

3. Rougissent moins de leurs crimes. C'est ainsi que le cardinal de Retz a mis son orgueil à se représenter dans ses mémoires beaucoup plus criminel qu'il n'a jamais pu l'être, quelque bonne envie qu'il en eût. Rousseau, qui ne s'est pas épargné dans ses Confessious, avoue que ce n'est pas ce qui est criminel qui coute le plus à dire, c'est ce qui est ridicule et honteux..

4. Sans autre vue. Sans autre dessein

Il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance.

* Il faut bien être dénué d'esprit, si l'amour, la malignité, la nécessité n'en font pas trouver.

* Il y a des lieux que l'on admire, il y en a d'autres qui touchent', et où l'on aimerait à vivre.

Il me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit, l'humeur, fa passion, le goût et les sentiments.

* Ceux qui font bien mériteraient seuls d'être enviés, s'il n'y avait encore un meilleur parti à prendre, qui est de faire mieux, c'est une douce vengeance contre ceux qui nous donnent cette jalousie.

* Quelques-uns se défendent d'aimer et de faire des vers, comme de deux faibles qu'ils n'osent avouer, l'un du cœur, l'autre de l'esprit.

* Il y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs et de si tendres engagements que l'on nous défend, qu'il est na turel de désirer du moins qu'ils fussent permis de si grands charmes ne peuvent être surpassés que par celui de savoir y re noncer par vertu.

[Chapitre V ]

DE LA SOCIÉTE ET DE LA CONVERSATION.

* Un caractère bien fade est celui de n'en avoir aucun.

3

* C'est le rôle d'un sot d'être importun : un homme habile sent s'il convient, ou s'il ennuie: il sait disparaître le moment qui précède celui où il serait de trop quelque part.

4

* L'on marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par tout pays de cette sorte d'insectes: un bon plaisant est une pièce

• Qui touchent..

Objets inanimés, avez-vous done une âme

Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?
LAMART.NE.

2. L'on dépend des lieux. J.-J. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre ont développé ces sentiments avec un vif amour des beautés de la nature. On sait quelle place Montesquieu a donnée dans l'Esprit des lois à l'influence des climats.

3. Un homme habile. Un homme qui a du tact. Habile signifie plus ordinairement, dans La Bruyère, docte, versé dans sa profession.

4. Le moment qui précède. Cela est dit d'une manière fine et recherchée. Insectes. Métaphore spirituelle et originale. Voltaire a dit en parlant de la

3.

rare, à un homme qui est né tel', il est encore fort délicat d'en soutenir longtemps le personnage; il n'est pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.

* Il y a beaucoup d'esprits obscènes, encore plus de médisants ou de satiriques; peu de délicats pour badiner avec grâce, et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut trop de manières, trop de politesse, et même trop de fécondité : c'est créer que de railler ainsi, et faire quelque chose de rien.

2

* Si l'on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, l'on aurait honte de parler ou d'écouter, et l'on se condamnerait peut-êtrë à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le com. merce que les discours inutiles. Il faut donc s'accommoder à tous les esprits; permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent ou sur l'intérêt des princes, le débit des beaux sentiments, et qui reviennent toujours les mêmes: il faut laisser Aronce parler proverbe, et Mélinde parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines et de ses insomnies.

.

* L'on voit des gens qui, dans les conversations ou dans le peu de commerce que l'on a avec eux, vous dégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté 1, et j'ose dire par l'impropriété des termes dont ils se servent, comme par l'alliance de

force avec laquelle Montesquieu défendit l'Esprit des lois contre une attaque grossière écrasa de dix doigts vigoureux cette guêpe importune qui bourdonnait à ses oreilles..

4. Né tel. Qui talis natus est. L'auteur s'est souvent servi de ce latinisme.

2. C'est créer. Plus on mettra de cet esprit mince et brillant dans un écrit, moins il aura de nerf et de lumière, à moins que cet esprit ne soit lui-même le fond du sujet, et que l'écrivain n'ait pas eu d'autre objet que la plaisanterie; alors l'art de dire de petites choses devient peut-être plus difficile que l'art d'en dire de grandes. BUFFON, Discours de réception à l'Académie Française.

3. Sur le gouvernement. Il est curieux de voir la place petite et dédaignée que prenait alors la politique dans les conversations.

4. Par la nouveauté. J'ay volontiers imité cette desbauche qui se veoid en nostre jeunesse au port de leurs vestements; un manteau en escharpe, la cape sur une espaule, un bas mal tendu, qui représente une fierté dédaigneuse de ces parements estrangiers, et nonchalans de l'art; mais je la trouve encore mieux employée en la forme du parler. Toute affectation nommeement en la gayeté et liberté françoise, est mesadvenante au courtisan. Comme aux accoustrements, c'est pusillanimité de se vouloir marquer par quelque façon particulière et inusitée; de mesme au langage, la recherche des phrases nouvelles et peu cognues, vient d'une ambition scholastique et puérile. Puisse-je ne me servir que de ceulx qui servent aux hales à Paris! MONTAIGNE, Essais, 1, 25.

[merged small][ocr errors]

Il parait que ce mot n'était pas encore d'un emploi aussi com

mun que de notre temps.

certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et à qui ils font signifier des choses que leurs premiers inventeurs n'ont jamais eu intention de leur faire dire. Ils ne suivent, en parlant, ni la raison ni l'usage, mais leur bizarre génie, que l'envie de toujours plaisanter, et peut-être de briller, tourne insensiblement à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur idiome naturel, ils accompagnent un langage si extravagant ' d'un geste affecté et d'une prononciation qui est contrefaite. Tous sont contents d'eux-mêmes et de l'agrément de leur esprit, et l'on ne peut pas dire qu'ils en soient entièrement dénués, mais on les plaint de ce peu qu'ils en ont; et ce qui est pire, on en souffre. * Que dites-vous? comment? je n'y suis pas; vous plairait-il de recommencer? j'y suis encore moins; je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu'il fait froid; que ne disiez-vous : Il fait froid? vous voulez m'apprendre qu'il pleut ou qu'il neige; dites, Il pleut, il neige : vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m'en féliciter; dites, Je vous trouve bon visage. Mais, répondezvous, cela est bien uni et bien clair; et d'ailleurs qui ne pourrait pas en dire autant? Qu'importe, Acis? Est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables, les diseurs de phébus, vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans l'étonnement. Une chose vous manque, c'est

4

1. Langage si extravagant. On voit que les précieux tenaient bon malgré les comédies de Molière et les satires de Boileau. Boursault a fait une comédie fort applaudie dans son temps sur les Mols à la mode, et au milieu mème de la cour madame de La Fayette se raillait du langage affecté des beaux esprits, et composait dans leur jargon amphigourique une lettre que n'eût pas desavouée Boileau. Le ridicule subsista néanmoins, et il a reparu à toutes les époques.

2. De ce peu.

L'esprit qu'on veut avoir gåte celui qu'on a.

GRESSET, Le Méchant.

3. Mais, répondez-vous. On voit combien ce dialogue anime et rend piquante un vérité vulgaire. Ce n'est pas une chose commune, disait P. L. Courier, que de bien faire parler le sens commun..

[ocr errors]

4. D'ètre eu'endu. Molière a très-bien représenté la sottise et le galimatias de Trissottin, en disant, dans les Femmes savantes :

On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé.

Voyez dans Gargantua la façon dont Rabelais traite cet étudiant qui parlait latin en français et qui voulait pindariser, n'étant qu'un limousin pour tout potage. 5. Diseurs de phebus. Phebus, dieu des beaux-arts, souvent invoqué par les poëtes, et sujet de vers boursouflés; des phébus, langage emphatique et obscur.

[ocr errors]

6. Une chose vous manque. L'auteur arrête ici l'attention avec beaucoup dhabilelé.

« PreviousContinue »