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sieurs. il cultive leur esprit et leur mémoire, fixe et détermine leur religion; il entreprend même de régler leur cœur elles n'approuvent et ne désapprouvent, ne louent et ne condamnent qu'après avoir consulté ses yeux et son visage; il est le dépositaire de leurs ioies et de leurs chagrins, de leurs désirs, de leurs jalousies, de leurs haines et de leurs amours: il les fait rompre avec leurs galants; il les brouille et les réconcilie avec leurs maris, et il profite des interrègnes. Il prend soin de leurs affaires, sollicite leurs procès et voit leurs juges; il leur donne son médecin, son marchand, ses ouvriers; il s'ingère de les loger, de les meubler, et il ordonne de leur équipage on le voit avec elles dans leurs carrosses, dans les rues d'une ville et aux promenades, ainsi que dans leur banc à un sermon, et dans leur loge à la comédie: il fait avec elles les mêmes visites; il les accompagne au bain, aux eaux, dans les voyages: il a le plus commode appartement chez elles à la campagne. Il vieillit sans déchoir de son autorité: un peu d'esprit et beaucoup de temps à perdre lui suffit pour la conserver; les enfants, les héritiers, la bru, la nièce, les domestiques. tout en dépend. Il a commencé par se faire estimer, il finit par se faire craindre. Cet ami si ancien, si nécessaire, meurt sans qu'on le pleure; et dix femmes dont il était le tyran héritent, par sa mort, de la liberté.

* Quelques femmes ont voulu cacher leur conduite sous les dehors de la modestie; et tout ce que chacune a pu gagner par une continuelle affectation, et qui ne s'est jamais démentie, a été de faire dire de soi: On l'aurait prise pour une vestale.

C'est dans les femmes une violente preuve d'une réputation bien nette et bien établie, qu'elle ne soit pas même effleurée par la familiarité de quelques-unes qui ne leur ressemblent point; et qu'avec toute la pente qu'on a aux malignes explications, on ait recours à une tout autre raison de ce commerce, qu'à celle de la convenance des mœurs 2.

* Un comique outre sur la scène ses personnages: un poëte charge ses descriptions: un peintre qui fait d'après nature, force et exagère une passion, un contraste, des attitudes; et celui qui copie, s'il ne mesure au compas les grandeurs et les proportions,

4. Une violente preuve. Une très-forte preuve.

2.

Convenance des mours. Du rapport, de la ressemblance des mœurs. Dans ce chapitre La Bruyère a dejà employé le mème mot dans le même sens.

grossit ses figures, donne à toutes les pièces qui entrent dans l'ordonnance de son tableau plus de volume' que n'en ont celles de l'original: de même la pruderie est une imitation de la sagesse 3.

Il y a une fausse modestie qui est vanité; une fausse gloire qui est légèreté; une fausse grandeur qui est petitesse; une fausse vertu qui est hypocrisie, une fausse sagesse qui est pruderie.

3

Une femme prude paye de maintien et de paroles, une femme sage paye de conduite: celle-là suit son humeur et sa complexion, celle-ci sa raison et son cœur : l'une est sérieuse et austère, l'autre est, dans les diverses rencontres, précisément ce qu'il faut qu'elle soit la première cache des faibles sous de plausibles dehors. La seconde couvre un riche fonds sous un air libre et naturel; la pruderie contraint l'esprit, ne cache ni l'âge ni la laideur, souvent elle les suppose; la sagesse, au contraire, pallie les défauts du corps, ennoblit l'esprit, ne rend la jeunesse que plus piquante, et la beauté que plus périlleuse.

* Pourquoi s'en prendre aux hommes de ce que les femmes ne sont pas savantes? Par quelles lois, par quels édits, par quels rescrits leur a-t-on défendu d'ouvrir les yeux et de lire, de retenir ce qu'elles ont lu, et d'en rendre compte ou dans leur conversation ou par leurs ouvrages? Ne se sont-elles pas au contraire établies elles-mêmes dans cet usage de ne rien savoir, ou par la faiblesse de leur complexion, ou par la paresse de leur esprit, ou par le soin de leur beauté, ou par une certaine légèreté qui les empêche de suivre une longue étude, ou par le talent et le génie qu'elles ont seulement pour les ouvrages de la main, ou par les distractions que donnent les détails d'un domestique, ou par un

4. Plus de volume. Les fait trop grandes.

2. Sagesse. De même la pruderie n'est qu'une copie exagérée et inintelligente de la sagesse. On a blamé avec quelque raison les comparaisons que l'auteur a rassem blées dans ces caractères. Elles son! trop multipliées et ne disent pas même nettement ce que l'auteur a voulu dire.

3. Des faibles. Des faiblesses. Ce mot ne se prend plus guère qu'au singulier. 4. Couvre sous» est une locution peu usitée.

5. Ne sont pas savantes. C'est le reproche que fait aux hommes Philaminte dans les Femmes savantes (111, 2) de Molière:

Car enfin, je me sens un étrange dépit

Du tort que l'on nous fait du côté de l'esprit;

Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes,

De cette indigne classe où nous rangent les hommes,

De borner nos talents à des futilites,

Et nous fermer la porte aux sublimes clartés.

éloignement naturel des choses pénibles et sérieuses, ou par une curiosité toute différente de celle qui contente l'esprit, ou par un tout autre goût que celui d'exercer leur mémoire 1? Mais à quelque cause que les hommes puissent devoir cette ignorance des femmes, ils sont heureux que les femmes, qui les dominent d'ailleurs par tant d'endroits, aient sur eux cet avantage de moins.

On regarde une femme savante comme on fait une belle arme; elle est ciselée artistement, d'une polissure admirable, et d'un travail fort recherché; c'est une pièce de cabinet, que l'on montre aux curieux, qui n'est pas d'usage, qui ne sert ni à la guerre ni à la chasse, non plus qu'un cheval de manége, quoique le mieux instruit du monde.

Si la science et la sagesse se trouvent unies en un même sujet*, je ne m'informe plus du sexe, j'admire; et si vous me dites qu'une femme sage ne songe guère à être savante, ou qu'une femme savante n'est guère sage, vous avez déjà oublié ce que vous venez de lire que les feinmes ne sont détournées des sciences que par de certains défauts. Concluez donc vous-même que moins elles auraient de ces défauts, plus elies seraient sages; et qu'ainsi une

1. Leur mémoire. Il y a quelque confusion dans cette énumération des causes fort diverses, qui empêchent les femines de beaucoup savoir. Il est évident que la première et la plus considérable de toutes est la nature mème; mais que les femmes elles-mêmes y ont aidé, et que les hommes n'y ont pas résisté. L'auteur semble embarrassé de traiter ce sujet après Molière, qui s'est tant raillé des femmes savantes. Il laisse entrevoir qu'il est d'un avis tout différent; mais il n'ose le soutenir avec franchise. Sa manière ordinaire, qui consiste à elleurer un sujet et à s'en retirer aussitôt, est excellente, lorsque le lecteur peut facilement trouver le reste dans son imagination. Ici la réticence n'est que de l'incertitude et de l'embarras.

2. Devoir. Ce ton épigrammatique et le compliment qui le termine, ne sont pas dans le goût habituel de l'auteur.

3. Unies. Il faudrait plutôt réunies.

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4. En un même sujet. Cette alliance n'était pas rare au XVIe siècle. L'hôtel de Rambouillet avait propagé dans le monde un goût singulier de subtilité et d'études solides. Lorsque la preciosité eut succombé sous les attaques de Molière et fut hors de mode, il resta à plus d'une femme les souvenirs d'une éducation savante, et l'habitude des lectures sérieuses. Elle ne perdait pour cela ni la gaieté, ni l'esprit, ni la modestie. Trois mois après que madame La Fayette eut commencé à apprendre le latin, dit Segrais, elle en savait déjà plus que M. Ménage et que le père Rapin, ses maltres. En la faisant expliquer, ils curent dispute ensemble touchant l'explication d'un chapitre, et ni l'un ni l'autre ne voulait se rendre au sentiment de son compagnon. Madame de La Fayette leur dit: Vous n'y entendez rien ni l'un ni l'autre. En effet elle leur dit la véritable explication de ce passage; ils tombèrent d'accord qu'elle avait raison. C'était un poëte qu'elle expliquait, car elle n'aimait pas la prose et n'a pas a Ciceron; mais comme elle se plaisait fort à ia poésie, elle lisait particulierement Horace et Virgile; et comme elle avait l'esprit poétique, et qu'elle savait tout ce qui convenait à cet art, elle pénétrait sans peine le sens de ces auteurs. Cela n'empechait pas Boileau, qui n'aimait pas plus le pédantisme que Moliere, de dire que madame de La Fayette était la femme de France qui avait le plus d'esprit.

femme sage' n'en serait que plus propre à devenir savante; ou qu'une femme savante, n'étant telle que parce qu'elle aurait pu vaincre beaucoup de défauts, n'en est que plus sage.

* La neutralité entre des femmes qui nous sont également amies', quoiqu'elles aient rompu pour des intérêts où nous n'avons nulle part, est un point difficile; il faut choisir souvent entre elles, cu les perdre toutes deux.

Il y a telle femme qui aime mieux son argent que ses amis, et ses amants que son argent.

Il est étonnant de voir dans le cœur de certaines femmes quelque chose de plus vif et de plus fort que l'amour pour les hommes, je veux dire l'ambition et le jeu : de telles femmes rendent les hommes chastes, elles n'ont de leur sexe que les habits.

* Les femmes sont extrêmes; elles sont meilleures ou pires que les hommes.

* La plupart des femmes n'ont guère de principes; elles se conduisent par le cœur, et dépendent pour leurs mœurs de ceux qu'elles aiment.

* Les femmes vont plus loin en amour que la plupart des hommes, mais les hommes l'emportent sur elles en amitié.

Les hommes sont cause que les femmes ne s'aiment point.

* Il y a du péril à contrefaire. Lise, déjà vieille, veut rendre une jeune femme ridicule, et elle-même devient difforme, elle me fait peur; elie use, pour l'imiter, de grimaces et de contorsions: la voilà aussi laide qu'il faut pour embellir celle dont elle se moque.

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* On veut à la ville que bien des idiots et des idiotes aient de l'esprit on veut à la cour que bien des gens manquent d'esprit, qui en ont beaucoup; et, entre les personnes de ce dernier genre, une belle femme ne se sauve qu'à peine avec d'autres femmes. * Un homme est plus fidèle au secret d'autrui qu'au sien propre; une femme, au contraire, garde mieux son secret que celui d'autrui.

1. Sage. Raisonnements pénibles et subtils, qui sembient presque une réminis cence des dissertations des précieuses.

2. Qui nous sont amies. Ami s'emploie rarement avec cette construction

3. On veut. On suppose de l'esprit à ceux qui n'en ont pas.

4. Ne se sauve. Echappe avec peine au reproche d'être idiote.

5. Avec Quand elle se trouve au milieu d'autres femmes qui la dénigrent avec Jalousie

Il n'y a point dans le cœur d'une jeune personne un si violent amour, auquel l'intérêt ou l'ambition n'ajoute quelque chose.

* Il y a un temps' où les filles les plus riches doivent prendre parti; elles n'en laissent guère échapper les premières occasions sans se préparer un long repentir: il semble que la réputation des biens diminue en elles avec celle de leur beauté. Tout favorise au contraire une jeune personne, jusques à l'opinion des hommes, qui aiment à lui accorder tous les avantages qui peuvent la rendre plus souhaitable.

* Combien de filles à qui une grande beauté n'a jamais servi qu'à leur faire espérer une grande fortune!

2

* Les belles filles sont sujettes à venger ceux de leurs amants qu'elles ont maltraités, ou par de laids, ou par de vieux, ou par d'indignes maris 3.

* La plupart des femmes jugent du mérite et de la bonne mine d'un homme par l'impression qu'ils font sur elles, et n'accordent presque ni l'un ni l'autre à celui pour qui elles ne sentent rien.

* Un homme qui serait en peine de connaître s'il change, s'il commence à vieillir, peut consulter les yeux d'une jeune femme qu'il aborde, et le ton dont elle lui parle ; il apprendra ce qu'il craint de savoir. Rude école 1!

* Une femme qui n'a jamais les yeux que sur une même personne, ou qui les en détourne toujours, fait penser d'elle la même chose.

Il coûte peu aux femmes de dire ce qu'elles ne sentent point: il coûte encore moins aux hommes de dire ce qu'ils sentent.

* Il arrive quelquefois qu'une femme cache à un homme toute la passion qu'elle sent pour lui, pendant que de son côté il feint pour elle toute celle qu'il ne sent pas.

* L'on suppose un homme indifférent, mais qui voudrait persuader à une femme une passion qu'il ne sent pas ; et l'on demande s'il ne lui serait pas plus aisé d'imposer à celle dont il est aimé, qu'à celle qui ne l'aime point.

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4. Il y a un temps. Lorsque les filles les plus riches commencent à devenir âgées, Il semble qu'elles perdent mène la réputation de leurs biens.

2. Faire esperer. Dure verité sous une forme ingénieuse.

3. Maris. Ces courtes reflexions sur la beaute et l'avantage qu'on en retire, sont profondes et tristes, quoique peut-être un peu sèches.

4. Rude école! Cette explication est d'un effet comique et ajoute à la vérité de l'observation.

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