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quer de censeurs ou de critiques : c'est ce qui fait que l'on prêche et que l'on écrit. L'orateur et l'écrivain ne sauraient vaincre la joie qu'ils ont d'être applaudis; mais ils devraient rougir d'euxmêmes, s'ils n'avaient cherché, par leurs discours ou par leurs écrits, que des éloges ; outre que l'approbation la plus sûre et la moins équivoque est le changement de mœurs et la réformation de ceux qui les lisent ou qui les écoutent. On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l'instruction; et, s'il arrive que l'on plaise, il ne faut pas néanmoins s'en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les vérités qui doivent instruire: quand donc il s'est glissé dans un livre quelques pensées ou quelques réflexions qui n'ont ni le feu, ni le tour, ni la vivacité des autres, bien qu'elles semblent y être admises pour la variété, pour délasser l'esprit, pour le rendre plus présent et plus attentif à ce qui va suivre, à moins que d'ailleurs elles ne soient sensibles, familières, instructives, accommodées au simple peuple, qu'il n'est pas permis de négliger, le lecteur peut les condamner, et l'auteur les doit proscrire; voilà la règle ". Il y en a une autre, et que j'ai intérêt que l'on veuille suivre, qui est de ne pas perdre

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1. Que des éloges. Ces pensées se retrouvent beaucoup mieux exprimées dans le chapitre des Ouvrages de l'esprit. Fénelon a dit avec beaucoup de vivacité et d'élévation: L'éloquence est un art très-sérieux qui est destiné à instruire, à réprimer les passions, à corriger les mœurs, à soutenir les lois. à diriger les délibérations publiques, à rendre les hommes bons et heureux. Plus un déclamateur ferait d'efforts pour m'éblouir par les prestiges de son discours, plus je me révolterais contre sa vanité. Son empressement pour faire admirer son esprit, me paraitrait le rendre indigne de toute admiration. Je cherche un homme sérieux qui me parle pour moi et non pour lui. qui veuille mo.. salut et non sa vaine gloire. L'homme digne d'être écouté est celui qui ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu Lettre sur les occupations de l'Académie; édit. de M. Despois, p. 21. 2. Si. Répétition d'une grande négligence.

3. Plus présent. C'est le sens latin du mot; il est fâcheux qu'on l'ait laissé perdre.

4.

Sensibles. A moins que ces pensées n'aient un tour frappant, saisissant. 5. Pas permis, etc. Réflexion très-judicieuse.

6. Voilà la règle. Phrase bien embarrassée et bien obscure. L'auteur veut dire qu'il faut rejeter toutes les pensées où il n'y a ni agrément, ni instruction.

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7. Que j'ai intérêt que. Ces deux que font une tournure peu élégante, surtout quand ils sont suivis d'un « qui»; néanmoins c'est une locution commode, fort en asage au XVIIe siècle et même plus tard: Mon Dieu, Scapin, fais-nous un peu ce récit qu'on m'a dit qui est si plaisant. MOLIÈRE, les Fourberies de Scapin, 1, 4. – Voici cette épitre de Corneille qu'on prétend qui lui attira tant d'ennemis. VOLTAIRE, Commentaire sur l'épitre d'Ariste.

8. Qui est. Il ne s'agit pas ici d'une règle, mais d'une observation qu'on prie le lecteur de faire.

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mon titre de vue, et de penser toujours, et dans toute la lecture de cet ouvrage, que ce sont les caractères ou les mœurs de ce siècle que je décris, car, bien que je les tire souvent de la cour de France et des hommes de ma nation, on ne peut pas néanmoins les restreindre à une seule cour 2 ni les renfermer en un seul pays, sans que mon livre ne perde beaucoup de son étendue et de son utilité, ne s'écarte du plan que je me suis fait d'y peindre Les hommes en général, comme des raisons qui entrent dans l'ordre des chapitres, et dans une certaine suite insensible des réflexions qui les composent. Après cette précaution si nécessaire, et dont on pénètre assez les conséquences, je crois pouvoir protester contre tout chagrin, toute plainte, toute maligne interprétation, toute fausse application et toute censure; contre les froids plaisants et les lecteurs malintentiounés". Il faut savoir lire, et ensuite se taire, ou pouvoir rapporter ce qu'on a lu, et ni plus ni moins que ce qu'on a lu; et, si on le peut quelquefois, ce n'est pas assez, il faut encore le vouloir faire : sans ces conditions, qu'un auteur exact et scrupuleux est en droit d'exiger de certains esprits pour l'unique récompense de son travail, je doute qu'il doive continuer d'écrire, s'il préfère du moins sa propre satis

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2.

De ce siècle. De ce siècle tout entier.

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Les restreindre à une seule cour. C'est ce qu'avait fait, non sans malice, l'académicien Charpentier, dans sa réponse au discours de réception de La Bruyère à l'Académie française. C'est le même Charpentier qui faisait partie de l'académie des Inscriptions, et dont Boileau s'est tant moqué.

3. Comme des raisons se rapporte à ce qui est plus haut: ne s'écarte du plan, ainsi que des raisons. La Bruyère a voulu dire: «Bien que je tire mes caractères de la cour de France, on ne peut les restreindre à un seul pays; car alors on ferait perdre mon livre l'étendue que j'ai voulu lui donner; on ne comprendrait pas mon plan, qui est de peindre l'homme en general; on ne concevrait rien à l'ordre des chapitres, ni même à la suite des réflexions particulières. Ce que l'auteur veut dire de sa méthode et de son plan est très-juste; il est fâcheux qu'il l'ait exprimé en termes si négligés.

4. Les conséquences. Les deux derniers chapitres sont intitulés: De la Chaire.Des Esprits forts. Voyez la préface du Discours à l'Académie.

5 Malintentionnés. Cette précaution fut, comme on le pense bien, parfaitement mutile; il y avait trop d'allusions directes, de satires personnelles, et le succès fut trop grand, pour qu'il ne s'élevât pas de tous les côtés des envieux et des censeurs. M. de Malézieux avait dit à La Bruyère qui lui montrait son livre: «Voilà de quoi vous procurer beaucoup de lecteurs et beaucoup d'ennemis.

6. Si on le peut. Si on peut rapporter ce qu'on a lu.

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7. Continuer d'écrire. Si quelque chose était capable de dégoûter l'auteur de faire des comédies, c'étaient les ressemblances qu'on y voulait toujours trouver, et dont ses ennemis tachaient malicieusement d'appuyer la pensée, pour lui rendre de

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faction à l'utilité de plusieurs et au zèle de la vérité. J'avoue d'ailleurs que j'ai balancé dès l'année 1690, et avant la cinquième édition, entre l'impatience de donner à mon livre plus de rondeur et une meilleure forme par de nouveaux caractères, et la crainte de faire dire à quelques-uns: Ne finiront-ils point ces caractères, et ne verrons-nous jamais autre chose de cet écrivain? Des gens sages me disaient d'une part: La matière est solide, ultie, agréable, inépuisable; vivez longtemps, et traitez-la sans interruption pendant que vous vivrez que pourriez-vous faire de mieux? il n'y a point d'année que les folies des hommes ne puissent vous fournir un volume. D'autres, avec beaucoup de raison, me faisaient redouter les caprices de la multitude et la légèreté du public, de qui j'ai néanmoins de si grands sujets d'être content, et ne manquaient pas de me suggérer que, personne presque depuis trente années ne lisant plus que pour lire, il fallait aux hommes, pour les amuser, de nouveaux chapitres et un nouveau titre; que cette indolence avait rempli les boutiques et peuplé le monde, depuis tout ce temps, de livres froids et ennuyeux, d'un mauvais style et de nulle ressource, sans règles et sans la moindre justesse, contraires aux mœurs et aux bienséances, écrits avec précipitation, et lus de même, seulement par leur nouveauté; et que, si je ne savais qu'augmenter un

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mauvais offices auprès de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. MOLIÈRE, l'Impromptu de Versailles.

4. De plusieurs.» Plurimorum, du plus grand nombre.

2. Zèle de la vérité. On dirait maintenant pour la vérité,» sans qu'on puisse dire la raison de ce changement. - La Bruyère est revenu sur tout ce qu'il dit ici dans sa préface du Discours à l'Académie.

3. La cinquième édition.» La première est de 1688. Le livre avait donc eu un succès dont il y a peu d'exemples.

4. Plus de rondeur.» C'est-à-dire de le grossir.

5. Des gens sages me disaient. C'est également par un dialogue que Boileau se Justifie d'écrire des satires. Molière a fait très heureusement son apologie en comédie. P.-L. Courier, dans un de ses plus jolis ouvrages, nous présente deux personnes sages, l'une hostile, l'autre favorable à la publication de ses pamphlets.

6. La matière. » Molière présente les mêmes idées avec beaucoup plus de force et

de verve. Voyez l'Impromptu de Versailles, etc.

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7. Que pour lire. C'est-à-dire pour passer le temps, sans souci de l'instruction. 8. De nuile ressource.» Où il n'y a rien à gagner.

9. Par. A cause de. « J'ai ouï condamner cette comédie à de certaines gens, par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer le plus. MOLIÈRE, Critique de l'Ecole des femmes.

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livre raisonnable, le mieux que je pouvais faire était de me reposer '. Je pris alors quelque chose de ces deux avis si opposés, et je gardai un tempérament qui les rapprochait je ne feignis point d'ajouter quelques nouvelles remarques à celles qui avaient déjà grossi du double la première édition de mon ouvrage; mais, afin que le public ne fût point obligé de parcourir ce qui était ancien pour passer à ce qu'il y avait de nouveau, et qu'il trouvât sous ses yeux ce qu'il avait seulement envie de lire, je pris soin de lui désigner cette seconde augmentation par une marque particulière. Je crus aussi qu'il ne serait pas inutile de lui distinguer la première augmentation par une autre marque plus simple, qui servît à lui montrer le progrès de mes Caractères, et à aider son choix dans la lecture qu'il en voudrait faire: et, comme il pouvait craindre que ce progrès n'allât à l'infini, j'ajoutais à toutes ces exactitudes ® une promesse sincère de ne plus rien hasarder en ce genre. Que si quelqu'un m'accuse d'avoir manqué à ma parole en insérant dans les trois éditions qui ont suivi un assez grand nombre de nouvelles remarques, il verra du moins qu'en les confondant avec les anciennes par la suppression entière de ces différences, qui se voient par apostille, j'ai moins pensé à lui faire lire rien de nouveau, qu'à laisser peut-être un ouvrage de mœurs 1. De me reposer. » Il y a beaucoup de malice et de finesse dans cette satire des auteurs et des lecteurs.

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Tempérament.» Juste milieu; c'est le sens latin fort en usage alors.

3. Je ne feignis point. Je n'hésitai point à... Nous ne feignons pas de tout mettre en usage.» MOLIÈRE, Pourceaugnac, 1, 3.

4. « Grossi du double. C'est la quatrième édition que l'auteur avait grossie da double, sans prévenir le public autrement que par le titre. Il fit de nouvelles remarques dans la cinquième, à l'occasion de laquelle il inséra dans sa préface ce petit avertissement.

5. Par une marque particulière. Ce ne fut qu'à la cinquième édition que La Bruyère, tant pour le motif allégué dans sa préface, que pour satisfaire aux exigences de la censure, dut distinguer par un sigue les nouveaux caractères des anciens. Les pensées des trois premières éditions furent précédées comme toujours du signe; les additions de la quatrième du même signe entre parenthèses (*), et celles de la cinquième du signe entre deux parenthèses ((*)).

6. Ces exactitudes. Ces preuves d'exactitude. Exactitude ne s'emploierait pas aujourd'hui au pluriel.

7. Dans les trois éditions. Les parenthèses fort incommodes, furent supprimées dans la sixième edition; dans la septième une table placée à la fin de l'ouvrage indiqua les additions; dans la huitième, elles furent précédées d'une main S. La neuvième (1696), la plus correcte de toutes, ne fut imprimée qu'au moment même de la mort de l'auteur; elle ne porte pas d'autre signe qu'un trait de séparation entre chaque caractère ou article.

8. Par apostilie. » A la tabie des matières.

plus complet, plus fini et plus régulier, à la postérité. Ce ne sont point, au reste, des maximes que j'aie voulu écrire; elles sont comme des lois dans la morale, et j'avoue que je n'ai ni assez d'autorité ni assez de génie pour faire le législateur. Je sais même que j'aurais péché contre l'usage des maximes, qui veut qu'à la manière des oracles elles soient courtes et concises'. Quelquesunes de ces remarques le sont, quelques autres sont plus étendues. On pense les choses d'une manière différente, et on les explique par un tour aussi tout différent, par une sentence, par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait tout entier, par un seul trait, par une description, par une peinture3; de là procède la longueur ou la brièveté de mes réflexions. Ceux enfin qui font des maximes veulent être crus : je consens, au contraire, que l'on dise de moi que je n'ai pas quelquefois bien remarqué, pourvu que l'on remarque mieux ‘.

4. Concises. Allusion au livre des Maximes de La Rochefoucauld.

2. Différente. Les unes des autres.

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3. Par une peinture. La Bruyère rend ici très-bien compte de la variété qu'il a réussi à mettre dans son ouvrage, quoique cela fùt fort difficile.

4. Mieux. Cette préface est écrite avec négligence, et n'est pas toujours claire. L'auteur y insérait à chaque édition des phrases nouvelles, qui dérangent la suite des pensées. Il est fâcheux qu'il n'ait pas songé à la revoir dans son entier, et à lui donner plus de correction et d'unité.

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