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* Un Père de l'Eglise, in docteur de l'Eglise, quels noms! quelle tristesse dans leurs écrits ! quelle sécheresse, quelle froide dévotion! et peut-être quelle scolastique! disent ceux qui ne les ont jamais lus. Mais plutôt quel étonnement pour tous ceux qui se sont fait une idée des Pères si éloignée de la vérité, s'ils voyaient dans leurs ouvrages plus de tour et de délicatesse, plus de politesse et d'esprit, plus de richesse d'expression et plus de force de raisonnement, des traits plus vifs et des grâces plus naturelles', que l'on n'en remarque dans la plupart des livres de ce temps, qui sont lus avec goût, qui donnent du nom et de la vanité à leurs auteurs! Quel plaisir d'aimer la religion, et de la voir crue, soutenue, expliquée par de si beaux génies et par de si solides esprits! surtout lorsque l'on vient à connaître que, pour l'étendue de connaissance, pour la profondeur et la pénétration, pour les principes de la pure philosophie, pour leur application et leur développement, pour la justesse des conclusions, pour la dignité du discours, pour la beauté de la morale et des sentiments, il n'y a rien, par exemple, que l'on puisse comparer à S. AUGUSTIN que PLATON et que CICERON.

* L'homme est né menteur : la vérité est simple et ingénue, et il veut du spécieux et de l'ornement, elle n'est pas à lui,

elle

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cien-Testament, déclarée canonique par l'Eglise. Saint Augustin, né à Tagast (auj. Tagelt), ville d'Afrique, en 354, et mort à Hippone (auj. Bone, dans l'Algérie), dont il était évêque.

1. Plus naturelles. Voyez Fénelon, Lettres sur les occupations de l'Académie, page 28, et troisième Dialogue sur l'éloquence, édition annotée par M. Despois Fé nelon fait des pères de l'Eglise un éloge mieux senti que celui de La Bruyère, quoiqu'il n'ait pas craint, comme lui, de mêler quelques critiques à ses louanges. Les pères de l'Eglise étaient au XVIIe siècle beaucoup plus étudiés que du nôtre. Madame de Sévigné lisait assez souvent du saint Augustin et en était tout émerveillée, 2. Saint Augustin. Nous arrivons à l'homme le plus étonnant de l'Eglise latine, à celui qui porta le plus d'imagination dans la théologie, le plus d'éloquence et même de sensibilité dans la scolastique; ce fut saint Augustin. Donnez-lui un autre siècle, placez-le dans une meilleure civilisation, et jamais homme n'aura paru doué d'un génie plus vaste et plus facile. Métaphysique, histoire, antiquités, science des mœurs, connaissance des arts, Augustin avait tout embrassé. Il écrit sur la musique, comme sur le libre arbitre; il explique le phénomène intellectuel de la mémoire, comme il raisonne sur la décadence de l'empire romain. Son esprit subtil et vigoureux a souvent consumé dans des problèmes mystiques une force de sagacité qui suffirait aux plus sublimes conceptions. Son éloquence, entachée d'affectation et de barbarie, est souvent naïve et simple; sa morale austère déplaisait aux casuistes cor rompus que Pascal a flétris ses ouvrages, immense répertoire où puisait cette science théologique qui a tant agité l'Europe, sont la plus vive image de la société chrétienne à la fin durve siècle. M. VILLEMAIN, Tableau de l'éloquence chrétienne au Ive siècle, saint Augustin.

3. Menteur L'auteur reproduit, pour les combattre, les raisonnements da ceux qui contestent l'authenticité des saintes Ecritures.

vient du ciel toute faite, pour ainsi dire, et dans toute sa perfection; et l'homme n'aime que son propre ouvrage, la fiction et la fable. Voyez le peuple: il controuve, il augmente, il charge par grossièreté et par sottise; demandez même au plus honnête homme s'il est toujours vrai dans ses discours, s'il ne se surprend pas quelquefois dans des déguisements où engagent nécessairement la vanité et la légèreté; si, pour faire un meilleur conte, il ne lui échappe pas souvent d'ajouter à un fait qu'il récite une circonstance qui y manque. Une chose arrive aujourd'hui, et presque sous nos yeux; cent personnes qui l'ont vue la racontent en cent façons différentes; celui-ci, s'il est écouté, la dira encore d'une manière qui n'a pas été dite quelle créance donc pourrais-je donner à des faits qui sont anciens, et éloignés de nous par plusieurs siècles? quel fondement dois-je faire sur les plus graves historiens? que devient l'histoire '? César a-t-il été massacré au milieu du sénat? y a-t-il eu un César? Quelle conséquence: me dites-vous; quels doutes! quelle demande! Vous riez, vous ne me jugez pas digne d'aucune réponse, et je crois même que vous avez raison. Je suppose néanmoins que le livre qui fait mention de César ne soit pas un livre profane, écrit de la main des hommes qui sont menteurs, trouvé par hasard dans les bibliothèques parmi d'autres manuscrits qui contiennent des histoires vraies ou apocryphes; qu'au contraire il soit inspiré, saint, divin; qu'il porte en soi ces caractères; qu'il se trouve depuis près de deux mine ans dans une société nomoreuse qui n'a pas permis qu'on y ait fait pendant tout ce temps la moindre altération, et qui s'est fait une religion de le conserver dans toute son intégrité; qu'il y ait même un engagement religieux et indispensable d'avoir de la foi pour tous les faits contenus dans ce volume où il est parlé de César et de sa dictature: avouez-le, Lucile, vous douterez alors qu'il y ait eu un César.

* Toute musique n'est pas propre à louer Dieu et à être entendue dans le sanctuaire; toute philosophie ne parle pas dignement de Dieu, de sa puissance, des principes de ses opérations et de ses

4. L'histoire. Le sophisme ici consiste à tirer une conséquence générale de faits beaucoup trop particuliers. Il est clair que les hommes mentent quelquefois; mais ce n'est pas une raison pour supposer qu'ils n'ont jamais dit vrai.

2. Vous douterez. Vous ne voudrez pas appliquer aux livres saints les mêmes règles de jugement qu'aux livres profanes Ce qui n'est pas juste.

mystères plus cette philosophie est subtile et idéale, plus elle est vaine et inutile pour expliquer des choses qui ne demandent des hommes qu'un sens droit pour être connues jusques à un certain point, et qui au delà sont inexplicables. Vouloir rendre raison de Dieu, de ses perfections, et, si j'ose ainsi parler, de ses actions, c'est aller plus loin que les anciens philosophes, que les apôtres, que les premiers docteurs; mais ce n'est pas rencontrer si juste, c'est creuser longtemps et profondément, sans trouver les sources de la vérité. Dès qu'on a abandonné les termes de bonté, de miséricorde, de justice et de toute-puissance, qui donnent de Dieu de si hautes et de si aimables idées, quelque grand effort d'imagination qu'on puisse faire, il faut recevoir les expressions sèches, stériles, vides de sens; admettre les pensées creuses, écartées des notions communes, ou tout au plus les subtiles et les ingénieuses; et, à mesure que l'on acquiert d'ouverture dans une nouvelle métaphysique', perdre un peu de sa religion'.

* Jusques où les hommes re se portent-ils point par l'intérêt de la religion, dont ils sont si peu persuadés, et qu'ils pratiquent si mal?

* Cette même religion que les hommes défendent avec chaleur et avec zèle contre ceux qui en ont une toute contraire, ils l'altèrent eux-mêmes dans leur esprit par des sentiments particuliers, ils y ajoutent et ils en retranchent mille choses souvent essentielles, selon ce qui leur convient, et ils demeurent fermes et inébranlables dans cette forme qu'ils lui ont donnée. Ainsi, à parler populairement3, on peut dire d'une seule nation qu'elle vit sous un même culte, et qu'elle n'a qu'une seule religion; mais, à parler exactement, il est vrai qu'elle en a plusieurs, et que chacun presque y a la sienne.

* Deux sortes de gens fleurissent dans les cours et y dominent dans divers temps, les libertins et les hypocrites: ceux-là gaie

1. Métaphysique. On appelle physique, la science qui s'occupe de la nature visible, des corps, et métaphysique, celle qui traite des objets plus relevés, de l'âme, de Dieu, etc.

2. Religion. Ces réflexions si justes sur l'impuissance de notre raison qui, étant bornée, ne saurait comprendre et expliquer en son entier la nature infinie de Dieu, paraissent s'appliquer à Malebranche, l'un des plus célèbres disciples de Descartes. 3. Populairement. Comme le peuple, grossièrement, sans exactitude.

4. Les libertins et les hypocrites. L'auteur est à la fois habile et hardi en confondant ces deux espèces de courtisans dans une commune condamnation.

ment, ouvertement, sans art et sans dissimulation; ceux-ci finement, par des artifices, par la cabale. Cent fois plus épris de la fortune que les premiers, ils en sont jaloux jusqu'à l'excès, ils veulent la gouverner, la posséder seuls, la partager entre eux, et en exclure tout autre ; dignités, charges, postes, bénéfices, pensions, honneurs, tout leur convient et ne convient qu'à eux, le reste des hommes en est indigne; ils ne comprennent point que sans leur attache 'on ait l'impudence de les espérer. Une troupe de masques entre dans un bal; ont-ils la main, ils dansent, ils se font danser les uns les autres, ils dansent encore, ils dansent toujours, ils ne rendent la main à personne de l'assemblée, quelque digne qu'elle soit de leur attention; on languit, on sèche de les voir danser et de ne danser point; quelques-uns murmurent, les plus sages prennent leur parti, et s'en vont.

* Il y a deux espèces de libertins : les libertins, ceux du moins qui croient l'être; et les hypocrites ou faux dévots, c'est-à-dire, ceux qui ne veulent pas être crus libertins : les derniers dans ce genre-là sont les meilleurs.

Le faux dévot ou ne croit pas en Dieu, ou se moque de Dieu; parlons de lui obligeamment, il ne croit pas en Dieu.

* Si toute religion est une crainte respectueuse de la Divinité, que penser de ceux qui osent la blesser dans sa plus vive image, qui est le prince 1?

* Si l'on nous assurait que le motif secret de l'ambassade des Siamois a été d'exciter le roi Très-Chrétien à renoncer au christianisme; à permettre l'entrée de son royaume aux Talapoins, qui eussent pénétré dans nos maisons pour persuader leur religion à nos femmes, à nos enfants et à nous-mêmes, par leurs livres et par leurs entretiens; qui eussent élevé des pagodes au milieu des villes, où ils eussent placé des figures de métal pour être adorées; avec quelles risées et quel étrange mépris n'entendrions-nous pas des choses si extravagantes? Nous faisons cependant six mille

1. Sans leur attache. Sans être attaché, sans tenir à eux par quelque endroit. 2. Une troupe de masques, etc. Cette comparaison est assez singulière, et il est difficile d'en voir l'à-propos.

3. Les derniers dans ce genre-là. Les derniers, les moins habiles des hypocrites. 4. Le prince. Que penser des faux dévots qui blessent par leur hypocrisie la re igion, et trompent le prince, image de la Divinité?

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5. L'ambassade des Siamois. Voyez page 312, note 3. 6. Talapoins, pagodes. Prêtres et temples des Siamois.

lieues de mer pour la conversion des Indes, des royaumes de Siam, de la Chine et du Japon; c'est-à-dire, pour faire très-sérieusement à tous ces peuples des propositions qui doivent leur paraître très-folles et très-ridicules. Ils supportent néanmoins nos religieux et nos prêtres, ils les écoutent quelquefois', leur laissent bâtir leurs églises et faire leurs missions: qui fait cela en eux et en nous? ne serait-ce point la force de la vérité?

* Il ne convient pas à toute sorte de personnes de lever l'étendard d'aumônier 3, et d'avoir tous les pauvres d'une ville assem. blés à sa porte, qui y reçoivent leurs portions. Qui ne sait pas, au contraire, des misères plus secrètes, qu'il peut entreprendre de soulager, ou immédiatement et par ses secours, ou du moins par sa médiation? De même il n'est pas donné à tous de monter en chaire, et d'y distribuer, en missionnaire ou en catéchiste ^, la parole sainte mais qui n'a pas quelquefois sous sa main un libertin à réduire, et à ramener, par de douces et insinuantes conversations, à la docilité ? Quand on ne serait pendant sa vie que l'apôtre d'un seul homme, ce ne serait pas être en vain sur la terre, ni lui être un fardeau inutile.

* Il y a deux mondes : l'un où l'on séjourne peu, et dont l'on doit sortir pour n'y plus rentrer ; l'autre où l'on doit bientôt entrer pour n'en jamais sortir. La faveur, l'autorité, les amis, la haute

4. Les écoutent quelquefois. C'est devant les ambassadeurs du roi de Siam que Fénelon prononçait, en 1685, son bean sermon sur les missionnaires : « Qu'ils sont beaux les pieds de ces hommes qu'on voit venir du haut des montagnes apporter la paix, annoncer les biens éternels, prêcher le salut, et dire : O Sion, ton Dieu régnera sur toi! Les voici ces nouveaux conquérants, qui viennent sans armes, excepté la croix du Sauveur. Ils viennent, non pour enlever les richesses et répandre le sang des vaincus, mais pour offrir leur propre sang et communiquer le trésor céleste. Peuples qui les vites venir, quelle fut d'abord votre surprise, et qui peut la representer? Des hommes qui viennent à vous sans être attirés par aucun motif, ni de commerce, ni d'ambition, ni de curiosité; des hommes qui, sans vous avoir jamais vus, sans savoir même où vous êtes, vous aiment tendrement, quittent tout pour vous, et vous cherchent au travers de toutes les mers avec tant de fatigues et de périls, pour vous faire part de la vie éternelle qu'ils ont découverte! Nations ensevelies dans l'ombre de la mort. quelle lumière sur vos têtes! Sermon pour la féle de l'Epiphanie, premier point. 2. Lever l'étendard.» Locution expressive pour faire état, profession de. 3. Aumônier. Qui donne souvent l'aumône. Cette femme est grande dévote et ort aumônière. On appelait autrefois aumônière une petite bourse propre pour tenit ou recevoir des aumônes.» FURETIÈRE.

4. Catéchiste.. "

Catéchiser, enseigner les principes et les mystères de la fol chrétienne. Les missionnaires vont catéchiser les paysans dans les villages. Id.

5. Ramener par de douces conversations. C'est ce que l'auteur s'est proposé dans le commencement de ce chapitre. Il n'y apporte point d'arguments, ni de dissertation: c'est une conversation instructive et piquante, où il montre que le bon sens est da côté de la religion, et l'ignorance et le ridicule parmi les libertins.

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