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l'action et la fait languir; des négligences dans les vers et dans l'expression, qu'on ne peut comprendre en un si grand homine. Ce qu'il y a eu en lui de plus éminent, c'est l'esprit, qu'il avait sublime, auquel il a été redevable de certains vers les plus heureux qu'on ait jamais lus ailleurs, de la conduite de son théâtre, qu'il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens, et enfin de ses dénouements; car il ne s'est pas toujours assujetti au goût des Grecs et à leur grande simplicité, il a aimé, au contraire, à charger la scène d'événements dont il est presque toujours sorti avec succès: admirable surtout par l'extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour le dessein entre un si grand nombre de poëmes qu'il a composés. Il semble qu'il y ait plus de ressemblance'

ne pomt faire agir un personnage d'une manière conforme à ce qu'exigent le caractère qu'on lui a donné, et la situation où il se trouve. Nous voyons Cinna tout différent dan les derniers actes de ce qu'il a été dans les premiers. Rodogune annoncée comme un personnage intéressant, demande à deux princes vertueux d'assassiner leur mère. 4. Des négligences.» Les négligences se comprennent aussi facilement et même plus dans un grand homme que dans un autre. Il faut ajouter qu'on a fort exagéré celles qu'on peut reprocher à Corneille. C'est le tort de Voltaire dans son excellent commentaire. Il condamne comme mauvaises toutes les locutions inusitées de sou temps, saus se demander, si l'usage du xvine siecle pouvait faire loi au commencement du xvire, et si la langue nouvelle valait mieux que l'ancienne. Les Romains estimaient que Lucrèce était tout aussi latin que Virgile.

2. L'esprit, qu'il avait sublime.» La pensée est claire, mais l'expression et la tournure sont fort embarrassées.

3. Certains vers. » Racine disait à son fils: « Corneille fait des vers cent fois plus beaux que les miens, et il lui enseignait à les comprendre et à les admirer.

4. Contre les règles des anciens. Les pedants faisaient un grand crime à Corneille de n'avoir pas suiv: les règles d'Aristote, les beaux esprits lui en faisaient un mérite. Saint-Evremond dit avec beaucoup de sens: Il faut convenir que la poétique d'Aristote est un excellent ouvrage; cependant il n'y a rien d'assez parfait pour régler toutes les nations et tous les siècles. Descartes et Gassendi ont découvert des vérités qu'Aristote ne connaissait pas; nos philosophes ont remarqué des erreurs dans sa physique, Corneille a trouvé des beautés pour le théâtre, qui ne lui étaient pas con

nues.

5. A charger la scène. » Les chefs-d'œuvre de Corneille, te Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, ne sont point charges d'événements. Il est permis de croire que les scènes sublimes de Rodogune et d'Hèraclius ue perdraient rien à sortir d'une intrigue moins compliquée et moins obscure.

6. Entre un si grand nombre. Cet éloge a presque l'air d'une épigramme. Laharpe demande avec raison si l'on peut savoir gré à Corneille d'avoir produit le plan de Suréna, de Pulchérie, d'Agèsilas, de Pertharite, de Théodore, etc. Ce n'est pas par là qu'il se montre surtout admirable. On voit combien il est difficile, même à un esprit excellent et impartial, de juger les contemporains. Boileau seul y a presque toujours réussi.

7. Plus de ressembiance.» Cela est vrai, surtout des jeunes princes amoureux. Briannicus, Xiphares, Antiochus, Bajazet. Hippolyte, tiennent tous à peu près le même langage. Mais quelle difference pourrait-on etablir entre les Valere et les Horace de toutes les comédies, même de celles de Molière? Quel heros de roman intéresse, s'il n'est qu'amoureux? Ces personnages sont monotones, mais ils ne sont pas sur le premier plan; il ne serait guere possible de trouver d'autre rapport de ressemblance que celui d'une égale perfection, entre Phèdre et Roxane, Hermione et Andromaque, Agrippine et Clytemnestre.

dans ceux de RACINE, et qu'ils tendent un peu plus à une même chose; mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature; soit pour la versification, qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse: exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement' la netteté et la simplicité de l'action; à qui le grand et le merveilleux n'ont pas même manqué, ainsi qu'à Corneille ni le touchant, ni le pathétique. Quelle plus grande tendresse que celle qui est répandue dans tout le Cid, dans Polyeucte et dans les Horaces? Quelle grandeur ne se remarque point en Mithridate, en Porus et en Burrhus? Ces passions encore favorites des anciens, que les tragiques aimaient à exciter sur les théâtres, et qu'on nomme la terreur et la pitié, ont été connues de ces deux poëtes: Oreste dans l'Andromaque de Racine, et Phèdre, du même auteur, comme l'OEdipe1 et les Horaces de Corneille, en sont la preuve. Si cependant il est permis de faire entre eux quelque comparaison, et les marquer l'un et l'autre par ce qu'ils ont eu de plus propre, et par ce qui éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages, peut-être qu'on pourrait parler ainsi. Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées, kacine se conforme aux nôtres ; celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu'ils sont. Il y a plus dans le premier

1. Scrupuleusement. Pas autant qu'on le croyait de son temps.

2. Ainsi qu'à Nous dirons: non plus qu'à Corneille. Voyez la note 5, p. 25. 3. Pathétique. La Bruyère est ici juste et original.

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4. OEdipe. Il est assez curieux de voir figurer cette pièce à côté d'Horace. La Bruyère la cite encore dans son discours de réception à l'Académie, et on l'a accusé, fort à tort, de mauvaise foi. Saint-Evremond dit que l'OEdipe doit compter parmi les chefs-d'œuvre de l'art. Nous 'ugeons plus sainement, et n'y avons sans doute pas grand mérite.

5.

Comme ils devraient être. » « Pour vous prouver avec quelle précipitation l'on juge, et comme un bon mot tient lieu de raison, je ne veux vous citer que cette décision de La Bruyère, qui a été la source de tant d'énormes dissertations. Cela est éblouissant, mais cela est très-faux. Voltaire qui s'exprime ainsi n'a que trop raison, si l'on prend cette phrase à la lettre et séparée du reste du morceau. Evideniment ce serait chose fâcheuse, si tous les amoureux tuaient le père de leur amante à la façon du Cid, si tous les gendres de gouverneur saccageaient les temples, comme fait Polyeurte, si tous les frères traitaient leur sur comme Horace traite Camille. Tous ces personnages qu'on peut juger diversement au nom de la morale sont ce qu'ils doivent être dans la tragédie. Mais à ne consulter que les mœurs théâtrales, César doit-il dire à Cléopâtre que c'est pour elle seule qu'il a livré tant de batailles; Sertorius doit-il être assez lâche pour se priver d'une épouse qu'il aime, par obéissance aux ordres de Sylla? Ce serait faire tort à La Bruyère que de l'interpréter de cette façon littérale. Il y a exagération dans l'expression platôt que dans la pensée. qui s'explique par la suite. Il a voulu rendre d'une manière trop concis et trop frappante.

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de ce que l'on admire et de ce que l'on doit même imiter, il y a plus dans le second de ce que l'on reconnaît dans les autres, ou de ce que l'on éprouve dans soi-même. L'un élève, étonne, maîtrise, instruit; l'autre plaît, remue, touche, pénètre. Ce qu'il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raison est manié par le premier ; et par l'autre, ce qu'il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion. Ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des préceptes; et dans celui-ci du goût et des sentiments. L'on est plus occupé aux pièces de Corneille; l'on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine, Corneille est plus moral. Racine plus naturel. Il semble que l'un imite SOPHOCLE', et que l'autre doit plus à EURipide.

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* Le peuple appelle éloquence la facilité que quelques-uns ont de parler seuls et longtemps, jointe à l'emportement du geste, à l'éclat de la voix et à la force des poumons. Les pédants1 ne l'admettent aussi que dans le discours oratoire, et ne la distinguent pas de l'entassement des figures, de l'usage des grands mots et de la rondeur des périodes.

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Il semble que la logique est l'art de convaincre de quelque vérité; et l'éloquence un don de l'âme, lequel nous rend maîtres du cœur et de l'esprit des autres; qui fait que nous leur inspirons ou que nous leur persuadons tout ce qui nous plaît.

l'idée qui est le fond de toute la comparaison, et qui est très-juste, qu'il y a plus de vérité dans l'un et plus de force morale dans l'autre. Corneille, a dit Voltaire, vieux Romain parmi les Français, a établi sur le théatre une école de grandeur d'âme.. La Bruyère n'a pas voulu dire autre chose.

4. Imperieux. Epithète belle et bien appliquée. Toute cette analyse est juste et éloquente. On voit, par son discours à l'Académie, que La Bruyère préférait Racine à Corneille. Mais dans ce parallèle si souvent cité, il s'est efforcé, et il a réussi, à tenir la balance égale entre ces deux maltres de la scène française.

2. Sophocle. On n'est point frappé de la ressemblance de Corneille et de Sophocle.

3. Le peuple. Buffon a développé la même idée au commercement de son discours à l'Académie, et l'a encore exagérée. Il n'y a plus du tout d'orateurs an XVIIIe siècle, et il y a un grand nombre d'écrivains éloquents.

4. Les pédants. Les anciens et surtout les Latins sont tombés dans la même faute. Cicéron admire surtout les écrivains qui se rapprochent des tournures et de l'emphase oratoires, et Quintilien ne les estime qu'autant qu'ils peuvent servir à l'avocat qu'il veut former. L'habitude de vivre et de parler en public donnait aux plus simples ouvrages, aux lettres mêmes, un air solennel et travaillé. Il semble qu'il y ait plus de naturel et de sincérité dans les modernes.

5.

Il semble. La Bruyère se sert très-souvent de cette tournure plus modeste que l'affirmation directe. Il la fait presque toujours suivre de l'indicatif.

6. Un don de l'âme. Belle et heureuse expression.

7. Ce qui nous plait. Nihil præstabilius videtur, quam posse dicendo tenere

L'éloquence peut se trouver dans les entretiens et dans tout genre d'écrire ; elle est rarement où on la cherche, et elle est quelquefois où on ne la cherche point.

L'éloquence est au sublime ce que le tout est à sa partie.

Qu'est-ce que le sublime 1? Il ne paraît pas qu'on l'ait défini Est-ce une figure? Naît-il des figures, ou du moins de quelques figures? Tout genre d'écrire reçoit-il le sublime, ou s'il n'y a que les grands sujets qui en soient capables? Peut-il briller autre chose dans l'églogue qu'un beau naturel, et dans les lettres familières comme dans les conversations qu'une grande délicatesse? ou plutôt le naturel et le délicat ne sont-ils pas le sublime des ouvrages dont ils font la perfection? Qu'est-ce que le sublime? où entre le sublime?

Les synonymes sont plusieurs dictions, ou plusieurs phrases différentes qui signifient une même chose. L'antithèse est une opposition de deux vérités qui se donnent du jour l'une à l'autre. La métaphore ou la comparaison emprunte d'une chose étrangère

hominum cœtus, mentes allicere, voluntates impellere, unde autem velit deducere. » Cicero, de Orat., 1. Rien n'est plus beau ni plus grand que de pouvoir diriger, par la parole, les assemblées, s'emparer des esprits, pousser ou ramener à son gré les vofontés des hommes. Mais pour Cicéron, cette puissance est surtout le fruit de l'art,

c'est une habilete.

4. Qu'est-ce que le sublime. La concision abstraite du style de La Bruyère nous éclairera moins qu'elle ne nous fera penser. LAHARPE. Ajoutons qu'en général le propre des discussions littéraires est plutôt d'exciter la curiosité que de la satisfaire et que la recherche importe plus que la solution.

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2. Une figure. Il n'y a point de figures dans ces exemples de sublime souvent cités Dieu dit: Que la lumière soit; et la lumière fut. - Reconnais-tu ce sang? Je reconnais mon frère. Que vouliez-vous qu'il fit contre trois? Qu'il mourût. »

3. Capables. Il faut dire qui en soient susceptibles: Capable signifie qui est en état de faire, et se dit des personnes; susceptible qui peut recevoir et se dit des choses. LAHARPE. - Capable est ici dans le sens latin, non erat capax ingenii, materia (PLIN. Hist. nat. 1) et paraît meilleur que susceptible qui est bien lourd. Il s'en fallait de beaucoup que la distinction entre les adjectifs qui convienne. aux personnes ou aux choses fùt aussi tranchée que le veulent les grammairiens de nos jours.

1. Conversations. Cette femme dit un mot sublime, qui répondit à un prêtre, à propos du sacrifice d'Isaac ordonné à son père Abraham : Dieu n'aurait jamais ordonné ce sacrifice à une mère. Madame de Sévigné est sublime en parlant de la mort de Louvois. Il est plus facile de dire les sujets où le sublime entre le plus natu rellement, que d'indiquer ceux qui l'excluent absolument. Qui peut prévoir les exceptions? Mais la perfection des petites choses si fort estimée au xviie siècle, ne peut guère s'appeler le sublime.

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5. Dictions. Expressions.

6.

Même. Semblable, non identique.

7. Se donnent du jour. La métaphore de Pascal explique celle de La Bruyère: e Ceux qui font des antithèses en forçant les Liots, sont comme ceux qui font de fousses fenêtres pour la symétrie.

une image sensible' et naturelle d'une vérité. L'hyperbole exprime au delà de la vérité pour ramener l'esprit à la mieux connaître. Le sublime ne peint que la vérité, mais en un sujet noble; il la peint tout entière dans sa cause et dans son effet; il est l'expression ou l'image la plus digne de cette vérité. Les esprits médiocres ne trouvent point l'unique expression, et usent de synonymes. Les jeunes gens sont éblouis de l'éclat de l'antithèse, et s'en servent. Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore. Les esprits vifs, pleins de feu, et qu'une vaste * imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s'assouvir de l'hyperbole. Pour le sublime, il n'y a même entre les grands génies que les plus élevés qui en soient capables.

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* Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau, qu'il lit pour la première fois, où il n'a nulle part, et que l'auteur aurait soumis à sa critique; et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu seulement à cause que l'on s'entend soi-même, mais parce qu'on est en effet intelligible. * L'on n'écrit que pour être entendu; mais il faut du moins en

4.

Sensible. » Que les sens peuvent saisir.

2. Son effet » Il faut distinguer entre le sublime du trait qui nous enlève par un mot; c'est celui dont nous venons de citer des exemples, et le sublime soutenu, comme la poésie d'Athalie ou de Polyeucte. C'est à celui-ci que s'applique la définition. de La Bruyère.

3. « Les esprits justes.» La Bruyère en est lui-même un exemple

4. Donnent dans. Expression familière et heureuse que l'on commençait seulement à employer.

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5. . Vaste. Il y eat de grandes discussions à propos de ce mot : l'Académie voulait qu'il fut toujours un éloge, Saint-Evremond qu'il apportat seuvent l'idée de blâme. Il dit avec beaucoup de raison: Esprit vaste se prend en bonne ou en mauvaise part, selon les choses qui s'y trouvent ajoutées; un esprit vaste, merveilleux, pénétrant, marque une capacité admirable; au contraire, un esprit vaste et démesuré est un esprit qui se perd en des pensées vagues, en de belles mais vaines idées, en des desseins trop grands et peu proportionnés aux moyens qui nous peuvent faire réussir. » La Bruyère s'est servi de cette expression dans l'un et l'autre sens, et toujours avec justesse. 6. S'assouvir. Expression précise et énergique.

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7. Où. Les écrivains du xviie siècle se sont presque toujours servis de cette locu tion vive et rapide, au lieu d'employer comme nous à quoi, auquel, par laquelle, dans lesquels, etc., tour long et pénible. Vous ne sauriez m'ordonnier rien où je ne réponde aussitôt par une obéissance aveugle MOLIÈRE, la Princesse d'Elide, 11, 4. 18 Serait-ce quelque chose où je puisse vous aider? ID., le Médecin malgré lui, 1, 5. Si un animal faisait par esprit ce qu'il fait par instinct, et s'il parlait par esprit ce qu'il parle par instinct....., il parlerait aussi bien pour dire des choses oi il a plas d'affection, comme pour dire: rongez cette corde qui me blesse, et où je ne buis. atteindre. PASCAL, Pensées. Mais pensez un peu où vous vous engagez. «Id. 420 Provinciale.

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