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* L'air spirituel est dans les hommes ce que la régularité des traits est dans les femmes: c'est le genre de beauté où les plus vains puissent aspirer.

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* Un homme qui a beaucoup de mérite et d'esprit, et qui est connu pour tel, n'est pas laid, même avec des traits qui sont dif formes; ou s'il a de la laideur, elle ne fait pas son impression.

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Combien d'art pour rentrer dans la nature; combien de temps, de règles, d'attention et de travail pour danser avec la même liberté et la même grâce que l'on sait marcher; pour chanter comme on parle; parler et s'exprimer comme l'on pense; jeter autant de force, de vivacité, de passion et de persuasion dans un discours étudié et que l'on prononce dans le public, qu'on en a quelquefois naturellement et sans préparation dans les entretiens les plus familiers.

* Ceux qui, sans nous connaître assez, pensent mal de nous, ne nous font pas de tort; ce n'est pas nous qu'ils attaquent, c'est le fantôme de leur imagination.

Il y a de petites règles, des devoirs, des bienséances attachées aux lieux, aux temps, aux personnes, qui ne se devinent point à force d'esprit, et que l'usage apprend sans nulle peine juger des hommes par les fautes qui leur échappent en ce genre, avant qu'ils soient assez instruits, c'est en juger par leurs ongles ou par la pointe de leurs cheveux. c'est vouloir un jour être détrompé 3. * Je ne sais s'il est permis de juger des hommes par une faute qui est unique; et si un besoin extrême, ou une violente passion, ou un premier mouvement, tirent à conséquence.

* Le contraire des bruits qui courent des affaires ou des perest souvent la vérité.

sonnes,

* Sans une grande roideur et une continuelle attention à toutes ses paroles, on est exposé à dire en moins d'une heure le oui et le non sur une même chose ou sur une même personne, déterminé seulement par un esprit de société et de commerce 3, qui entraîne

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Un homme. Il s'agit sans doute ici de Pellisson, secrétaire et premier historien de l'Academie française, qui defendit Fouquet avec autant d'eloquence que de courage. On disait de Pellisson, qu'il abusait de la permission qu'ont les hommes d'être laias. Boileau l'avait cité dans sa satire 8, v. 205:

L'or, même à Pélisson, donne un teint de beauté.

Il remplaça depuis ce nom propre par son synonyme : la laideur.

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2. Etre detrompe. Tournure d'une finesse un peu recherchée pour dire : c'est vouloir se tromper.

2. Commerce est aujourd'hui dans ce sens d'un usage beaucoup moins commun.

naturellement à ne pas contredire celui-ci et celui-là qui en parlent différemment.

* Un homme partial est exposé à de petites mortifications; car comme il est également impossible que ceux qu'il favorise soient toujours heureux ou sages, et que ceux contre qui il se déclare soient toujours en faute ou malheureux, il naît de là qu'il lui arrive souvent de perdre contenance dans le public, ou par le mauvais succès de ses amis, ou par une nouvelle gloire qu'acquièrent ceux qu'il n'aime point.

* Un homme sujet à se laisser prévenir ', s'il ose remplir une dignité ou séculière ou ecclésiastique, est un aveugle qui veut peindre, un muet qui s'est chargé d'une harangue, un sourd qui juge d'une symphonie : faibles images, et qui n'expriment qu'im parfaitement la misère de la prévention. Il faut ajouter qu'elle est un mal désespéré, incurable, qui infecte tous ceux qui s'approchent du malade, qui fait déserter les égaux, les inférieurs, les parents, les amis, jusqu'aux médecins : ils sont bien éloignés de le guérir", s'ils ne peuvent le faire convenir de sa maladie, ni des remèdes, qui seraient d'écouter, de douter, de s'informer et de s'éclaircir. Les flatteurs, les fourbes, les calomniateurs, ceux qui ne délient leur langue que pour le mensonge et l'intérêt, sont les charlatans en qui il se confie, et qui lui font avaler tout ce qui leur plaît. Ce sont eux aussi qui l'empoisonnent et qui le tuent.

La règle de DESCARTES, qui ne veut pas qu'on décide sur les moindres vérités avant qu'elles soient connues clairement et distinctement, est assez belle et assez juste pour devoir s'étendre au jugement que l'on fait des personnes.

* Rien ne nous venge mieux des mauvais jugements que les

1. Prévenir Un homme partial, qui a des préventions.

2. Guérir. L'auteur semble ici jouer sur les mots : il s'agissait tout à l'heure des médecins de profession; ici il est question des médecins de l'ame, des conseillers. 3. Qui l'empoisonnent. Fénelon s'est vivement élevé contre cette facilité d prévention à laquelle il attribuait sa disgrâce: «On dit en soi-même : il n'est pas pos sible d'éclaircir ces accusations; le plus sûr est d'éloigner des emplois cet homme Mais cette prétendue précaution est le plus sûr de tous les piéges. On juge le fonds san examiner car on exclut le mérite, et on se laisse effaroucher contre toutes les personnes que les rapporteurs veulent rendre suspectes. Qui dit un rapporteur, dit an homme qui s'offre pour faire ce métier, qui s'insinue par cet horrible métier, et qui par conséquent est manifestement indigne de toute croyance. Le croire, c'est vouloir s'exposer à égorger l'innocent. Un prince qui prête l'oreille à des rapporteurs de pro fession ne mérite de connaitre ni la vérité, ni la vertu. Il faut chasser et confondre ces pestes de cour. Examen de conscience, etc

hommes fout de notre esprit, de nos mœurs et de nos manières, que l'indignité et le mauvais caractère de ceux qu'ils approuvent '. Du même fonds dont on néglige un homme de mérite, l'on sait encore admirer un sot.

* Un sot est celui qui n'a pas même ce qu'il faut d'esprit pour être fat.

* Un fat est celui que les sots croient un homme de mérite.

* L'impertinent est un fat outré; le fat lasse, ennuie, dégoûte, rebute; l'impertinent rebute, aigrit, irrite, offense; il commence où l'autre finit.

Le fat est entre l'impertinent et le sot 2; il est composé de l'un et de l'autre.

* Les vices partent d'une dépravation du cœur; les défauts d'un vice de tempérament; le ridicule d'un défaut d'esprit.

L'homme ridicule est celui qui, tant qu'il demeure tel, a les apparences du sot.

Le sot ne se tire jamais du ridicule, c'est son caractère ; l'on y entre quelquefois avec de l'esprit, mais l'on en sort.

Une erreur de fait jette un homme sage dans le ridicule.

La sottise est dans le sot, la fatuité dans le fat, et l'impertinence dans l'impertinent il semble que le ridicule réside tantôt dans celui qui en effet est ridicule, et tantôt dans l'imagination de ceux qui croient voir le ridicule où il n'est point et ne peut être.

* La grossièreté, la rusticité, la brutalité, peuvent être les vices d'un homme d'esprit.

1 Approuvent. Les décisions hasardées avec le plus de confiance font le plus d'impression. Et qui sont ceux qui jouissent du droit de prononcer? Des gens qui à force de braver le mépris, viennent à bout de se faire respecter et de donner le ton; qui n'ont que des opinions et jamais de sentiments, qui en changent, les quittent et les reprennent sans le savoir, ni sans s'en douter, ou qui sont opiniatres sans être constants. Voilà cependant les juges des réputations: voilà ceux dont on méprise le sentiment et dont on recherche le suffrage; ceux qui procurent la considération, sans en avoir eux-mêmes aucune.» DUCLOS.

2. Le sot. Toutes ces nuances délicates si bien marquées par La Bruyere se confondent de nos jours. Nous ne sommes plus au temps où honnéte homme voulait dire: un homme aimable et spirituel, et où la plus cruelle injure qu'on put adresser à quelqu'un était celle de sot ou de fat. On ne raffine plus sur les differentes espèces de sottises. Elles sont toutes aussi communes et aussi peu remarquees les unes que les autres. Déjà dans le siecle dernier, Duclos se moquait des donneurs de ridicule, et prenait le parti de leurs victimes: On ne doit pas excuser l'extrême sensibilite, que des hommes raisonnables ont sur cet article. Cette crainte excessive a fait naître des essaims de petits donneurs de ridicules qui décident de ceux qui sont en vogue, comme les marchandes de mode fixent celles qui doivent avoir cours. S'ils ne s'étaient pas emparés de l'emploi de distribuer les ridicules, ils en seraient accablés; ils ressemblent à ces criminels qui se font executeurs pour sauver leur vie.

* Le stupide est un sot qui ne parie point, en cela plus suppor table que le sot qui parle '.

* La même chose souvent est dans la bouche d'un homme d'es prit une naïveté ou un bon mot, et dans celle du sot, une sottise3. Si le fat pouvait craindre de mal parler, il sortirait de son

caractère.

* L'une des marques de la médiocrité de l'esprit est de toujours conter ".

* Le sot est embarrassé de sa personne; le fat a l'air libre et assuré; l'impertinent passe à l'effronterie le mérite a de la pudeur.

* Le suffisant est celui en qui la pratique de certains détails, que l'on honore du nom d'affaires, se trouve jointe à une trèsgrande médiocrité d'esprit.

Un grain d'esprit et une once d'affaires plus qu'il n'en entre dans la composition du suffisant, font l'important.

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Pendant qu'on ne fait que rire de l'important, il n'a pas un autre nom; dès qu'on s'en plaint, c'est l'arrogant.

L'honnête homme tient le milieu entre l'habile homme et l'homme de bien, quoique dans une distance inégale de ses deux extrêmes.

La distance qu'il y a de l'honnête homme à l'habile homme s affaiblit de jour à autre, et est sur le point de disparaître.

L'habile homme est celui qui cache ses passions, qui entend ses intérêts, qui y sacrifie beaucoup de choses, qui a su acquérir du bien ou en conserver.

'honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grands chemius*, et qui ne tue personne; dont les vices, enfin, ne sont pas scandaleux.

Un connaît assez qu'un homme de bien est honnête homme

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1. Qui parle. Définition plaisante et fort juste; c'est le modèle du genre.

2. Sottise. Le mot si comique par lequel Orgon accueille chacun des détails que lui donue Dorine sur la vie de Tartuffe, pendant son absence (le pauvre homme!) fut prononcé par Louis XIV, de la même manière et en semblable occasion. Molière, avec raison, trouva ce mot de bonne prise.

3. Conter. Vauvenargues a dit de même : « La ressource de ceux qui n'imaginent pas est de conter..

4. Composition. Figure spirituelle, un peu affectée.

5. Grands chemins. On ne doit voir ici qu'une boutade d'un esprit chagrin. Sans doute la probite n'est pas toute la vertu; ce n'est pas assez d'être juste, il faut encore être bon. Mais c'est déjà quelque chose que de faire son devoir, quand mène ou ne ferait rien de plus.

mais il est plaisant d'imaginer que tout honnête homme n'est pas homme de bien.

L'homme de bien est celui qui n'est ni un saint ni un dévot', et qui s'est borné à n'avoir que de la vertu.

* Talent, goût, esprit, bon sens, choses différentes, non incom patibles.

Entre le bon sens et le bon goût il y a la différence de la caus à son effet 2.

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Entre esprit et talent il y a la proportion du tout à sa partie. Appellerai-je hcmme d'esprit celui qui, borné et renfermé dans quelque art, ou même dans une certaine science qu'il exerce dans une grande perfection, ne montre hors de là ni jugement, ni mémoire, ni vivacité, ni mœurs, ni conduite; qui ne m'entend pas, qui ne pense point, qui s'énonce mal; un musicien, par exemple, qui, après m'avoir comme enchanté par ses accords, semble s'être remis avec son luth dans un même étui, ou n'être plus, sans cet instrument, qu'une machine démontée, à qui il manque quelque chose, et dont il n'est pas permis de rien attendre?

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Que dirai-je encore de l'esprit du jeu? pourrait-on me le définir? ne faut-il ni prévoyance, ni finesse, ni habileté, pour jouer l'hombre ou les échecs? et s'il en faut, pourquoi voit-on des imbéciles qui y excellent, et de très-beaux génies qui n'ont pu même atteindre la médiocrité, à qui une pièce ou une carte dans les mains trouble la vue, et fait perdre contenance?

Il y a dans le monde quelque chose, s'il se peut, de plus incom préhensible. Un homme parait grossier, lourd, stupide; il ne sait pas parler, ni raconter ce qu'il vient de voir s'il se met à

1. Dévot. Faux dévot. (Note de La Bruyère.)

2. Effet. Il ne suffit pas d'avoir du bon sens pour avoir du goût, il faut encore une certaine sensibilité que le bon sens n'a pas toujours, et de l'instruction.

3. Esprit est ici pris dans le sens d'intelligence.

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4. Homme d'esprit. En Angleterre, pour exprimer qu'un homme a beaucoup J'esprit, on dit qu'il a de grandes parties. Autrefois nous nous servions de ce mot de parties très-communément dans ce sens-là. On ne pouvait mieux s'exprimer. En effet, qui peut avoir tout? Chacun de nous n'a que sa petite portion d'intelligence, de mémoire, de sagacité, de profondeur d'idées, d'étendue, de vivacité, de finesse. Le mot de parties est le plus convenable pour des êtres aussi faibles que l'homme. Les Français ont laissé echapper de leur dictionnaire une expression dont les Anglais se sont saisis. Les Anglais se sont enrichis plus d'une fois à nos dépens. » VOLTAIRE.

5. Même étui. Cette figure est tout à fait juste et comique, aussi bien que celle qui suit.

6.

Pourquoi voit-on? Parce que ces beaux génies ont l'esprit occupé ailleurs, et que ces imbéciles tournent de ce côté tout ce qu'ils peuvent avoir d'intelligence. 7. Un homme, etc. Les exemples qui suivent sont bien choisis et pleins d'intérêt

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