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l'esprit, ils hasardent, que dis-je? ils ont la confiance de par.er en toute rencontre, et sur quelque matière qui puisse s'offrir, et sans nul discernement des personnes qui les écoutent. Ajouterai-je qu'ils épouvantent ou qu'ils donnent le dernier dégoût par leur fatuité et par leurs fadaises? Il est vrai, du moins, qu'ils déshonorent sans ressource ceux qui ont quelque part au hasard de leur élévation.

Comment nommerai-je cette sorte de gens qui ne sont fins que pour les sots? Je sais du moins que les habiles les confondent avec ceux qu'ils savent tromper '.

C'est avoir fait un grand pas dans la finesse, que de faire penser de soi que l'on n'est que médiocrement fin.

La finesse n'est ni une trop bonne, ni une trop mauvaise qualité; elle flotte entre le vice et la vertu. Il n'y a point de rencontre où elle ne puisse, et peut-être où elle ne doive être suppléée par la prudence.

La finesse est l'occasion prochaine de la fourberie; de l'un à l'autre le pas est glissant; le mensonge seul en fait la différence. Si on l'ajoute à la finesse, c'est fourberie.

Avec les gens qui, par finesse, écoutent tout et parlent. peu, parlez encore moins; ou si vous parlez beaucoup, dites peu de chose.

* Vous dépendez, dans une affaire qui est juste et importante, du consentement de deux personnes : l'un vous dit : J'y donne les mains, pourvu qu'un tel y condescende; et ce tel y condescend, et ne désire plus que d'être assuré des intentions de l'autre. Cependant rien n'avance; les mois, les années s'écoulent inutilement. Je m'y perds, dites-vous, et je n'y comprends rien ; il ne s'agit que de faire qu'ils s'abouchent, et qu'ils se parlent. Je vous dis, moi, que j'y vois clair, et que j'y comprends tout : ils se sont parlé.

* Il me semble que qui sollicite pour les autres a la confiance d'un homme qui demande justice, et qu'en parlant ou en agissant pour soi-même, on a l'embarras et la pudeur de celui qui demande grâce.

2

1. Qu'ils savent tromper. » La tournure est trop recherchée.

2.

D

La pudeur. La Fontaine s'est servi de la même expression (Fables, vIII, 14):
Qu'un ami véritable est une douce chose !

* Si l'on ne se précautionne à la cour contre les piéges que l'on y tend sans cesse pour faire tomber dans le ridicule, l'on est étonné, avec tout son esprit, de se trouver la dupe de plus sots que soi '.

2

* Il y a quelques rencontres dans la vie, où la vérité et la simplicité sont le meilleur manége du monde.

* Êtes-vous en faveur, tout manége est bon; vous ne faites point de fautes, tous les chemins vous mènent au terme. Autrement, tout est faute, rien n'est utile, il n'y a point de sentier qui ne vous égare.

* Un homme qui a vécu dans l'intrigue un certain temps, ne peut plus s'en passer; toute autre vie pour lui est languissante.

* Il faut avoir de l'esprit pour être homme de cabale : l'on peut cependant en avoir à un certain point, que l'on est au-dessus de l'intrigue et de la cabale, et que l'on ne saurait s'y assujettir. L'on va alors à une grande fortune ou à une haute réputation par d'autres chemins.

* Avec un esprit sublime, une doctrine universelle, une probité à toutes épreuves, et un mérite très-accompli, n'appréhendez pas, ô Aristide, de tomber à la cour, ou de perdre la faveur des grands, pendant tout le temps qu'ils auront besoin de

vous.

* Qu'un favori s'observe de fort près, car s'il me fait moins attendre dans son antichambre qu'à l'ordinaire, s'il a le visage plus ouvert, s'il fronce moins le sourcil, s'il m'écoute plus volontiers, et s'il me reconduit un peu plus loin, je penserai qu'il commence à tomber, et je penserai vrai *.

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur;

Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même :

Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

1. «De plus sots que soi. » Combien de fois a-t-on rougi à la cour, pour un nomme qu'on y produisait avec confiance, qu'on avait admire ailleurs et qu'on avait annoncé avec une bonne foi imprudente? On ne s'était cependant pas trompé. Mais on ne l'avait jugé que d'après la raison, et on le confronte avec la mode. DUCLOS, Con sidérations sur les mœurs.

2. Quelques rencontres.

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Mettez: «Il y a beaucoup d'occasions où, etc., et la pensée deviendra moins fine et moins piquante.

3. Languissante. Voyez dans les Dialogues des morts, de Fénelon, le dialogue de Charles-Quint et du jeune moine de Saint-Just.

4. Certain est ici employé dans le même sens et avec la même construction que tel.

5.

Et je penserai vrai. Cette répétition donne à la pensée un tour encore plus

salirue

L'homme a bien peu de ressources dans soi-même, puisqu'il lai faut une disgrâce, ou une mortification, pour le rendre plus humain, plus traitable, moins féroce, plus honnête homme.

* L'on contemple dans les cours de certaines gens, et l'on voit bien, à leurs discours et à toute leur conduite, qu'ils ne songent ni à leurs grands-pères, ni à leurs petits-fils. Le présent est pour eux : ils n'en jouissent pas, ils en abusent.

* Straton 2 est né sous deux étoiles malheureux, heureux dans le même degré. Sa vie est un roman : non, il lui manque le vraisemblable 3; il n'a point eu d'aventures; il a eu de beaux songes, il en a eu de mauvais que dis-je? on ne rêve point comme il a vécu. Personne n'a tiré d'une destinée plus qu'il a fait; l'extrême et le médiocre lui sont connus : il a brillé, il a souffert, il a mené une vie commune; rien ne lui est échappé. Il s'est fait valoir par des vertus qu'il assurait fort sérieusement qui étaient en lui. Il a dit de soi : J'ai de l'esprit, j'ai du courage; et tous ont dit après lui: Il a de l'esprit, il a du courage. Il a exercé dans l'une et l'autre fortune le génie du courtisan, qui a dit de lui plus de bien peut-être, et plus de mal, qu'il n'y en

D

1. Féroce. La Bruyère semble affectionner cette épithète et s'en est souvent servi dans le même sens.

2. Straton. Le fameux Lauzun, favori du roi, puis disgracié, qui fut sur le point d'épouser mademoiselle de Montpensier et passa dix ans de sa vie dans la prison de Pignerol duc de Lauzun, dit Saint-Simon son beau-frère, était un petit homme, blondasse, bien fait dans sa taille, de physionomie haute, pleine d'expression, qui imposait, mais sans agrément dans le visage. Il était plein d'ambition, de caprices, de fantaisies; jaloux de tout, voulant toujours passer le but, jamais content de rien, sans lettres, sans aucun ornement ni agrément dans l'esprit, naturellement chagrin, solitaire, sauvage; fort nobie dans toutes ses façons; méchant et malin par nature, encore plus par jalousie et par ambition. Courtisan également insolent, moqueur et bas jusqu'au valetage, et plein de recherche, d'industrie et de bassesse pour arriver à ses fins; avec cela dangereux aux ministres, à la cour redouté de tous et plein de sel qui n'épargnait personne. Il était extraordinaire en tout par nature, et se plaisait encore à l'affecter jusque dans le plus intérieur de son domestique et de ses valets.»

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3. Le vraisemblable. Voyez la lettre si connue dans laquelle madame de Sévigné annonce à sa fille la nouvelle incroyable que Lauzun va épouser mademoiselle de Montpensier. (15 décembre 4670.)

4. Il a dit de soi... tous ont dit après lui. La Bruyère a mis soi lorsque le pronom se rapporte au sujet, et lui dans le cas contraire. C'est la règle qu'ont suivie les grands écrivains du xviie siècle.

Qu'il fasse autant pour soi comme je fais pour lui

P. CORNEILLE, Polyeucte, 1, 8
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi.
RACINE, Phèdre.

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. Dieux

• Idoménée revenant à soi, remercia ses amis. FENELON, Télémaque. immortels, dit-elle en soi-même, est-ce donc ainsi que sont faits les monstres? LA FONTAINE, Psyché, 1. Soi est employé dans ces exemples là où les Latins auraient mis se.

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avait. Le joli, l'aimable, le rare, le merveilleux, l'héroïque, ont été employés à son éloge; et tout le contraire a servi depuis pour le ravaler caractère équivoque, mêlé, enveloppé; une énigme; une question presque indécise.

* La faveur met l'homme au-dessus de ses égaux, et sa chute au-dessous.

* Celui qui, un beau jour ', sait renoncer fermement ou à un grand nom, ou à une grande autorité, ou à une grande fortune, se délivre en un moment de bien des peines, de bien des veilles, et quelquefois de bien des crimes.

* Dans cent ans, le monde subsistera encore en son entier; co sera le même théâtre et les mêmes décorations; ce ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur une grâce reçue, ou ce qui s'attriste et se désespère sur un refus, tous (auront disparu de dessus la scène. Il s'avance déjà sur le théâtre d'autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles; ils s'évanouiront à leur tour, et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus de nouveaux acteurs ont pris leur place. Quel fond à faire sur un personnage de comédie 2!

* Qui a vu la cour a vu du monde ce qui est le plus beau, le plus spécieux et le plus orné; qui méprise la cour après l'avoir vue, méprise le monde.

*La ville dégoûte de la province; la cour détrompe de la ville, et guérit de la cour.

Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite3.

1. Un beau jour. Ces renoncements subits n'étaient point rares. Racine, Quinault, Pascal, quittaient le monde et ne voulaient plus entendre parler de leurs onvrages. Anne de Gonzague, la duchesse de Longueville, se jetaient dans la dévotion avec autant d'ardeur qu'auparavant dans la cabale et dans l'intrigue. Pelletier, ministre et contrôleur général, se retirait des affaires et se réfugiait à la campagne.

2. De comédie.» «Les années paraissent longues, quand elles sont encore loin de nous; arrivées, elles disparaissent, eiles nous échappent en un instant, et nous n'aurons pas tourné la tête, que nous nous trouverons, comme par un enchantement, au terme fatal qui nous parait encore si loin et ne devoir jamais arriver. Regardez le morde tel que vous l'avez vu dans vos premières années, et tel que vous le voyez aujourd'hui une nouvelle cour a succédé à celle que vos premiers ans ont vue; de nouveaux personnages sont montés sur la scène; les grands rôles sont remplis par de nouveaux acteurs: ce sont de nouveaux événements, de nouvelles intrigues, de nouvelles passions, de nouveaux héros dans la vertu comme dans le vice, qui sont le sujet des louanges, des décisions, des censures publiques; un nouveau monde s'est élevé insensiblement, et sans que vous vous en soyez aperçu, sur les débris du premier. MASSILLON, Sermon sur la mort.

3. Et de la retraite.» Voici la première phrase de ce chapitre : • Le reproche

[Chapitre IX.]

DES GRANDS.

* La prévention du peuple en faveur des grands est si aveugle, et l'entêtement pour leur geste, leur visage, leur ton de voix et leurs manières, si général, que s'ils s'avisaient d'être bons, cela irait à l'idolâtrie.

* Si vous êtes né vicieux, ô Théagène1, je vous plains; si vous le devenez par faiblesse pour ceux qui ont intérêt que vous le soyez, qui ont juré entre eux de vous corrompre, et qui se vantent déjà de pouvoir y réussir, souffrez que je vous méprise 2. Mais si vous êtes sage, tempérant, modeste, civil, généreux, reconnaissant, laborieux, d'un rang d'ailleurs et d'une naissance à donner des exemples plutôt qu'à les prendre d'autrui, et à faire les règles plutôt qu'à les recevoir; convenez avec cette sorte de gens de suivre par complaisance leurs déréglements, leurs vices et leur folie, quand ils auront, par la déférence qu'ils vous doivent, exercé toutes les vertus que vous chérissez : ironie forte, mais utile, très-propre à mettre vos mœurs en sûreté, à renverser tous leurs projets, et à les jeter dans le parti de continuer d'être ce qu'ils sont, et de vous laisser tel que vous êtes.

* L'avantage des grands sur les autres hommes est immense par un endroit je leur cède leur bonne chère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurs chevaux, leurs singes, leurs nains, leurs fous et leurs flatteurs; nais je leur envie le bonheur d'avoir

en un sens le plus honorable que l'on puisse faire à un homme, c'est de lui dire qu'il ne sait pas la cour. En voici la dernière: Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite. Tous les paragraphes entre ces deux phrases amènent la dernière comme un résultat et sont des preuves de la première. SUARD.

1.Théagène. Les Clefs nomment ici le grand prieur Vendôme qui mérite en effet tout le mal et une partie du bien qu'en dit l'auteur; ses débauches le firent plus d'une fois tomber dans la disgrace du roi, qui n'aimait pas le scandale. Il protégea et admit dans sa société La Fontaine, Chaulieu et Voltaire encore jeune, qui l'ont souvent célébré dans leurs vers.

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2. Souffrez que je vous méprise. Ce mépris si poli et si plein de savoir-vivre rappelle la phrase célèbre de Tallemant des Reaux: Elle a un frère qui a l'honneur d'être fou par la tète. »

3. Jeter dans le parti de continuer d'être. Est une phrase barbare.

4. Leurs flatteurs. Est habilement rejeté à la fin de la phrase à côté des singes et des fous. Térence avait dit par un artifice semblable: La plupart des jeunes gens ont toujours quelque passion dominante, comme avoir des chevaux, des chiens de chasse, ou de s'attacher à des philosophes. L'Andrienne, 1, 4. — Cette plaisanterie est bien irrévérencieuse pour les savants, et toute remaine.

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