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le laisser à ceux qui ne courent aucun risque ' à s'y montrer, qui en ont à peine le loisir, aux GoMONS, aux DUHAMELS.

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* Il y a un certain nombre de jeunes magistrats que les grands biens et les plaisirs ont associés à quelques-uns de ceux qu'on nomme à la cour de petits-maîtres : ils les imitent, ils se tiennent fort au-dessus de la gravité de la robe, et se croient dispensés, par leur âge et par leur fortune, d'être sages et modérés. Ils prennent de la cour ce qu'elle a de pire; ils s'approprient la vanité, la mollesse, l'intempérance, le libertinage, comme si tous ces vices lui étaient dus; et, affectant ainsi un caractère éloigné de celui qu ils ont à soutenir, ils deviennent enfin, selon leurs souhaits, des copies fidèles de très-méchants originaux.

* Un homme de robe à la ville, et le mème à la cour, ce sont deux hommes: revenu chez soi, il reprend ses mœurs, sa taille et son visage, qu'il y avait laissés : il n'est plus ni si embarrassé, ni si honnête *.

* Les Crispins se cotisent, et rassemblent dans leur famille jusques à six chevaux pour allonger un équipage, qui, avec un essaim de gens de livrée, où ils ont fourni chacun leur part, les fait triompher au Cours ou à Vincennes, et aller de pair avec les nouvelles mariées, avec Jason qui se ruine, et avec Thrason qui veut se marier, et qui a consigné ".

* J'entends dire des Sannions ", même nom, mêmes armes, la

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1. Qui ne courent aucun risque.» Qui peuvent se divertir sans qu'on les croie pour cela moins laborieux.

2. Jeunes magistrats. M. de Mesme. Toute son étude, dit Saint-Simon, fut celle du grand monde auquel il plut; et il fut mèlé dans les meilleures compagnies et dans les plus gaillardes. D'ailleurs il n'apprit rien et fut extrêmement debauché. Sa vie libertine le lia avec la jeunesse la plus distinguée, qu'il recherchait avec soin, et il ne voyait que le moins qu'il pouvait de palais et de gens de robe. Devenu president à mortier, par la mort de son père, il ne changea guere de vie; mais il se persuada qu'il était un seigneur et vécut à la grande. Il voulait à toute force être un homme de qualité et de cour, et il se faisait souvent moquer de lui par ceux qui l'étaient en effet, et avec qui il vivait tant qu'il pouvait. »

3. Dus. Ils réclament ces vices comme leur propriété naturelle.

4. Si honnête. Ni si poli.

5.

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Consigné. Déposé son argent au trésor public pour une grande charge. (No de La Bruyère.)

6. Sannions.» La Clef dit: On veut qu'après la bataille d'lvry, en 1590, Henri IV, s'étant retire du côté de Mantes et manquant d'argent, apprit que deux riches tanneurs, Leclerc et Pelletier, pouvaient lui en prèter. I les manda à cet effet et tira d'eux vingt mille écus dont il voulut leur donner son billet; mais Pelletier lui ayant représenté qu'il fallait donc créer un huissier exprès pour faire payer le roi, ils se contentèrent de sa parole. Le roi leur donna ensuite des lettres de noblesse, et c'est de ces deux tanneurs que descendent les Pelletier et les Leclerc de Lesseville qui sont dans presque toutes les cours du parlement.

branche aînée, la branche cadette, les cadets de la seconde branche: ceux-là portent les armes pleines', ceux-ci brisent d'un lambel et les autres d'une bordure dentelée. Ils ont avec les BOURBONS, sur une même couleur, un même métail ; ils portent, comme eux, deux et une . ce ne sont pas des fleurs de lis, mais ils s'en consolent; peut-être dans leur cœur trouvent-ils leurs pièces aussi honorables, et ils les ont communes avec de grands seigneurs qui en sont contents; on les voit sur les litres et sur les vitrages, sur la porte de leur château, sur le pilier de leur haute justice, où ils viennent de faire pendre un homme qui méritait le bannissement: elles s'offrent aux yeux de toutes parts; elles sont sur les meubles et sur les serrures; elles sont semées sur les carrosses; leurs livrées ne déshonorent point leurs armoiries. Je dirais volontiers aux Sannions : Votre folie est prématurée ; attendez du moins que le siècle s'achève sur votre race; ceux qui ont vu votre grand-père, qui lui ont parlé, sont vieux, et ne sauraient plus vivre longtemps qui pourra dire comme eux : Là il étalait, et vendait très-cher ??

Les Sannions et les Crispins veulent encore davantage que l'on dise d'eux qu'ils font une grande dépense, qu'ils n'aiment à la

4. Armes pleines. D Ce sont celles qui sont entières, nettes et nues, d'une pièce et d'un tenant, qui n'ont aucune brisure, divisions, altérations, ni mélanges.. FURET:ERE.

2. Brisent. « Brisure, altération de la simplicité et de l'intégrité du blason et de l'écu, en y mettant quelques pièces ou figures qui distinguent les puinés et les cadets de leur afué, auxquels appartiennent les armes pleines. Id.

3. Lambel. La plus noble de toutes les brisures, qui se forme par un filet qui se met ordinairement au milieu et le long du chef de l'écu, sans qu'il touche ses extré mités. Il est garni de pendants qui ressemblent au fer d'une coignée. » Id.

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4. Bordure. Espèce de brisure faite comme un passement posé de plat au bord de l'écu et qui l'environne tout autour. Elles sont souvent endentées et chargées de plusieurs pièces, qui sont des brisures différentes des putnés de puinės. Id.

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5. Métail. Le dictionnaire de l'Académie de 1694 écrit métal et ne fait point mention de métail. Furetière, dont le dictionnaire a paru quatre ans auparavant, écrit métail, en ajoutant que les poëtes se servent quelquefois de métal. Métail, en termes de blason, se dit de l'or et de l'argent représentés par le jaune et le blanc; l'écu ponctué par le graveur représente l'or, et quand il est tout à fait blanc et uni, il représente l'argent.

6. Deux et une. Une fleur de lis, un croissant d'or au-dessous de deux autres. 7. Litres. C'est un droit honorifique qu'ont les seigneurs patrons fondateurs ou les seigneurs hauts justiciers dans les églises qu'ils ont fondées ou qui sont de leur seigneurie. Il consiste à faire peindre les écussons de leurs armes sur un bande noire en forme d'un lé de velours autour de l'église, tant par dedans que par dehors.. FURETIÈRE.

8. Pier. Poteau qu'un haut seigneur justicier fait élever en nr carrefour pour marque de sa seigneurie où sont ses armes, et quelquefois un carcan. Id. 9. Très-cher. C'est une imitation du Bourgeois Gentilhomme, III, 12

faire : ils font un récit long et ennuyeux d'une fête ou d'un repas qu'ils ont donné ; ils disent l'argent qu'ils ont perdu au jeu, et ils plaignent fort haut celui qu'ils n'ont pas songé à perdre. Ils parlent jargon et mystère sur de certaines femmes; ils ont réciproquement cent choses plaisantes à se conter; ils ont fait depuis peu des découvertes; ils se passent les uns aux autres qu'ils sont gens à belles aventures. L'un d'eux, qui s'est couché tard à la campagne, et qui voudrait dormir, se lève matin, chausse des guêtres, endosse un habit de toile, passe un cordon où pend lo fourniment, renoue ses cheveux, prend un fusil; le voilà chasseur, s'il tirait bien. Il revient de nuit, mouillé et recru ', sans avoir tué; il retourne à la chasse le lendemain, et il passe tout le jour à manquer des grives ou des perdrix.

Un autre 2, avec quelques mauvais chiens, aurait envie de dire, Ma meute il sait un rendez-vous de chasse, il s'y trouve; il est au laisser courre, il entre dans le fort, se mêle avec les piqueurs ; il a un cor. Il ne dit pas, comme Ménalippe 1: Ai-je du plaisir? Il croit en avoir; il oublie lois et procédure . c'est un Hippolyte. Ménandre, qui le vit hier sur un procès qui est en ses mains, ne reconnaîtrait pas aujourd'hui son rapporteur. Le voyezvous le lendemain à sa chambre, où l'on va juger une cause grave et capitale? il se fait entourer de ses confrères, il leur raconte comme il n'a point perdu le cerf de meute, comme il s'est étouffé de crier après les chiens qui étaient en défaut, ou après ceux des chasseurs qui prenaient le change, qu'il a vu donner les six chiens l'heure presse; il achève de leur parler des abois et de la curée, et il court s'asseoir avec les autres pour juger *.

1. Recru. Fatigué. Sans avoir tué. Sans avoir abattu le moindre gibier. -Cette petite description a été souvent refaite, jamais avec autant de verve.

2. Un autre. La Clef dit : Le président Le Cogneux qui aimait fort la chasse. Il n'était pas riche et épousa en secondes noces la veuve de Galand, fameux partisan, qui lui apporta de grands biens. Il ne s'était pas même mis en dépense d'une robe de chambre pour ce mariage; de sorte qu'étant obligé, selon l'usage de Paris, de se rendre à la toilette de sa nouvelle fenime, il ne crut pouvoir mieux faire que d'y aller en robe de palais et en robe rouge fourrée; il supposait que puisqu'elle ne l'avar épousé que pour sa dignité, elle ne serait pas fachée qu'il se montrat dans sa robe qui en était la marque. Ce qui fit rire l'assemblée.

3. Laisser courre. Lieu où l'on decouple les chiens.

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4. Ménalippe. Le sieur de Nouveau, un jour, au commencement qu'il eut un équipage de chasse courant le cerf, demanda à son veneur: Ai-je bien du pesir? 5. Pour juger. La Bruyère a emprunte plusieurs traits aux Facheur de Molière mais il enchérit cacore sur lui, en faisant contraster la gravité de la dignité avec la quérilité de la passion.

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* Quel est l'égarement de certains particuliers qui, riches du négoce de leurs pères dont ils viennent de recueillir la succession, se moulent sur les princes pour leur garde-robe et pour leur équipage, excitent, par une dépense excessive et par ur faste ridicule, les traits et la raillerie de toute une ville qu'il croient éblouir, et se ruinent ainsi à se faire moquer de soi!

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Quelques uns n'ont pas même le triste avantage de répandre leurs folies plus loin que le quartier où ils habitent; c'est le seul théâtre de leur vanité. L'on ne sait point dans l'Ile qu'André brille au Marais, et qu'il y dissipe son patrimoine : du moins, s'il était connu dans toute la ville et dans ses faubourgs, il serait difficile qu'entre un si grand nombre de citoyens qui ne savent pas tous juger sainement de toutes choses, il ne s'en trouvât quelqu'un qui dirait de lui : Il est magnifique, et qui lui tiendrait compte des régals qu'il fait à Xante et à Ariston, et des fêtes qu'il donne à Elamire; mais il se ruine obscurément. Ce n'est qu'en faveur de deux ou trois personnes qui ne l'estiment point, qu'il court à l'indigence, et qu'aujourd'hui en carrosse, il n'aura pas dans six mois le moyen d'aller à pied ^.

* Narcisse se lève le matin pour se coucher le soir; il a ses heures de toilette comme une femme; il va tous les jours fort régulièrement à la belle messe aux Feuillants ou aux Minimes ; il est homme d'un bon commerce, et l'on compte sur lui au quartier de ** pour un tiers ou pour un cinquième à l'hombre ou au reversi. Là il tient le fauteuil quatre heures de suite chez Aricie, où il risque chaque soir cinq pistoles d'or ". Il lit exactement la Gazette de Hollande et le Mercure galant; il a lu Bergerac, des Marets, Lesclache, les Historiettes de Barbin, et quelques recueils

4. Du négoce de leurs pères. »

2.

Quoique fils de meunier, encor blanc du moulin.

BOILEAU.

Se ruinent à se faire moquer. » Ce ridicule a été le sujet d'une foule de comédies qui ont fait rire, et, selon l'habitude, n'ont corrigé personne.

3.

Repandre leurs folies. Le bruit, la renommée de leurs folies.

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4. Le moyen d'aller à pied. L'hyperbole est peut-être un peu forte.

5. Cinq pistoles d'or. La pistole d'or valait onze livres.

6.

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Bergerac. Cyrano. (Note de La Bruyère.) Cyrano est auteur de l'Histoire comique des Etats de la Lune et du Soleil.

7.

Des Marets. Saint-Sorlin. (Note de La Bruyère.) Auteur de la comédie des Visionnaires, et critique acharne de Boileau.

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8. Lesclache. Il avait publié les Véritables Règles de l'orthographe françoise.

de poésies. Il se promène avec des femmes à la Plaine ou au Cours, et il est d'une ponctualité religieuse sur les visites. Il fera demain ce qu'il fait aujourd'hui et ce qu'il fit hier; et in meurt ainsi après avoir vécu 1.

* Voilà un homme, dites-vous, que j'ai vu quelque part de savoir où, il est difficile2; mais son visage m'est familier. Il l'est à bien d'autres ; et je vais, s'il se peut, aider votre mémoire: est-ce au boulevard sur un strapontin, ou aux Tuileries dans la grande allée, ou dans le balcon à la comédie? est-ce au sermon, au bal, à Rambouillet ? où pourriez-vous ne l'avoir point vu? où n'est-il point? S'il y a dans la place une fameuse exécution, ou un feu de joie, il paraît à une fenêtre de l'hôtel de ville, si l'on attend une magnifique entrée, il a sa place sur un échafaud, s'il se fait un carrousel, le voilà entré, et placé sur l'amphithéâtre, si le roi reçoit des ambassadeurs, il voit leur marche, il assiste à leur audience, il est en haie quand ils reviennent de leur audience; sa présence est aussi essentielle aux serments des ligues suisses, que celle du chancelier et des ligues mêmes. C'est son visage que l'on voit aux almanachs" représenter le peuple ou l'assistance. Il y a une chasse publique, une Saint-Hubert, le voilà à cheval on parle d'un camp et d'une revue, il est à Ouilles, il est à Achères; il aime les troupes, la milice, la guerre; il la voit de près, et jusques au fort de Bernardi. CHANLEY sait les marches,

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4. Après avoir vécu.» La Bruyère a voulu dire que sa vie et sa mort étaient choses aussi indifférentes l'une que l'autre. C'est une horloge bien réglée dont le ressort se détend, et voilà tout; la pensée, le sentiment, sont absents. C'est dans la mème intention que l'auteur dit aù commencement de ce caractère : « Narcisse se lève le matin pour se coucher le soir. La naïveté n'est qu'apparente et cache une malice Un critique maladroit a voulu corriger La Bruyère, et lui a fait dire cette platitude : Il meurt après avoir ainsi vécu. »

2.

Il est difficile. Inversion qui reproduit bien le mouvement et la liberté de la

conversation.

3.

Au boulevard. De la porte Saint-Antoine.

4. Strapontin. Petit siége qu'on met sur le devant d'un carrosse coupé, pour suppléer au defaut d'un second fond.

5. Rambouillet. L'enclos de Rambouillet, dans le faubourg Saint-Antoine.

6. Aux almanachs. Sous Louis XIV, on publiait chaque année pour almanach de très-belles et de très-grandes estampes dessinees et gravées par les meilleurs artistes. Là se trouvent représentes par allégorie les événements de l'annee passee. Les rois, les princes, les géneraux, les grands dignitaires figurent ordinairement dans le champ principal de ces estampes et sont très-ressemblants. Plus bas sont des portraits d'é chevins ou de personnages du tiers état, qui regardent le roi; c'est le peuple ou l'assistance. Sur les côtés, des médaillons représentant les batailles, les fêtes, les événements de l'année; et plus bas encore est un espace Llanc où l'on collait un calendrier imprimé de l'année. » WALCKENAER.

7. Chanley. Il avait, dit Saint-Simon, longtemps servi de maréchal des logis

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